L’Afrique, berceau de l’inventivité
Sur le continent noir, une architecture contemporaine se fraie, lentement mais sûrement, un chemin. Face aux défis démographiques et climatiques sans précédent, des concepteurs de talent apportent des solutions innovantes et adaptées aux lieux, bien loin du tape-à-l’oeil du catalogue occidental.
C’était le 24 septembre 2016. A la tribune, Barack Obama, alors encore président, prenait la parole pour inaugurer le Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaine, à Washington. Un édifice monolithique, couvert de bronze perforé, qui raconte la contribution du continent noir et de sa diaspora aux Etats-Unis. Métaphoriquement, le parcours débute au sous-sol pour évoquer le sujet de l’esclavage, pour ensuite grimper vers les étages, mettant en avant ce que ces personnes venues d’autres terres apportèrent à la première puissance économique mondiale, en termes commerciaux, militaires, culturels ou sportifs.
Derrière le dessin de cette institution hautement symbolique : un nom, celui de David Adjaye, qui fait de plus en plus parler de lui, au point d’être susceptible, selon certains, de recevoir le Pritzker Prize, soit l’équivalent d’un Nobel, en art de bâtir. C’est que l’homme, né en 1966 à Dar es Salaam, en Tanzanie, a su tracer sa route à l’échelle planétaire. Suivant son père, ambassadeur du Ghana, il a grandi entre l’Ouganda, le Kenya, l’Egypte ou encore l’Arabie saoudite avant d’étudier au Royal College of Art, à Londres, et d’y établir plus tard son cabinet… » Je suis ce que je suis. Je suis né en Afrique, j’ai grandi et étudié en Occident. Le reste relève de votre interprétation « , répondait-il en 2015 au journal Le Monde qui l’interrogeait sur le fait qu’il se considère ou non comme » un architecte africain « . Et d’apporter malgré tout un regard éclairé sur ses contrées d’origine : » Dans ce continent en transition, qui est en train de trouver sa place dans un monde moderne tout en affirmant son identité, l’architecte peut concrétiser ce désir de modernité entamé par les pères des indépendances et aujourd’hui exprimé dans les arts. L’Afrique n’est pas intéressée par la préservation mais par le progrès, ce qui est excitant. »
Si le Britannico-Ghanéen refuse à se positionner clairement en fer de lance du renouveau créatif qui pointe là-bas, il nourrit néanmoins plusieurs générations de créateurs d’idées et d’espoirs. Et même s’il est impossible de généraliser, l’Afrique étant un territoire aux multiples facettes, peut-être plus encore que l’Europe, il est évident qu’il y souffle un vent neuf et plein de bon sens.
Tout à construire
Si l’on regarde dans le rétroviseur, on comprend aisément que cette partie du globe a mis longtemps à aborder la question de l’architecture. Immobilisée par le poids des puissances coloniales, puis par leur lourd héritage, mais aussi par les crises et les guerres à répétition, une réflexion sur l’esthétique et la fonctionnalité des buildings ne fut pas la première préoccupation… Si la donne est en train de changer, c’est peut-être avant tout parce que la problématique du logement, et de l’urbanisation de ces plaines et vallées autrefois sauvages, devient brûlante. Selon ONU-Habitat, le Programme des Nations unies pour les établissements humains, alors que dans les pays de l’OCDE, 80% des bâtiments qui seront occupés en 2050 existent déjà, en Afrique, 80% de ceux-ci ne sont pas encore construits !
Dans une conférence TED, datant de 2017, le Rwandais Christian Benimana, du bureau MASS, insistait aussi sur ces statistiques à donner le tournis. Ayant étudié à Shanghai, où il a pu observer tous les déboires d’une croissance urbaine trop rapide et aveuglée par le profit, il relate son retour à Kigali en ces mots : » J’ai découvert, en 2010, un développement frénétique, qui suivait un modèle similaire à celui vu en Chine. Le pays connaissait, et connaît toujours d’ailleurs, un boom économique et démographique sans précédent. La pression sur la construction des villes était à son maximum. Et c’est une réalité sur tout le continent africain. D’ici 2050, sa population devrait doubler, pour atteindre les 2,5 milliards d’individus, ce qui nécessitera des infrastructures énormes. On parle de 700 millions de nouveaux logements, de 300 000 écoles et de 100 000 centres de santé. » Et d’appeler de ses voeux » un modèle exclusivement africain de développement durable et équitable « .
