On a testé la manucure russe controversée, et on a bien failli y rester

La manucure russe, un danger? Notre journaliste en a fait les frais - Getty Images
La manucure russe, un danger? Notre journaliste en a fait les frais - Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Avec plus d’un milliard de vues sur TikTok, la manucure russe est sans conteste la tendance beauté du moment. Problème: si elle affole (métaphoriquement) les nailistas, elle laisse aussi craindre le pire aux dermatologues, qui mettent en garde contre ses dangers.

Ongles aussi nacrés que l’intérieur d’un coquillage, cuticules disparues, et doigts comme affinés magiquement: si l’on en croit ses adeptes, toujours plus nombreu·x·ses, la manucure russe a tout bon… Enfin, tout dépend à qui on demande. Passée du secret d’initié au phénomène de mode grâce à l’amplificateur TikTok, la manucure russe est en effet sujette aux mises en gardes de dermatologues qui y voient un foyer d’infection potentiel, rien de moins. La faute à la technique à l’origine de sa popularité.

Comme l’explique Noémie Servatÿ, spécialiste de la pose artistique de vernis semi-permanent et créatrice de l’institut liégeois Le Garage, « la manucure russe est une technique de préparation de l’ongle avant d’appliquer le vernis semi-permanent ou le gel. On l’appelle ainsi car c’était surtout en Russie qu’elle était pratiquée avant d’arriver ici, et ce qui la distincue, c’est qu’il s’agit d’une manucure à sec, contrairement à une manucure classique où on utilise de l’eau et autres émollients pour le soin. Lors d’une manucure russe, on décolle les cuticules de la plaque de l’ongle à l’aide d’embouts et d’une fraiseuse, puis on les retire aux ciseaux ou aux pinces ». Résultat: ainsi débarrassés de toute peau qui les entoure, ou presque, les ongles semblent comme posés sur les doigts, lesquels, par effet d’optique, paraissent plus longs.

Sur TikTok, où la tendance ne fait que gagner en popularité, les vidéos extatiques se multiplient, les mains étant agitées devant une caméra qui zoome épisodiquement sur les ongles au son de commentaires ravis, entre « c’est fou comme mes doigts ont l’air plus fins et délicats » et « mon vernis ressort super bien », une inconditionnelle la qualifiant de « manucure traditionnelle ayant pris du crack », ce qui, étrangement, est un compliment.

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Gare aux dommages

« C’est la techique idéale pour les poses de vernis semi-permanent ou de gel, car le produits doit adhérer uniquement à l’ongle, donc en retirant toutes les peaux mortes ça permet de ne pas avoir de décollement », explique encore Noémie Servatÿ, qui, bien qu’elle ne pratique pas la manucure russe au sens propre dans son salon, s’en est inspirée pour ses mises en beauté, et y voit de nombreux avantages. « Pour les personnes qui ont tendance à s’arracher les peaux, on rend le contour de l’ongle net, et donc il n’y a plus de petites peaux mortes qui sont susceptibles de déranger. Cela permet également d’aller poser la matière au plus près des cuticules, voire en dessus, de sorte à retarder la visibilité de la repousse de la pose de vernis. On fait donc facilement sa retouche toute les 4 semaines plutôt que toutes les deux semaines ».

Mais alors, quel est le problème? Disons que la manucure russe a les inconvénients de ses avantages. Comprendre: tant la technique « à sec » que les outils à mouvements rapides utilisés peuvent causer des lésions à l’ongle ainsi qu’à la matrice qui l’entourent. Des lésions qui agissent comme des portes ouvertes pour les agents pathogènes, susceptibles de provoquer des infections.

Un lien de cause à effet dont Suzanne (prénom d’emprunt) a fait les frais. La cinquantaine coquette, elle a décidé de tester le nouvel institut ouvert dans son quartier et d’en profiter pour s’offrir une manucure en gel, elle qui d’ordinaire, ne porte aucun vernis, trop susceptible d’être abîmé par sa passion pour le jardinage. Et si l’accent prononcé de la technicienne qui lui a fait les ongles aurait peut-être pu la mettre sur la piste, le fait est qu’elle ne connaissait pas la technique de la manucure russe, et n’a appris qu’on lui en avait fait une qu’au moment d’admirer ses ongles à la fin du rendez-vous.

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Soin beauté ou acte médical?

