Dorte Mandrup, architecte engagée
L’architecte danoise Dorte Mandrup (61 ans) crée des bâtiments à l’esthétique puissante tout en mettant la durabilité au coeur de ses projets. Rencontre sans langue de bois avec une femme engagée socialement et écologiquement.
Architecte avant tout
« Je suis architecte, je ne suis pas une femme architecte. En revanche, il existe une masculinité toxique en architecture qui mène à des façons de penser toxiques: «Faisons une tour d’un kilomètre», «Allons coloniser Mars»… Il y a une manière d’élever les garçons qui mène à cette situation où certains chercheront toujours à en impressionner d’autres avec des projets mégalos. Ça donne des gars comme Elon Musk aux objectifs stupides. Pourquoi vouloir aller sur Mars quand il y a tant de problèmes à régler sur Terre? S’y consacrer paraît sans doute moins sexy ».
Halte au green washing
« Le projet Neom en Arabie saoudite est de la pure folie! Je ne comprends pas comment de grands architectes peuvent se lancer là-dedans. Ils prétendent bâtir une ville durable et auto-suffisante en plein désert. Mais il ne suffit pas d’avoir des panneaux solaires pour cela. Le pire est que l’état saoudien déplace des milliers de gens et que des opposants sont tués. Ces boys clubs jouent avec notre avenir. Cela me met en colère ».
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Respecter le paysage
« La relation entre l’humain et le paysage est essentielle. Nous-mêmes sommes façonnés par le climat et la lumière, et tout ce que nous mangeons vient de la terre. Nous sommes connectés! L’idée que la nature et la culture seraient opposées est dépassée. Avec mon équipe, j’ai construit The Whale, en Norvège, c’est bien sûr de la «culture». Mais c’est aussi un building qui tente d’être une colline. Etre confronté aux grands horizons arctiques, comprendre qu’il nous serait impossible d’y survivre sans avoir les connaissances qu’en ont par exemple les Inuits, m’a fait ressentir la fragilité de l’humain et de la nature. D’ailleurs, les baleines également ont leur culture. Elles communiquent ensemble ».
Tête à tête avec un architecte
Dorte Mandrup était récemment à Bruxelles pour donner une conférence dans le cadre du programme Lunch with an Architect, qui propose régulièrement des rencontres avec de grands noms de l’art de bâtir dans le paquebot de Flagey, à Bruxelles. L’occasion pour les professionnels et les curieux de découvrir le travail d’un bâtisseur de talent, puis d’échanger de façon informelle avec lui lors d’une réception.
Ce 19 juin, ce sera au tour d’André Kempe du bureau néerlandais Kempe Thill, de venir dans notre capitale pour présenter sa façon d’envisager le paysage et le construit. Lancé en 2000 à Rotterdam par deux Allemands, suite à un concours gagné dans cette ville, le studio compte désormais plus de 50 personnes, aux Pays-Bas et à Paris. Cette agence travaille sur du logement groupé et des projets mixtes, notamment à Anvers Zuid. Elle réalise aussi des commandes publiques, toujours avec une conscience aigüe des économies de moyens et un respect autant du territoire que du budget et de l’environnement. Elle a également réalisé des rénovations audacieuses, à l’image de celle pour le Cirque d’hiver de Gand.
Info et réservations : https://lunchwithanarchitect.be/
Oublier le béton
« La durabilité n’est pas une question d’émotion, c’est de la science. En termes d’émissions de CO2, le béton est le «big sinner» à n’utiliser que là où il est nécessaire. Dire qu’il va durer deux cents ans ne suffit pas pour le déclarer durable. Il faut pouvoir mettre tous les chiffres sur la table avec honnêteté, comparer les faits et les partager. Nous avons désormais les outils pour calculer cela. C’est notre seule voie pour affronter la crise climatique, qui nous concerne tous. C’est une question de justice sociale, car nous savons que les populations les plus pauvres seront plus affectées ».
Pourquoi vouloir aller sur Mars quand il y a tant de problèmes à régler sur Terre?
Viser la neutralité carbone
« Copenhague a l’ambition d’être la première capitale neutre en carbone mais je n’y crois pas. Quand je suis là-bas, je constate que les vrais efforts ne sont pas encore accomplis. Il y a beaucoup de blabla et pas encore de changement radical. Je comprends que ce soit complexe pour les constructeurs. Ils optent pour la sécurité. Sans obligation politique, avec des objectifs clairs et chiffrés, nous n’y arriverons pas. Il faut une vraie vision à long terme ».
Un acte d’amour
« Heureusement, l’architecture peut être magnifique. Personnellement, je rêve de visiter ce mémorial de Peter Zumthor et Louise Bourgeois, dressé au nord de la Norvège et dédié aux prétendues sorcières qui y ont été brûlées au XVIIe siècle. Le but de toute création est de dégager un message transcendant. Si vous construisez une chose aussi banale qu’une plate-forme où les gens se réunissent pour regarder un coucher de soleil, quelqu’un là-bas pourra peut-être ressentir qu’il y a, derrière cette architecture, un acte d’amour ».
Le sens du collectif
« Les jeunes générations sont plus attirées par le collectif que par l’envie d’être des stars. Je suis enseignante et c’est ce que j’observe auprès de mes étudiants ou de ma fille, qui est aussi architecte. J’ai rencontré il y a peu un collectif à Milan qui réfléchissait à la manière de laisser la nature regagner des espaces urbains abandonnés. Ma génération se serait demandé quoi y construire. Eux ne cherchent pas à être héroïques ».
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