« Il y a quelque chose du N°5 dans tous les flacons Chanel »
En 1921, Gabrielle Chanel imagine pour le N°5 un flacon hors norme qui emprunte comme sa mode les codes du vestiaire masculin. Son design n’a pratiquement jamais changé depuis. Il a contribué à faire de ce parfum une marque à part entière. Sylvie Legastellois, directrice de l’identité graphique de Chanel, nous dévoile les secrets de sa longévité.
Imaginé par Gabrielle Chanel en 1921, le flacon original du N°5 inspiré selon la légende des flasques de whisky de Boy Capel, le grand amour de sa vie, n’a changé que cinq fois de look en 100 ans. « La première modification s’est opérée relativement tôt, rappelle Sylvie Legastellois, directrice de la création packaging et de l’identité graphique de Chanel. C’est aussi la plus visible et la plus spectaculaire. »
Qu’est ce qui a motivé ce changement?
Des raisons pratiques et techniques, essentiellement. Le flacon initial était complètement à contre-courant de ce qui se faisait à l’époque où l’on voyait plutôt des arabesques et beaucoup de fioritures. Il y avait un vrai contraste entre le richesse de la fragrance et la sobriété du flacon. En 1924, face au succès rencontré, il a toutefois fallu le modifier. Car sa finesse et la tension qu’il y avait dans les angles le rendaient trop fragile. Les femmes voulaient aussi pouvoir l’emporter partout avec elle. Il n’était pas là pour être placé dans une vitrine: il fallait qu’il soit à l’épreuve de la vie. Les chanfreins – soit les pans coupés dans les coins – ont été ajoutés pour consolider le flacon et ils sont devenus une vraie signature: en presque 100 ans, non seulement ils n’ont jamais disparu mais ils sont devenus des codes de Chanel que l’on retrouve désormais dans d’autres créations.
Comment expliquez-vous cette longévité qui semble défier le temps?
C’est vrai que lorsqu’on le regarde, on pourrait tout à fait le créer aujourd’hui. Sans doute parce qu’il était alors vraiment d’avant-garde. Et tous les changements que nous avons opérés lui ont permis si pas d’être en avance sur son temps au moins d’être totalement dans son époque. Notre devoir est de faire en sorte qu’il reste aussi désirable que lorsqu’il a été conçu. Nous nous devons aussi de penser à l’utilisateur. Il faut qu’il soit agréable à toucher, à manipuler. Sa beauté est au service de la fragrance qu’il contient.
Les trois derniers changements sont quasiment imperceptibles si l’on ne voit pas les dessins côté à côté…
En effet et pourtant il répondent bien aux codes esthétiques de leur génération. Si vous prenez celui de 1970, on voit bien la différence de bouchon : on arrive dans une époque industrielle où tout devenait plus riche, plus opulent jusque dans les collections de la maison avec les bijoux et les chaînes. Le graphisme de l’étiquette aussi va changer. C’est l’année où Chanel va décider de créer « son » alphabet, une police de caractère qui sera exclusive à la marque. Elle apparaît pour la première fois sur l’étiquette du N°5 et ne la quittera plus. Le N°5 avec ce nouveau graphisme devient comme une marque à part entière. Qui pourrait presque se passer du logo Chanel.
Vous n’avez pas voulu lui offrir un nouveau look pour son centenaire?
Cela n’aurait pas eu de sens de redessiner le flacon juste pour l’occasion. La dernière refonte date de 2011: c’est moi qui ai redessiné le bouchon pour le rendre plus minimaliste. C’est la seule chose qui a changé, il était devenu comme disproportionné. Depuis, nous l’avons seulement habillé de rouge le temps d’une édition limitée en 2018. C’était la couleur fétiche de Gabrielle Chanel, elle était déjà régulièrement présente dans les campagnes. C’est aussi le symbole de la passion. J’ai eu envie de donner corps à cette histoire d’amour entre le rouge et le 5. Il est né de cette histoire-là et cela n’avait jamais été fait avant. Pour le centenaire, nous avons toutefois prévu quelques surprises qui devraient donner à nos filles l’envie de se l’accaparer, d’en faire leur parfum. C’est important de le projeter dans les 100 prochaines années. En conservant l’idée de transmission.
Le flacon dont vous parlez est celui que l’on voit sur toutes les campagnes, celui du parfum. Qu’en est-il des autres versions de la fragrance?
L’icône, la référence absolue, c’est bien le flacon de l’extrait. Il a ceci de particulier que ses proportions sont toujours parfaitement respectées, quelle que soit sa contenance, du 7,5 ml au 900 ml. L’eau de parfum, L’Eau Première et L’Eau sont légèrement plus rectangulaires. L’eau de toilette est la plus élancée. Et son carré galbé au sommet est devenu partie intégrante la signature Chanel. On le retrouve dans toute la ligne de bain. Mais aussi dans les rouges à lèvres.
Pour rester moderne devra-t-il aussi devenir plus durable?
C’est en effet l’une de nos préoccupations quotidiennes. Nous avons de la chance d’ailleurs car la simplicité qui est de mise aujourd’hui dans les emballages a toujours été dans l’ADN de Chanel. Le packaging a toujours été sobre, même le carton qui entoure le flacon, cette chemise blanche avec peu d’encre. Le choix du verre et du carton fait que d’emblée il a toujours été éco-conçu même si ce n’était pas une décision consciente à l’époque. Le challenge est donc plus grand encore. Car le flacon a très peu de charge de verre, il est donc difficile d’en enlever. L’emballage blanc en carton provient déjà de forêts gérées. Tout est recyclable, le verre et le carton. Le challenge se trouve ailleurs: dans la quête d’un verre recyclé qui soit digne du N°5 et ne dénaturera pas le flacon.
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