« Tout de suite après, c’était très joli, mes doigts avaient l’air hyper soignés, sans la moindre petite peau, et ils semblaient plus fins, avec l’ongle bien mis en valeur » se souvient Suzanne. Sauf qu’il lui a à peine fallu le temps du trajet jusque chez elle, soit une dizaine de minutes, pour changer de ressenti. « Très vite, le pourtour de mes ongles s’est mis à gonfler, et le temps que je rentre chez moi, il était rouge et en relief. Je me suis dit que c’était probablement une réaction normale, vu que mes ongles avaient été limés et que sais-je, mais le lendemain, au réveil, c’était encore plus rouge, et certains doigts étaient chauds et douloureux ». Finalement, Suzanne n’aura pas seulement appris les termes « manucure russe » mais aussi « mal blanc », une infection qui s’est déclarée autour de l’ongle de son index gauche, et qui a « dégagée une odeur d’enfer pendant des jours avec écoulements de pus presqu’en continue ». La quinqua’ le jure: on ne l’y reprendra plus.

« Si tu vois une ligne rouge, c’est la septicémie »

Pour les besoins de cet article, notre journaliste, n’écoutant que son courage, a tenu à tester la technique dans un institut de la périphérie liégeoise spécialiste de la manucure russe et à en juger par elle-même. Verdict? Dès la fin de la procédure, les ongles, certes mis en avant et parfaitement vernis, ne donnent pas tant l’impression que les doigts sont plus fins que ceux-ci sont blessés. Tout le pourtour des ongles est en effet rouge et gonflé, et dans le cas de certains doigts, il est même douloureux, les limes ayant parfois abîmé la peau. Passée la guérison de ces petites plaies pas ultra agréables, et une fois le pourtour dégonflé (au lendemain de la manucure, tout de même) le résultat est en effet des plus élégants… Jusqu’à ce que quelques jours plus tard, les phalanges d’une des deux mains gonflent, se tordent et deviennent rouges et chaudes.

Diagnostic: une inflammation infectieuse des tissus, qui prendra une semaine d’antibiotiques et une vigoureuse remontrance de l’autorité médicale, ainsi qu’une mise en garde suite à la première consultation: « Si jamais une ligne rouge commence à se dessiner entre la main et l’avant-bras, il faut aller aux Urgences tout de suite, ça veut dire que cela s’est transformé en septicémie ». Une perspective tout sauf rassurante (qui n’est heureusement pas devenue réalité), accompagnée du questionnement interloqué du médecin généraliste chargé de soigner les dégâts: « Pourquoi choisir de subir une procédure pareille? C’est la porte ouverte à toutes les infections! ».

Mais comment expliquer que la pratique soit si populaire si elle est si dangereuse? Les millions (56.7, rien que pour les tutoriels) de vidéos postées sur TikTok sont-elles toutes filmées dans les secondes qui suivent la pose du vernis, avant l’arrivée d’effets secondaires délétères?

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Pour le dermatologue spécialiste des ongles et du nail art Vitaly Solomonoff, « il ne faut pas enlever la peau vivante qui entoure la plaque de l’ongle. La seule exception concerne les cas où l’excès de peau ou les ongles qui pendent peuvent devenir une source d’infection. Et de confier avoir réalisé avec son équipe « l’étude de plus de 300 cas de volontaires qui effectuaient régulièrement une manucure russe. L’étude s’est poursuivie pendant 38 mois (plus de 3 ans) avant d’aboutir à des résultats choquants: nous avons découvert que 91 % des volontaires présentaient des symptômes d’endommagement de la matrice ou du lit de l’ongle, entre dédoublement, crêtes horizontales et croissance lente de l’ongle. Des cas extrêmes ont même fait état d’une neuropathie douloureuse (lésions nerveuses) et d’une grande sensibilité ». Et de qualifier la procédure d’acte médical nécessitant « des connaissances spéciales, une formation et une compréhension de ce qui arrive à la peau et aux ongles lorsqu’ils sont attaqués par les bouts vibrants et tranchants des limes électroniques ».

Manucure russe, oui, mais prudence aussi

Autrement dit, si la manucure russe vous tente, il ne s’agit pas de la tester dans le premier institut venu, mais bien de faire des recherches aussi poussées que vous le feriez avant de prendre rendez-vous pour une procédure de médecine esthétique, par exemple. Avis de clients, reviews en ligne: savoir, c’est pouvoir se protéger au mieux de dangereux effets secondaires.

« Si on pratique la manucure russe sur des personnes qui se rongent les ongles ou qui s’arrachent les peaux, ça devient un soin réparateur, car sans la barrière qu’on recrée à l’aide du vernis, elle sont plus sujettes à avoir des infections en se blessant elles-mêmes » nuance encore Noémie Servatÿ. « Le tout, c’est d’avoir des outils désinfectés et stérilisés, être précise et douce dans ses mouvements en maniant la ponceuse et les outils. Mais aussi connaître toutes les anomalies des ongles et savoir comment agir en cas de souci ». Un ongle averti en vaut deux.

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