Membre du collectif Comètes mis en place par Chanel, Cécile Paravina est passée par La Cambre et l’Académie d’Anvers avant de devenir l’une des make-up artists les plus influentes de sa génération. Elle signe une collection Holiday inspirée par les lumières de l’hiver.
Il peut être tentant parfois de jeter un œil dans le rétroviseur dans l’espoir d’y déceler les signes prémonitoires qu’on aurait pu laisser passer. Cécile Paravina a tout juste 20 ans lorsqu’elle découvre un gloss Chanel noir transparent baptisé Caviar. Imaginé par Lucia Pica alors à la tête du maquillage de la maison française, il devient très vite l’un de ses produits préférés.
«C’était une édition limitée de Rouge Coco Gloss, se souvient la jeune femme. Je commençais à me lancer vraiment dans le make-up. Je m’en servais tout le temps, j’en ai terminé deux! Il apportait un je-ne-sais-quoi d’inexplicable sur les lèvres. Je cherche, encore, toujours à reproduire cet effet. Pour moi, c’est l’un des plaisirs du maquillage: recréer un souvenir, un fantasme, c’est quelque chose de très proustien.»

Un objet d’expérimentation
Cécile Paravina lle est aujourd’hui l’une des make-up artists les plus influentes de sa génération. Celle qui a rejoint le collectif Comètes il y a deux ans, se destinait d’abord, le bac en poche, à une carrière dans la mode. «J’ai grandi dans un petit village minier de Moselle, rappelle-t-elle. Le vêtement est très vite devenu pour moi un moyen de me différencier. J’adorais «curater» mes looks. À l’époque, Tumblr était ma fenêtre d’accès sur le monde extérieur, le cinéma, l’art contemporain. Et bien sûr la mode.»
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C’est une connaissance qui lui donne, presque par hasard, un prospectus d’information sur La Cambre. La réputation de l’école et sa proximité avec l’est de la France la poussent à tenter le concours d’entrée. Elle décroche le précieux sésame à 17 ans à peine. «Je manquais clairement de maturité, de méthodologie et certainement d’encadrement, se souvient-elle. J’ai vécu une année à la fois très inspirante mais aussi difficile psychologiquement.»

Cécile Paravina bifurque alors vers l’Académie d’Anvers dont la culture esthétique lui semble plus proche de la sienne. «Je vivais jusque-là le maquillage comme un moment plus intime, un objet d’expérimentation avec mon corps et mon visage. Il s’est peu à peu imposé à moi comme le moyen d’expression d’une sensibilité artistique qui me convenait le mieux.»
Serge Lutens comme mentor spirituel
Après avoir signé le make-up des photos de jury de ses camarades de promo, la jeune femme réalise qu’elle peut faire de ce qui n’était qu’un hobby son métier. Pas à pas, elle construit son réseau. Elle développe des collaborations avec des photographes et stylistes de renom comme Arnaud Lajeunie ou Patti Wilson. Sur son compte Instagram, ses looks souvent réalisés sur son propre visage la font sortir du lot.

En autodidacte, elle se laisse inspirer par le travail de ceux et celles qu’elle considère comme ses «mentors spirituels»: Peter Philips bien sûr, passé comme elle par Anvers. Pat McGrath et surtout Serge Lutens «pour sa manière d’aborder le maquillage comme un artiste ferait un portrait».
Elle quitte Anvers – où elle a passé trois ans – pour Paris. Et y découvre l’effervescence des backstages des défilés. «Même si j’en fais moins aujourd’hui, j’aime le sentiment d’urgence qui s’en dégage. On enchaîne les gestes – jusqu’à trente-cinq traits de liner en une heure. Mais c’est vraiment dans les photos des éditoriaux pour les magazines ou les marques que je m’éclate. Dans ce que j’appelle les designs de l’impossible.»
L’obsession du trait
On la dit obsédée par la perfection du trait. La ligne impeccable d’une bouche redessinée au cordeau ou le teint qu’on dirait émaillé comme celui d’une poupée de porcelaine. «C’est un peu comme si mon imaginaire cherchait à fuir toute forme de physicalité», lâche-t-elle. Lorsqu’en 2023, Chanel met en place le collectif Comètes, Cécile rejoint Ammy Drammeh, basée à Londres, et Valentina Li établie à Shanghai, pour former un trio visionnaire.

