L’homme nu, la virilité qui fait vendre

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Isabelle Willot

Habitées par les corps parfaitement sculptés de Narcisse modernes, les nouvelles campagnes de parfums masculins signent le retour de la virilité triomphante et originelle.

L'homme nu, la virilité qui fait vendre
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En posant nu en 1971 devant l’objectif de Jeanloup Sieff, Yves Saint Laurent voulait à coup sûr marquer les esprits, sans soupçonner qu’il institutionnaliserait de la sorte un véritable courant de la représentation masculine dans la pub. Ce fantasme de l’éphèbe, il le ravivera d’ailleurs dix ans plus tard en lançant Kouros, un parfum animal, né du choc visuel que fut, pour le couturier alors au sommet de sa gloire, la découverte lors d’un voyage en Grèce des statues géantes de jeunes gens au corps lisse et parfait sculpté dans le marbre blanc. L’argumentaire publicitaire de l’époque parle de parfum de vainqueur, de vaillance, de courage et de force. « Une certaine vision de l’homme est ainsi installée, détaille Philippe Marion, professeur de communication publicitaire à l’UCL. Celle de l’être physique – tout en muscles, sportif, souvent dénudé comme on a pu le voir encore par la suite dans les campagnes pour Acqua di Gio dans les années 90 et Allure Homme Sport de Chanel dans les années 2000 – par opposition à l’être dit social – la plupart du temps en costume, dans un contexte urbain. Ces deux modèles ne cessent de se réinventer. »

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Avec le lancement fin mai de Kouros Silver, Yves Saint Laurent tient clairement à réaffirmer sa place de premier jus mythique, voire mythologique, au sens littéral du terme. Une réponse à peine voilée à l’arrivée en juillet 2013 d’Invictus, de Paco Rabanne, présenté lui aussi comme le parfum d’un dieu du stade, conquérant, sûr de lui, capable même de faire pâlir d’envie tous les habitants de l’Olympe, auxquels il ravit les plus belles femmes. Adaptant en anglais le slogan d’origine – « les dieux vivants ont leur parfum » devient ici « fragrance for the living gods » -, le discours marketing qui accompagne « le retour du mythe » s’appuie même sur une liste de « 10 commandements » à destination de la version 2.0 du mec parfait, ce néo-Narcisse à l’ego triomphant, pas du tout gêné d’exhiber sa plastique, de préférence tatouée, sur les réseaux sociaux.

Profil viril

« C’est une sorte de surhomme qui n’a rien du super-héros, pointe Philippe Marion. Car il n’a pas du tout l’altruisme d’un Superman. On revient en fait aux « valeurs  » prônées dans les années 90 par Egoïste de Chanel dont le modèle au sexe caché dans une serviette de bain se battait à coups de flacon contre son ombre. Il n’y a plus de honte à s’aimer soi-même. » La peau humide et huilée pour mieux se rendre insaisissable et les muscles luisant d’effort rappellent également ceux des athlètes des premiers Jeux olympiques, passés maîtres dans l’art de la lutte. La guerre – celle des jus – est clairement déclarée.

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Loin d’être pointé comme un défaut, le narcissisme s’érige donc désormais en vertu, ce qui ne surprendra pas les chercheurs de l’Ecole de management de l’université de Buffalo, aux Etats-Unis. Au terme de trente ans d’enquêtes auxquelles ont participé plus de 475 000 sujets, ils ont en effet démontré la « supériorité » masculine en la matière. Un état de fait qui ne date pas d’hier et qui correspondrait aux attentes d’une société qui glorifie encore et toujours l’agressivité et l’autoritarisme chez les « vrais » hommes. « On en est tout cas aux antipodes de la figure du type fragile, efféminé tel qu’il a pu être valorisé dans le passé, insiste Philippe Marion. On assiste plutôt à une mise en scène frontale d’une virilité que l’on pourrait qualifier d’originelle, très différente de celle, urbaine, qui est présentée dans les campagnes de Bleu de Chanel ou de Boss Bottled, où la cravate s’invite en représentation phallique civilisée. »

Si l’on en croit les travaux des étudiants du cours de sémiologie de l’image fonctionnelle donné à l’université Laval, à Québec, ce serait d’ailleurs à ce type de figures que s’identifieraient plus aisément les garçons parce qu’elles ne remettent pas en cause, s’ils admettent s’y reconnaître, leurs préférences sexuelles. Les beaux gosses dévêtus plairaient par contre davantage… aux femmes, qui restent majoritairement prescriptrices en matière d’achat de parfums et de cosmétiques pour leur moitié.

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