Une vision idéaliste certes, mais qui est en train de se répandre jusqu’aux côtes les plus méridionales d’Afrique du Sud. Parmi les visages emblématiques de ce courant, on peut citer sans hésiter Diébédo Francis Kéré, choisi en 2017 pour réaliser le pavillon d’été éphémère des Galeries Serpentine, à Londres, un privilège réservé chaque année à un créateur de talent. Le Burkinabé, naturalisé Allemand et basé à Berlin désormais, réinvente avec brio les techniques traditionnelles de sa patrie, notamment dans son village natal, Gando (lire par ailleurs). En 2014, lors d’un entretien diffusé dans l’exposition parisienne Réenchanter le monde : architecture, ville, transitions, au Palais Chaillot, il disait : » La terre est utilisée depuis des générations chez moi, au village, mais les locaux la rejettent car ils ne voient pas en elle l’innovation et elle ne résiste pas aux pluies. Quand je suis revenu à Gando pour construire, j’ai pensé à comment réintroduire ce matériau de telle sorte que pendant la saison humide, il ne soit pas détruit… De là est finalement née une esthétique et à mon grand bonheur, les habitants ont aimé. Pour que les gens adoptent un concept, il faut travailler avec eux et intégrer ce projet dans leur quotidien et leur culture (…) Maintenant ils sont en mesure à leur tour de transmettre cela à d’autres et ils n’ont plus besoin de moi. Tout devient cher dans ce monde, les matériaux comme la façon de faire. Il faut qu’on ait le courage de penser autrement. »
Et c’est vraiment cette volonté d’ouvrir le champ des possibles et de ne pas suivre les standards capitalistes qu’on retrouve dans le discours de nombreux professionnels du secteur. Ainsi, la Nigérienne Mariam Kamar ( lire par ailleurs) affirme, elle aussi : » L’architecture doit être adaptée à l’environnement tout en permettant aux locaux de se projeter dans l’avenir. Son pouvoir en termes de culture et de représentation d’identité est très fort. L’économie est en plein boost sur le continent africain pour l’instant, et nous pourrions en profiter pour repenser ces infrastructures en tenant compte des besoins réels, du climat… « .
Une formation à relocaliser
Si Christian Benimana, qui a d’ailleurs initié l’African Design Center, une démarche collective en faveur d’une réflexion sur l’architecture de qualité, suit cette envie de faire avancer les choses dans sa région, il déplore néanmoins que les initiatives peinent à s’y faire entendre : » Beaucoup de confrères soutiennent que ces changements sont nécessaires. Malheureusement, leurs messages ne sont pas souvent perçus, à cause du besoin urgent de développement rapide et de solutions faciles. La plupart d’entre eux restent anonymes ou évoluent dans des cercles très spécifiques. » Et de raconter l’histoire de quelques précurseurs tels que le Sénégalais Jean-Charles Mamadou Tall, qui a fondé l’école d’architecture à Dakar après que les autorités eurent décidé de fermer l’unique établissement axé sur l’art de bâtir du pays. » Il avait peur qu’il n’y ait plus assez de nouveaux confrères au Sénégal. Le gouvernement avait dit que les aspirants pouvaient bénéficier d’une bourse pour aller en France, mais ce n’est pas une bonne idée car les programmes dans l’Hexagone ne peuvent pas former les locaux à trouver des solutions adaptées à leur région. »
C’est en effet là l’une des problématiques que cette nouvelle génération essaye d’enrayer : celle d’une formation plus en phase avec le terrain. » Le programme de toutes les écoles d’architecture que je connais est basé sur le système anglo-saxon très daté et hérité du colonialisme, déplore Christian Benimana. Il y a deux scénarios : des Africains qui ont fait leurs études hors du continent et donc dans un autre contexte, et ceux qui sont restés mais qui ont quand même suivi un programme non adapté. C’est néfaste pour la confiance des jeunes qui se lancent dans le métier et qui pensent qu’ils peuvent changer les choses ; ils ne sont pas équipés pour innover seuls. Il faut leur montrer les quelques exemples de réussites, plus en parler dans les médias, les écoles… pour qu’ils osent à leur tour. »
Des idées à partager
Autant de témoignages prouvant l’urgence de renforcer la communication autour de l’architecture africaine actuelle et de ses succès. C’est dans cette optique qu’a été lancée la plate-forme Internet Archicaine.org. Derrière ce projet, Steve Kotey, un Béninois formé à Grenoble. » Lorsque j’étais étudiant, de 2007 à 2013, nous devions régulièrement trouver des références de bâtiments pour alimenter nos recherches, raconte-t-il. J’ai ainsi appris à travailler dans un contexte occidental. Mais quand j’ai essayé de transposer cela à l’Afrique, je me suis rendu compte qu’il n’existait aucun support ou magazine montrant ce qui était construit là-bas. Même Francis Kéré n’avait pas encore la visibilité qu’il a désormais. Il y avait un vide. » C’est ainsi que l’homme eut l’idée de monter ce site Web, qu’il continue à alimenter en projets » contemporains et africains, qui ne soient pas des copies de modèles occidentaux mais adaptés aux spécificités locales « .
