A quoi ressembleront nos jardins de demain ? Deux experts nous livrent leur réponse
Architectes et paysagistes de renommée internationale, Eric Ossart et Arnaud Maurières, fondateurs du bureau français Ossart+Maurières, nous livrent leur réflexion sur le jardin face au réchauffement climatique et à la diminution des ressources d’eau. Inspirant.
Spécialistes des jardins d’aridité, Eric Ossart et Arnaud Maurières sont passionnés par les plantes, spécialement les cactées et succulentes. Au début de leur activité dans les années 80, ils intègrent l’équipe du ministre de la Culture français Jack Lang, et participent à l’Atelier public d’architecture et d’urbanisme créé à Blois, par l’architecte et scénographe Patrick Bouchain.
A l’opposé des compositions géométriques classiques du XIXe siècle, le duo imagine un nouveau concept de jardin urbain qui mêle graminées, fleurs et légumes, offrant une variation de couleurs et de textures, et s’adaptant aux saisons. Ces nouveaux «jardins nomades», comme ils les appellent, fleuriront ensuite dans toute la France.
Au fil de leur carrière, Ossart et Maurières ont adapté leurs créations au climat et à l’environnement qui compte de plus en plus de zones arides. Pour eux, l’aridité doit être vue comme une opportunité pour changer de modèle. «A la fois poétique et décharné, le paysage aride démontre qu’il n’a rien à envier aux jardins européens. Le jardin de demain sera un jardin d’aridité ou ne sera pas», confient-ils. Et de répondre à notre interview, ensemble, d’une voix.
Selon vous, un climat sec ne peut pas être défini uniquement par la quantité de précipitations…
L’aridité est liée à un manque d’eau. Mais il est impossible de définir un climat aride par la seule quantité d’eau de pluie tombée: il pleut davantage à Mexico (750 mm/an) qu’à Paris (640 mm/an) mais il pleut souvent à Paris alors qu’il ne pleut qu’en été à Mexico. Cette ville est aride, la capitale française ne l’est pas. La température joue aussi un rôle, et surtout le rapport entre température et humidité, nature du sol ou relief. Les facteurs d’aridité sont donc multiples et il est possible, même sous climat tempéré, de découvrir partout des espaces arides. Néanmoins, la caractéristique essentielle d’un climat aride reste une déficience, voire une absence totale de précipitation pendant plusieurs mois de l’année.
Comment en êtes-vous venus à créer des jardins d’aridité ?
Nous avons toujours entretenu une passion pour le végétal, en explorant la nature dans de nombreux pays, à la recherche de graines de différentes espèces. Nous travaillons dans les pays méditerranéens depuis plus de trente ans, en Egypte, Syrie, Tunisie, Liban…
Ainsi, nous avons été maintes fois confrontés à l’aridité du désert. Il nous a donc fallu réfléchir à la gestion de l’eau, à privilégier des végétaux qui ne demandent pas d’irrigation. Nous sommes arrivés au Maroc en 2000, dans la petite ville de Taroudant, entre la mer et la montagne. A l’époque, nous étions les premiers Français à nous réinstaller ici depuis le Protectorat, le village était inconnu des touristes, très authentique. Puis des amis sont venus s’y installer également, ils nous ont commandé des jardins, et c’est comme cela que tout a commencé. Au total, nous avons réalisé une trentaine de jardins au Maroc.
En réaction au fonctionnalisme radical, l’architecte moderniste mexicain Luis Barragan (1902-1988) parlait d’«architecture émotionnelle» en dessinant des lieux qui offraient une élévation spirituelle. Vous parlez souvent de «jardin émotionnel», titre d’un de vos livres. Que cela signifie-t-il ?
La fonction naturelle du jardin est l’émotion. Le jardinier sait qu’il fait son jardin pour s’émouvoir et émouvoir ses visiteurs. Tous les plaisirs de la vie, et aussi beaucoup de déceptions, sont au jardin. Mais quand je sème une graine, je pense à la plante qui va pousser, pas à la chenille qui va l’anéantir. On crée un jardin avec espoir et sans aucune résignation.
