Ce que l’obsession de votre (pré-)ado pour Drunk Elephant et Glow Recipe dit de l’état de notre société
Nul besoin d’être parent ni même de s’intéresser particulièrement au maquillage pour avoir entendu parler des Sephora Kids. En 2024, ces accros aux produits de beauté en culotte courte étaient partout, des rayons des boutiques aux réseaux sociaux. Et c’était bien triste.
Pour elles, le shopping est un sport d’équipe, et c’est ensemble qu’elles débarquent pour admirer les précieux trophées qu’elles rêvent d’ajouter à leurs collections. C’est que niveau beauté, elles en connaissent un rayon, et elles déroulent le glossaire des marques de niche avec une aisance d’expertes. Drunk Elephant, Laneige… Quand on aime, on ne compte pas, et puis si on compte sur un produit à la liste d’actifs aussi soignée que le packaging, il faut y mettre le prix.
Sauf que ces beautystas ne doivent leur peau de pêche que nul bouton ou pli ne vient troubler à aucune de ces crèmes, mais plutôt au fait qu’elles ne sont, pour la plupart, même pas pubères.
Ainsi va la vie des Sephora Kids, des fillettes obsédées par la beauté et plus précisément par la vision qu’en propose la célèbre chaîne de magasins, très présente en France mais pas chez nous, du moins physiquement – ce qui n’empêche pas les gamines belges de succomber au mouvement.
« C’est pas de ton âge »
Non contentes de prendre les rayonnages d’assaut, elles inondent aussi les réseaux de vidéos de ces «hauls» – entendez butin après une virée shopping –, qui ont fait cette année la une de nombreux journaux.
On en serait là, à couvrir un phénomène vieux comme le monde (moderne) et à dédier des articles entiers à la passion pourtant pas nouvelle des petites filles pour ce maquillage qui leur est souvent interdit?
Eh bien non, car cette «génération Sephora», contrairement à celles qui l’ont précédée, ne joue pas à se grimer en cachette en empruntant les produits de maman, pas plus qu’elle ne rêve de joues un peu trop rouges et de paupières nimbées de paillettes.
Leur obsession, ce sont les soins pour la peau, de la crème aux polypeptides Protini de Drunk Elephant à la gamme de produits au rétinol de Glow Recipe.
On est loin de la fascination des Millennials pour les gloss Juicy Tube de Lancôme, tant niveau budget que dangers potentiels. Car il est évidemment hautement déconseillé à des consommatrices enfantines d’avoir recours à des produits réputés pour leurs vertus anti-âge.
Parce qu’elles n’en ont pas besoin, mais aussi parce que dans le cas du rétinol, par exemple, l’effet resurfaçant qui rend leur éclat aux teints (adultes) fatigués a sur les peaux trop jeunes un effet abrasif qui fragilise la barrière cutanée.
Ou comment risquer de voir apparaître rougeurs et même brûlures sur des minois d’école primaire.
De drôles de poupées
Est-ce parce qu’elles savent qu’il s’agit là d’un caprice que la plupart de ces Sephora Kids se comportent de façon si odieuse avec le personnel, sommé de répondre à leurs exigences et de ranger le carnage qu’elles laissent sur leur passage?
Pas étonnant que, confrontés à leur comportement en boutique ou à la complexité ubuesque de leurs routines beauté, on se demande ce que font leurs parents.
Même si la question à se poser serait plutôt: et nous, que fait-on?
«On n’est curieux qu’à proportion qu’on est instruit», affirmait déjà Rousseau il y a trois siècles, et quand des gamines de moins de 10 ans en connaissent aussi long sur des produits pensés pour camoufler les effets du temps qui passe, ce que ça dit de notre société n’est pas joli-joli.
«De notre temps», c’est vrai, ce n’était pas pareil. «Mais enfin, à leur âge, moi je jouais encore à la poupée!», se récrie-t-on même peut-être, sans réaliser qu’elles font tout pareil, sauf qu’à l’ère 2.0, les poupées, ce sont elles.
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