La magie du matin: les multiples bienfaits de se lever aux aurores
5 h 30 : la journée commence. Au programme : méditation, lecture, écriture, yoga ou sport avant de démarrer. Bienvenue dans le monde des morningophiles, ces adeptes de l’aube qui s’offrent une heure de vie supplémentaire chaque matin. Décryptage.
Le sommeil, du temps perdu ? Oui, selon Hal Elrod, auteur américain du best-seller Miracle Morning (1), qui remet une vieille maxime au goût du jour, persuadé que l’avenir appartient plus que jamais à ceux qui se lèvent tôt. Epanouissement personnel, bonheur, bien-être, rentabilité professionnelle… sortir du lit chaque matin à 5 h 30 pour investir la dernière tranche horaire qui semblait encore épargnée par la performance serait le gage d’une vie réussie. Au point que la tendance, venue tout droit des Etats-Unis, déboule en Europe et fait des émules.
On se trouve hors du temps, dans une sorte de marginalité qui favorise la concentration.
La morningophilie, ou le choix de se lever tôt pour profiter pleinement de l’aube avant d’entrer dans le rush de la journée, devient la nouvelle mode à suivre pour faire la nique à la tyrannie de la vitesse. Le sous-titre de la version française de l’ouvrage est d’ailleurs évocateur : Offrez-vous un supplément de vie. Comme si ces heures » volées » au quotidien aidaient à prendre sa revanche perso sur le temps qui passe. C’est que l’auteur n’en démord pas : tout se joue avant 8 heures. Selon ce coach-star en développement personnel, » dédier un moment chaque matin à la personne que l’on souhaite devenir » permettrait de ne pas passer à côté de sa vie. Car ce qui manque cruellement à l’individu 2.0 hyperconnecté, c’est du temps pour soi. D’où cette ode à l’aurore, créneau horaire idéal et complice d’une existence épanouie et épanouissante. Le » before work » relègue du coup l' » after work » au rang de ringard et a déjà séduit plusieurs personnalités aux agendas ennemis, qui ne cessent de vanter les mérites d’un lever » tôdif « .
Selon Hal Elrod, Michelle Obama, Anna Wintour, Bill Gates ou, avant eux, Albert Einstein et Benjamin Franklin, tous ne jurent ou n’ont juré que par ces instants que l’on s’offre dès potron-minet. Plus près de chez nous, dans l’Hexagone, Marc Levy loue les mérites de l’aube dans la préface de l’ouvrage d’Isalou Beaudet-Regen, La magie du matin (2), au sous-titre très prometteur, L’heure qui va changer votre vie. La formule y est la même : la philosophe suggère d’avancer son réveil d’une heure pour vivre un vrai temps pour soi. » Cet espace libéré permet de retrouver sa véritable motivation : que ce soit de faire du sport, se poser, apprendre à méditer, se cultiver… C’est aussi le moment pour formuler clairement ses désirs et réaliser enfin les petits et grands projets qui nous tiennent à coeur. » L’auteure y propose tous les outils pour enclencher cette nouvelle habitude en fonction de son profil (étudiant, jeune maman, salarié, auto-entrepreneur, indépendant, senior…). Un clé-sur-porte pour installer des rituels matinaux aux super pouvoirs…
Mode d’emploi
Selon Hal Elrod, six étapes sont nécessaires pour atteindre le septième ciel, à savoir l’existence de nos rêves. Il les appelle d’ailleurs les » savers « , les sauveurs de vie. Rien que ça. Le silence (pour se recentrer sur soi, timing idéal pour faire des exercices de respiration profonde, méditer, etc.), la lecture (il conseille de privilégier les ouvrages d’épanouissement personnel), les affirmations (se dire des phrases qui expriment ce que nous voulons vraiment), la visualisation (se représenter ses objectifs et la personne que l’on souhaite devenir), l’écriture (tenir un journal intime pour donner de la cohérence et du sens à nos pensées et suivre leur évolution) et l’exercice physique (pour booster notre cerveau, on recommande le yoga, toujours dans l’optique de se rapprocher de soi-même, mais à chacun de trouver l’activité qui lui fait le plus plaisir). A priori, la méthode semble simple, voire simpliste. Selon l’expert, trente jours suffiraient à installer ces nouvelles habitudes matinales. Et pour ceux qui auraient peur de se rendormir, il existe même des applis anti-réendormissement pour éviter le snooze, cette fonction du réveil qui permet de le faire resonner toutes les 4 minutes. Une fois levé, il » suffit » ensuite de consacrer dix minutes à chacune des six étapes tous les matins.