Le jardin émotionnel fait référence au manifeste de l’architecture émotionnelle de l’artiste Mathias Goeritz en 1954, qui refusait de réduire l’homme à sa seule dimension matérielle. Le Mexicain Luis Barragan partageait ses inquiétudes, et s’associa à Goeritz pour bâtir le musée El Eco au centre de Mexico, conçu comme une «sculpture occupable» dont le principal objectif était de susciter de la part des usagers une réponse émotionnelle. En avril dernier, nous avons inauguré Le jardin émotionnel pour le Festival International des jardins de Chaumont-sur-Loire (jusqu’au 3 novembre), un espace inspiré par le modernisme mexicain, qui nous fascine et nous inspire.
Quels conseils donneriez-vous pour réaliser un jardin face au réchauffement planétaire?
Il faut être vigilant dans le choix des végétaux, qui doivent être adaptés au sol et au climat. Avec le changement climatique, nous devons réfléchir à des plantes qui peuvent supporter la sécheresse. Le plus grand ennemi du jardin c’est le gazon, car c’est lui qui consomme le plus d’eau. A titre d’exemple, un gazon consomme vingt fois plus d’eau qu’une piscine pour son entretien, à superficie égale.
Dans nos jardins, nous le supprimons complètement, en le remplaçant soit par des prairies qui dessèchent en été mais ne meurent pas (contrairement à une pelouse) soit par des graviers, ce qui évite le désherbage. On peut également le remplacer par des terrasses en bois, des pierres ou céramiques. On dit souvent qu’il faut privilégier les plantes natives, mais en réalité elles ne sont souvent plus adaptées au climat actuel et peuvent être attaquées par des insectes. Nous utilisons aussi des plantes exotiques, qui ne sont pas forcément invasives, d’ailleurs celles qui le sont sont supprimées du marché.
N’allez pas contre la nature mais apprivoisez celle que vous offrent les lieux. Créez un jardin avec cœur, conjuguez-le avec l’architecture, laissez-le rentrer chez vous. N’hésitez pas à planter un figuier en pied de mur, à disposer des pots d’herbes aromatiques près de la cuisine, à poser un banc à l’ombre d’un arbre, pour vous reposer après une séance de jardinage ou une journée qui ne s’est pas passée comme vous l’auriez souhaité.
Comment entretient-on un tel jardin ?
Tout d’abord, créer un jardin demande de l’attention. Si vous ne voulez pas vous en occuper, alors ne faites pas de jardin! La première année qui suit la plantation est la plus critique, les plantes ont besoin d’être bien irriguées pour lancer leur pousse, la deuxième année aussi, si possible.
Par contre, stop aux arrosages automatiques qui fonctionnent de la même manière par temps sec ou pluvieux. Privilégiez la commande manuelle. Au bout de cinq ans, on ne doit plus beaucoup s’occuper d’un jardin, et après dix ans normalement on ne s’en occupe plus. Nous atteignons alors ce stade où le jardin retrouve son équilibre naturel, où les végétaux occupent la place qu’ils ont dans la nature, se développent, ressèment: c’est le cycle naturel. Un équilibre qui favorise également la diversité animale et la diversité des insectes. Observez les floraisons inattendues, écoutez les oiseaux. Confondez votre cœur avec celui du jardin.
En Bref
Ces deux Français sont architectes-paysagistes et auteurs.
Ils sont spécialisés dans la conception de jardins et de paysages dans les climats arides et méditerranéens.
De renommée mondiale, leur travail a été récompensé à plusieurs reprises. Par exemple, leur roseraie pour le pavillon franco-syrien a remporté le premier prix à l’Exposition internationale de fleurs à Damas en 2003. Leur conception du square de Cluny à Paris a également été primée.
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