Collection talisman
Dans un milieu encore dominé par les hommes aux postes de directeurs maquillage des grandes maisons et réputé très concurrentiel, Chanel a donc fait l’audacieux pari de la sororité. «Nous nous retrouvons une fois par mois pour travailler ensemble sur des collections communes, précise Cécile Paravina. Mais nous avons aussi nos fenêtres d’expression individuelle.»
«Mon imaginaire cherche à fuir toute forme de physicalité.»
«Ça a très vite été mon rêve de rejoindre une grande maison, sourit Cécile Paravina. J’ai toujours aimé l’idée de partager avec une communauté les produits que je trouve géniaux, qui sont source de plaisir et qui me font rêver. Avec Chanel, ce qui est formidable, c’est qu’on s’adresse à une audience très large. J’aime cette tension qui existe entre le fait de créer des choses très personnelles en termes de textures, de couleurs et de looks proposés. Et le fait de savoir que chaque produit sera transformé. Chaque utilisateur en fera potentiellement ce qu’il voudra. C’est ce qui me plaît tant dans ce travail.»
Un look au firmament
Superstitieuse, Gabrielle Chanel aimait observer l’immensité étoilée et s’y fier.

Pour sa première collection Holiday, Cécile Paravina a donc choisi d’explorer les contrastes d’un ciel cosmique et flamboyant. Embossées des cinq signes de la maison – le lion, la comète, le camélia, le blé et les perles –, les ombres Nuit Astrale s’étirent du gris moyen bleuté au violet foncé, relevées par des traits de liner orange ou rouge métallisé qui viennent iriser le coin de l’œil. Ici, nul besoin de choisir entre la bouche ou le regard: les plus audacieuses pareront leurs lèvres d’une laque violet pourpre et électrique, les ongles balançant entre le feu et la glace.
Cette année, la jeune trentenaire s’est ainsi vu confier la collection Holiday qui aura pour fil rouge cinq des talismans chers à Gabrielle Chanel. Le lion, la comète, le camélia, le blé et les perles sont embossés dans les palettes. «J’ai joué sur l’idée de lumières, explique-t-elle. Celles qui surgissent en cette fin d’année dans les nuits qui se succèdent. Avec derrière tout cela l’imaginaire du solstice d’hiver qui transcende toutes les fêtes. Je les imaginais rougeoyantes, avec des reflets dorés, pointant dans le cocon sombre et bleuté des soirées étoilées.»
Une radicalité très belge
Chaque nouveau projet est l’occasion pour elle de plonger dans les archives de la maison pour nourrir sa créativité. «Ce qui me frappe, chaque fois que je me penche sur l’histoire de Gabrielle Chanel, c’est la radicalité dans l’acte de création qui pouvait être la sienne, ajoute-t-elle. Une démarche sans concession que je retrouve aussi chez les stylistes belges sortis d’Anvers comme Raf Simons ou Martin Margiela.»
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Pour mettre au point ces harmonies de couleurs, il aura fallu presque deux années d’allers-retours entre le studio de création et le labo. «On n’est jamais dans le «one size fits all» en maquillage, insiste-t-elle. Chaque tonalité répondra différemment selon la carnation de celui ou celle qui la porte. La forme des yeux ou de la bouche joue aussi. Un marron très foncé aura un effet lèvres d’automne très «vampire» sur un teint comme le mien. Alors que sur une peau foncée, on sera presque dans le nude ».
N »zst-ce pas ça, finalement, qui est excitant dans le maquillage, outre le fait que l’on est toujours dans l’éphémère, dans l’immédiateté? ‘Certes j’aime créer les looks, penser des images, concevoir des produits, conclut-elle. Mais c’est encore plus excitant de les «lâcher». Regarder sur les réseaux sociaux la manière dont les gens vont se les réapproprier, c’est tout simplement merveilleux.»