Immersion dans la nouvelle école d’architecture de Kigali
A Kigali, au Rwanda, une étonnante faculté en béton et pierre de lave qui forme la future génération d’architectes et urbanistes vient de surgir de terre. Un projet sans équivalent dans le pays, à mi-chemin entre avant-garde et tradition locale. Visite des lieux, quelques jours après la rentrée des classes…
Depuis la route KN7, étroit sillon creusé au milieu de la végétation tropicale, on aperçoit du vert et encore du vert. Rien qui ressemble aux puissants blocs orange qui composent la nouvelle faculté d’architecture de Kigali, imaginée par le Français Patrick Schweitzer. La réponse est en hauteur. Il faut contourner l’ancien bâtiment universitaire du CST, le College of Science and Technology, gravir quelques volées de marches bancales pour rejoindre en contre-haut le site qui domine la colline la plus élevée de la capitale rwandaise. Une ancienne caserne militaire occupait le plateau avant que les pelleteuses ne se mettent à l’oeuvre. Le résultat, qui s’étend sur 5.600 m² au milieu des herbes et de la terre battue, est surprenant. Le campus est une étonnante juxtaposition d’îlots en béton peint et en pierre de lave. « C’est un projet audacieux qui n’a pas d’équivalent ni dans le pays ni ailleurs », s’enthousiasme Yannick Miara, architecte franco-belge installé à Kigali qui fut en charge du suivi de chantier.
Prise de conscience
Financé par la Banque africaine de développement (BAD) pour le compte du ministère de l’Education, la bâtisse est l’illustration des ambitions économiques du Rwanda. Dopé par des investissements chinois colossaux, le Pays des mille collines, dirigé d’une main de fer par Paul Kagame, se veut un modèle de développement pour l’Afrique. L’Etat rénove à grands frais ses routes et ses hôpitaux, multiplie les « master plans » et prévoit la construction d’un nouvel aéroport international. Les créanciers sont confiants: à Kigali, l’ordre et la sécurité règnent comme dans peu de capitales de la région. Même si une personne sur trois souffre encore de malnutrition dans le pays, selon les Nations-Unies. Et l’architecture dans tout cela? La prise de conscience est récente. Avant 2009, aucune formation ad hoc n’existait ici. Les aspirants partaient suivre leur cursus à l’étranger, la plus souvent à Kinshasa, en République démocratique du Congo.
Les étudiants doivent s’inspirer de leur histoire pour bâtir le futur.
En 2012, le gouvernement rwandais lance un appel d’offre pour ériger une école prête à accueillir la future génération d’architectes et d’urbanistes dont le pays aura bientôt besoin. D’ici 2050, la population passera de 12 à 22 millions d’habitants pour un territoire grand comme la Belgique. C’est l’agence Schweitzer et associés, basée à Strasbourg, qui remporte la compétition internationale avec son projet d’alignement de prismes tronqués inspirés par la silhouette des volcans rwandais. L’hommage aux cratères? Le commun des mortels n’y verra que du feu si l’on ose dire. L’endroit fait davantage songer à un village traditionnel africain, avec ses cases et sa rue centrale, mais revu sur le mode expressionniste. Au programme: lignes brisées, passerelles qui prennent la ligne de fuite, toits en déséquilibre et béton brut. Et même si c’est un contractant chinois qui a remporté le marché de la construction de la faculté – les inscriptions en mandarin sur le campus en témoignent! -, voilà qui change radicalement des bâtis en carton-pâte et des tours tout en vitres réfléchissantes qui abondent dans le centre de Kigali. « Il faut faire prendre conscience aux étudiants que cela ne sert à rien de copier ce qui se fait à Dubai ou en Europe, préconise Manlio Michieletto, doyen de la faculté. Ils doivent s’inspirer de leur histoire pour bâtir le futur. »
Une notion confuse
Patrick Schweitzer et son équipe l’ont bien compris. Par leur forme conique, les « volcans » offrent un système de ventilation naturelle qui fut longtemps la règle dans l’habitat tropical avant d’être délaissé pour l’air conditionné… Dans un souci de privilégier les ressources de proximité, une centrale à béton a été installée sur le site durant les travaux avec des matériaux provenant du pays. Mais puiser dans le contexte local n’empêche pas de regarder ailleurs. Le jour de notre venue, un groupe d’étudiants de 4e année travaille sur un tracé que Le Corbusier a imaginé en 1948 sur le massif de la Sainte-Baume, en Provence. « Il s’agit d’un projet non réalisé d’une basilique et de logements que les élèves doivent adapter à une colline de la région de Kigali », explique, dans le studio N°4 du premier étage, Sandro Grispan, professeur en « urban and regional planning »: « C’est un exercice de transposition qui permet de partir du territoire pour aller vers l’architecture. » Dans un coin de la pièce baignée de grands aplats couleur lilas, un groupe s’attelle à la confection d’une maquette de la colline. Pour favoriser peut-être l’inspiration, une réplique du Modulor, la silhouette humaine standardisée par Le Corbusier, a été accrochée au mur.
Parmi les futurs professionnels, il y a Marius, 22 ans, frêle silhouette et pull Pierre Cardin sur les épaules. Comme ses camarades, il se réjouit du cadre stimulant de l’université. Pourtant l’envers du décor n’est pas aussi rose que la teinte « pinky » de certaines salles de classe… La bibliothèque compte plus d’étagères que de livres, le réseau Wi-Fi est toujours en attente de branchement et le manque d’équipement est patent. Ce qui n’empêche pas l’optimisme. D’ici un an et demi, Marius achèvera son cursus et se lancera dans la vie active. Avec confiance. « Au Rwanda, l’art de bâtir est une notion encore confuse pour les gens mais les choses sont en train d’évoluer favorablement, les mentalités changent peu à peu », dit-il. Et de citer en exemple l’architecte rwandais Christian Benimana (lire par ailleurs), 35 ans, grand défenseur d’un modèle écoresponsable en Afrique. Formé à l’université de Shanghai, il a initié, il y a dix ans, un réseau d’ingénieurs, designers et d’architectes entre Kigali et Boston, aux Etats-Unis, baptisé MASS pour changer les pratiques architecturales. Le collectif est à l’origine de l’hôpital de Butaro (2011) ou de l’école primaire de Ruhehe (2018), loués pour leur qualité esthétique et leur adaptation au contexte. Des initiatives vertueuses que Benimana aimerait voir se multiplier. « On a besoin d’une communauté entière d’architectes et designers africains qui fournisse encore des milliers d’exemples », appelait de son voeu le Rwandais lors d’une conférence en 2017 à Vancouver.
Au Rwanda, l’art de bâtir est une notion encore confuse pour les gens mais les mentalités changent.
Pour accélérer le mouvement, le Président Kagame n’hésite pas à décrocher son téléphone. Il y a quelques mois, le chef d’Etat a appelé lui-même le fondateur d’un centre français de recherche médicale afin de le convaincre de créer une filiale de son institut ultrapointu à Kigali. L’IRCAD, déjà implanté à Taïwan et à Rio, devrait ouvrir ses portes dans la capitale rwandaise en 2020. Et si le projet a des airs de ressemblance avec les « volcans » de Patrick Schweitzer, c’est tout simplement qu’il s’agit du même architecte.
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