Pour lui, une expression contemporaine est bien présente en Afrique. Aujourd’hui, le Web permet d’y avoir accès » même au fin fond de Bamako » et une diaspora initie » des projets privés de qualité « , dit-il. Le concepteur estime également que » le regard des pouvoirs publics a évolué. Mais cela dépend aussi de qui conseille les représentants du pouvoir ; certains restent dans une optique ingénieure. Il y a aussi une réalité : les projets publics sont souvent donnés à des agences étrangères. On ne laisse pas la chance aux locaux de montrer leur savoir-faire. Je pense que cela doit passer par une sensibilisation plus large des politiques et du public à cette culture. »
Le continent noir constitue donc bien le berceau d’une nouvelle manière de voir la construction et son rapport à l’environnement. Reste à ces représentants à mieux valoriser leurs oeuvres… Et à l’Occident à en tirer des leçons, comme le souffle Christian Benimana : » L’artisanat et la durabilité sont des mots qui reviennent très souvent pour parler de l’unicité de l’architecture de nos contrées. Mais il ne faudrait pas que cela signifie que nos confrères, ailleurs sur la terre, ne soient pas attentifs à ces notions. C’est notre responsabilité à tous, où que nous soyons, de s’adapter aux ressources locales et au climat. » Bel exemple de sagesse africaine.
MASS Design Group: www.massdesigngroup.org
African Design Centre: www.africandesigncentre.org
David Adjaye au musée
Né en Tanzanie de parents ghanéens, David Adjaye est basé à Londres, construit aux quatre coins de la planète, mais conserve un regard éclairé sur l’architecture du continent noir. Il expose actuellement dans la capitale britannique, au Design Museum, sa vision des mémoriaux et monuments, à travers un parcours mettant en exergue sept de ses projets internationaux, mais également de grands édifices de l’histoire. Selon lui, aujourd’hui, les monuments ne sont plus des représentations statiques mais des espaces dynamiques qui offrent une large palette d’utilisations. » C’est une expérience accessible à tous. Que ce soit pour une nation, une communauté ou une personne, c’est un moyen de parler de ce à quoi les gens sont confrontés de par le monde. »
Making Memories, Design Museum, à Londres, www.designmuseum.org. Jusqu’au 4 août prochain.
3 questions à Mariam Kamara
A la tête de l’atelier Masomi, la Nigérienne est cette année la » protégée » de David Adjaye, dans le cadre du programme de mentorat Rolex. » Il a beaucoup influencé la manière dont j’aborde l’architecture, dont je parle de mon travail et dont je gère mon entreprise « , dit-elle.
Pourquoi avez-vous choisi l’architecture ?
En fait, c’est ma seconde carrière. Avant, j’étais développeuse en informatique. Ces études m’attiraient depuis l’adolescence, mais au Niger, ce n’était alors pas raisonnable de se lancer dans un cursus artistique. Je n’avais jamais rencontré un architecte. Plus tard, j’ai compris que cette discipline était bien plus qu’un parcours créatif, c’était une manière de contribuer positivement aux dimensions sociales, économiques, culturelles, voire politiques d’un endroit. Cela a été le déclencheur : je devais retourner à l’université et réaliser mon rêve.
En tant que femme, est-ce plus compliqué ?
Je pense que la difficulté est la même quel que soit le sexe, ici. Mon plus grand défi a été de trouver de nouvelles idées et solutions qui font progresser les expressions locales tout en conservant leur identité. Etre une femme peut parfois influencer la façon dont certains clients et collaborateurs me voient, mais cela ne dure généralement pas longtemps. En outre, maintenant que j’ai ma société, je n’ai plus besoin de me battre autant pour être entendue. Il y a très peu d’architectes féminines dans mon pays, ma responsabilité est donc encore plus grande.
Diriez-vous que la réflexion architecturale à l’échelle du continent africain est en marche ?
Il reste encore beaucoup à faire. Peu de pays peuvent se permettre économiquement d’investir dans des infrastructures semblables à celles du monde occidental, et ce n’est d’ailleurs pas nécessaire. Ce serait tout simplement intenable et ingérable pour des raisons budgétaires mais aussi liées au terrain. J’encourage les recherches autour d’une architecture durable, adaptée et inclusive.
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