Antonio Citterio (74 ans) a étudié l’architecture à Milan, et en sa qualité de cofondateur de ACPV Architects, il travaille sur des bâtiments publics et privés et des intérieurs dans le monde entier. Mais il est surtout connu en tant que créateur de meubles pour des marques de design italiennes comme Flexform, avec laquelle il collabore depuis plus de cinquante ans.
« Tu ne gagneras pas un centime »
Je suis heureux que mon père ait assisté aux débuts de ma carrière. Il était fabricant de meubles et a été déçu quand je lui ai annoncé que j’avais d’autres projets. Après tout, cela signifiait la fin de l’entreprise familiale. En outre, la profession de designer n’en était qu’à ses balbutiements à l’époque. Les fabricants de meubles copiaient les styles du passé, alors que proposer quelque chose de nouveau évoquait plutôt l’art à mon père. «Tu ne gagneras pas un centime», disait-il. Mais il en allait de moi comme de mes enfants aujourd’hui: chacun doit trouver sa propre voie. Un projet ne tient pas seulement à un visuel, il doit aussi et surtout être au service des gens. L’architecture spectaculaire et les formes audacieuses ne signifient rien pour moi. Et j’ai besoin de clients qui comprennent cela.
Interactions
Je me sens parfois un peu comme un anthropologue. Tout ce que je fais tourne autour des gens: comment ils interagissent avec les bâtiments et les objets et ce que ces derniers leur évoquent.
Acte d’humanité
Le design est une forme d’histoire de l’humanité. On construit sur des bases existantes, et par de petites améliorations, on contribue à laisser une marque de notre époque. C’est pourquoi il est important de transmettre son savoir, ce que j’ai essayé de faire en enseignant à l’université et en formant mes collègues. C’est certes de l’égocentrisme, une tentative de faire perdurer son savoir-faire après sa mort. Mais c’est aussi un acte d’humanité rendant le progrès possible. Aussi arrogants et ignorants que nous soyons jeunes, sans connaissance du passé, nous ne pouvons pas résoudre les problèmes d’aujourd’hui.
«Sans connaissance du passé, nous ne pouvons pas résoudre les problèmes d’aujourd’hui.»
Un hobby
J’ai la chance de ne jamais cesser d’apprendre. Cela demande passion et curiosité, mais quand ces éléments sont réunis, l’architecture et le design deviennent un hobby plus qu’un travail. J’adore voyager, par exemple, pour étudier le travail de personnes comme Philip Johnson, Mies van der Rohe ou Louis Kahn. Sur place, j’esquisse leurs bâtiments. Cela me permet de mieux les comprendre. Constater que l’on comprend ce que l’on voit procure un sentiment incomparable.
Une alchimie
Les designers et architectes ne sont pas des génies qui font tout eux-mêmes. Nous travaillons sur des projets tellement complexes que nous avons besoin de nous entourer d’autres visions et compétences. Pour moi, la pandémie n’a donc pas facilité les choses, car l’augmentation du travail à domicile se fait au détriment du dialogue et du travail en équipe, et donc du processus créatif. En outre, chaque collaboration repose sur la confiance: j’élabore un design différent pour chaque client, simplement parce que mes relations avec eux sont différentes. Cela demande de laisser de la place pour qu’une alchimie se crée.
Un monde un peu meilleur
Nous avons trop de tout. C’est pourquoi, pour moi, un bon design est un design intemporel et facile à entretenir. C’est la seule façon d’apporter une contribution positive en tant que designer aujourd’hui. Mais il faut rester optimiste dans notre profession. Quoi que vous fassiez en tant qu’architecte ou designer, vous devez au moins croire que vous pouvez rendre le monde un peu meilleur.
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Un instantané
La perfection est une illusion. Dans tout processus de conception, on arrive à une conclusion à un moment donné, mais on sait aussi qu’il ne s’agit que du meilleur résultat possible à un instant T. La technologie évolue constamment, et de nouveaux matériaux plus durables arrivent sans cesse. Il se peut aussi que nos habitudes changent, comme en témoigne par exemple le rôle de plus en plus central de la cuisine dans nos vies. Dès lors, chaque conception est un instantané: il est toujours possible de l’améliorer et de l’adapter.
« Ne vous croyez pas plus intelligent que les autres »
Dans la vie, il faut savoir rester humble. A l’université, la première chose que je disais à mes étudiants était «ne vous croyez pas plus intelligent que les autres. Ce que vous obtenez n’est pas si important. Ce qui restera après, c’est ce que vous êtes aux yeux des gens qui vous connaissent vraiment et qui restent à vos côtés».
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