Un rituel qu’a installé naturellement Jacques Mercier, auteur Des matins lumineux (3), ex-animateur à la RTBF et adepte de l’aube depuis bientôt quarante ans, après avoir été obligé de démarrer à 5 heures chaque jour dès 1978 pour animer l’émission radio Musique au petit déjeuner, de 6 à 9 heures. » J’ai gardé l’habitude de me lever tôt, sans mettre de réveil. J’ouvre un oeil et m’apparaît immédiatement tout l’intérêt de la journée qui s’ouvre à moi ! C’est d’abord un réel moment de réflexion. Je passe en revue l’état de mon existence, je fais le point dans tous les domaines. On se trouve hors du temps, dans une sorte de marginalité qui favorise la concentration. La vie normale, quotidienne, les heures de bureau n’ont pas encore pris possession de la journée. Tout ce qui peut nous aider à mieux occuper le présent, l’instant précieux est bon à prendre pour mieux savourer la vie « , explique celui pour qui l’avenir n’appartient pas nécessairement à ceux qui se lèvent tôt, mais à ceux qui aiment le faire et restent, comme lui, émerveillés par la magie du matin. » On assiste à la métamorphose magnifique de la nuit en jour. Ce passage est une naissance, une renaissance. » L’aurorophile (il préfère ce terme à l’anglicisme morningophile) se retrouve parfaitement dans les six étapes préconisées par Hal Elrod, et y voit d’ailleurs un idéal à atteindre. Au point de ritualiser ses aurores. » Chaque matin, je poste une pensée positive sur mes réseaux sociaux, c’est un excellent moteur. Pour l’anecdote, j’ai de nombreuses réactions et des abonnés fidèles… qui s’inquiètent quand je n’ai rien publié vers 5 heures ou 5 h 30 ! Je me sens lié à ce rite social, comme à une B.A scoute. »
Mode vs santé
Si l’aube devient une case horaire à part entière pour certains, on ne s’improvise pas lève-tôt pour autant. » Grappiller sur son temps de sommeil n’est jamais une bonne idée « , prévient le Dr Olivier Van Reeth, responsable du centre du sommeil à Edith Cavell, à Bruxelles, et directeur de recherches au CNRS. Et le spécialiste de rappeler que tout dépend de l’horloge biologique de chacun. Par ailleurs, il met également en garde contre l’effet de mode de la morningophilie : » Installer un nouveau rythme de sommeil, pourquoi pas?, mais gare au piège qui consiste à se laisser envahir petit à petit et à en faire une plage horaire rentable à son propre insu. Si c’est pour être au taquet avec ses mails ou sur les réseaux sociaux dès 5 h 30, on risque un nouvel emprisonnement sous prétexte d’entrer dans le rang des morningophiles. L’idée peut être intéressante s’il s’agit de se donner du temps pour soi sans envisager d’être productif. Décaler son horaire ne doit pas se faire à la légère, chaque personne a ses propres besoins en termes de sommeil et de récupération. » Ce qu’a bien compris Jacques Mercier qui, s’il se lève aux aurores, se couche à 22 heures au plus tard. Selon le scientifique, les petits dormeurs restent en effet rares. » Trop souvent, nous sommes confrontés à des conceptions erronées à propos du sommeil de la part de nos patients, cela contribue à l’installation ou au maintien de troubles du sommeil. Selon plusieurs études internationales, il apparaît que 62 % des adultes bien portants dorment en moyenne entre 6,5 et 8,5 heures par nuit. Le nombre d’heures de sommeil est une caractéristique propre à chaque individu. Il faut éviter les comportements contre-productifs : s’éveiller à 5 h 30 sous prétexte de réussir à caser soixante minutes de sport par jour peut ne pas convenir à tout le monde. Par ailleurs, si on avance le réveil le matin, l’idéal est d’avancer également le moment du coucher, pour établir progressivement un nouveau rythme de sommeil. Là aussi, encore faut-il voir si cela arrange l’individu. Les dégâts potentiels du manque de sommeil ne sont pas à négliger : cela ne se limite pas à des troubles de la concentration ou de l’humeur, comme certains le croient à tort, cela peut également causer de l’hypertension, du diabète et autres problèmes à plus long terme « , rappelle l’expert.
En entreprise
Si cette heure vécue pleinement dès l’aube peut faire du bien à certains, Fabrice Midal, fondateur de l’école occidentale de méditation à Paris (qui a une antenne à Bruxelles) et auteur de Foutez-vous la paix ! (4), met en garde contre les injonctions à toujours faire plus, surtout si elles sont » proposées » par les employeurs. » Certains décident de se lever plus tôt pour faire du yoga à la maison, mais d’autres le font aussi sur leur lieu de travail, avant les heures de bureau « , rappelle celui qui s’insurge contre ce temps supplémentaire offert à… l’employeur, au nom du bien-être.
L’idée peut être intéressante s’il s’agit de se donner du temps pour soi sans envisager d’être productif.
» De plus en plus d’entreprises, qui ont compris l’enjeu, offrent des séances de yoga ou de méditation à leurs employés, ou encore des abonnements à la salle de fitness… La barre est mise haut pour le travailleur qui se voit contraint de décompresser et qui culpabilise s’il n’y arrive pas. Méditer est une vraie bonne idée, mais cela s’apprend. Ceux qui n’y parviennent pas ont parfois un sentiment d’échec très grand et finalement, cette soupape de temps pour soi devient une source de grande pression. Cela doit rester une possibilité, pas une obligation. Gare aux discours marketing des entreprises et des employeurs qui prônent une efficacité plus grande en « offrant » des plages de bien-être aux travailleurs « , tempère Fabrice Midal. Reste donc à ce que la morningophilie, en passe de devenir une vraie philosophie de vie pour certains, ne se mue en un nouvel outil d’esclavage individuel.
(1) Miracle Morning, par Hal Elrod, éditions First.
(2) La magie du matin, par Isalou Beaudet-Regen, éditions Leduc S.
(3) Des matins lumineux, par Jacques Mercier, éditions Eric Lamiroy, coll. Opuscules, parution ce 22 septembre.
(4) Foutez-vous la paix !, par Fabrice Midal, Flammarion/Versilio. www.ecole-occidentale-meditation.com
3 QUESTIONS À ALIA CARDYN
COACH EN DÉVELOPPEMENT PERSONNEL ET AUTEURE D’UN LIVRE SUR LE SUJET (*)
Avancer son réveil d’une heure pour se consacrer à soi, salutaire ou inutile ?
Tout dépend de la chronologie de chacun. Respecter son rythme est essentiel, et pourtant, beaucoup le négligent. Si se réveiller plus tôt est un réel sacrifice, c’est à éviter ! Je pense notamment aux jeunes mamans ou aux personnes » diesel « , qui éprouvent des difficultés à démarrer le matin : celles-là ne doivent pas mettre en péril leur santé. Si la morningophilie est une obligation supplémentaire que l’on s’impose, c’est vain. Le sommeil est essentiel à la concentration, à la motivation, à l’équilibre. Seuls 3 % de la population n’ont besoin que de 6 heures de sommeil.
Faut-il une vraie bonne raison pour se lever plus tôt ?
Oui. C’est un luxe difficile à s’offrir si on a des enfants à gérer le matin et des déplacements maison-école-bureau. Se lever plus tôt ne doit pas s’inscrire dans une logique d’hyper performance : il ne s’agit pas d’un défi supplémentaire à relever pour » être encore meilleur « . Ce moment doit être dédié au lâcher-prise, à l’écoute de soi, pas au » faire « . Règle numéro un : ne pas allumer son smartphone. S’accorder une heure en plus le matin, c’est soigner notre propre difficulté à ne pas avoir de temps.
Peut-on mieux dompter son agenda ?
On peut désinstaller des habitudes pour améliorer la qualité de vie quotidienne. Faire du sport une heure le matin peut être plus bénéfique que zapper devant la télé tard le soir, par exemple. Mais on peut aussi s’accorder cette pause à midi, plutôt que le soir. Cela permet de profiter plus pleinement de sa vie en soirée, que ce soit sur le plan amoureux, familial, social ou culturel. Mais c’est vraiment à réfléchir en fonction de chacun.
(*) Créer son équilibre vie privée, vie professionnelle, par Alia Cardyn, éditions Jouvence.
Par Aurélia Dejond
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