Rencontre avec le parfumeur Jacques Cavallier-Belletrud : “le réchauffement climatique impactera l’industrie du parfum”
Chez Louis Vuitton, Jacques Cavallier-Belletrud signe des parfums qui font la part belle aux ingrédients naturels. Il publie aujourd’hui un Atlas des Parfums, véritable plongée au cœur des terroirs des matières premières mythiques de la parfumerie. Il se définit pour nous en neuf adjectifs.
Héritier
Je suis devenu parfumeur par atavisme. Je savais au fond de moi que je serais créateur. J’aurais pu finir écrivain ou metteur en scène à défaut d’être nez. Il se fait que j’ai toujours baigné dans cet univers. Je garde des souvenirs émerveillés de l’atelier de mon père dans lequel je me glissais lorsque j’étais enfant. C’était un endroit tout simplement magique.
Libre
La créativité, c’est un état d’esprit. C’est une forme aiguisée de curiosité vis-à-vis des gens, des autres cultures que la vôtre, de tout ce qui vous entoure. Et qui produit des émotions. J’ai le luxe de jouir d’une totale liberté, de pouvoir prendre le temps d’exprimer des concepts olfactifs de manière totalement gratuite, sans objectif précis. Quand vient le temps de passer de l’idée au projet, j’ai besoin en revanche de m’enfermer dans ma coquille, d’être hermétique à l’influence de qui que ce soit.
Connecté
Le parfum n’est pas une simple commodité. Un accessoire, ça s’enlève mais votre parfum vous accompagne encore même lorsque vous êtes nu. C’est d’abord une connexion avec qui l’on est avant d’être une proposition de connexion avec autrui. Je connais peu de choses capables comme un sillage de générer du plaisir individuel, du plaisir collectif et de la beauté.
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Technocentré
L’intelligence artificielle n’est pas un super pouvoir. Elle n’est que le reflet de ce que l’homme lui apprend. Le risque c’est sans doute qu’elle amplifie la bêtise chez les idiots et stimule un peu plus l’intelligence des gens avisés. Je ne la redoute pas, au contraire je l’utilise. Sur le plan créatif, ses propositions sont convenues. En revanche, comme l’ordinateur hier, je suis convaincu qu’elle nous fera gagner dans tous les domaines énormément de temps sur des tâches plus techniques, sur la construction de modèles prédictifs – je pense à des études de stabilité de formules par exemple -, sur l’interprétation de résultats. En médecine, elle sauvera des vies.
Voyageur
J’ai longtemps voyagé par procuration. Lorsque mon père partait à la recherche de matières premières, il s’absentait pendant plusieurs mois. On pouvait vraiment parler d’expédition. Il avait un talent de conteur extraordinaire. Ses lettres, estampillées « par avion », mettaient parfois deux semaines pour nous arriver. Je l’imaginais dans la pampa mexicaine, c’était mon héros. La toute première fois que j’ai pris l’avion, j’avais 21 ans. J’ai suivi ses traces. Et découvert à mon tour en partant comme lui aux quatre coins du monde toute la richesse de l’humanité. Que j’ai voulu montrer à travers L’Atlas des Parfums.
“Il est de mon devoir de protéger les ressources naturelles et ceux qui les produisent.”
Novateur
A quoi bon regarder en arrière. J’ai eu la chance tout au long de ma carrière de connaître quelques jolis succès. Cela fait plaisir bien sûr. Mais ma nature me pousse toujours à aller de l’avant. Pour moi, ce qui est fait est fait. Je n’ai jamais rien reproduit. Mais certaines quêtes sont éternelles. De L’Eau d’Issey à L’Immensité ou Pacific Chill chez Louis Vuitton, je ne cesse de réinventer encore et toujours la fraîcheur. Les façons de l’incarner sont infinies.
Superstitieux
Nous ne sommes que des poussières d’étoiles. Je suis très sensible aux éléments, au cycle de la lune, à l’influence du cosmos. Mon côté superstitieux, sans doute, que je partage avec toutes les femmes qui m’ont élevé. Je n’ouvrirais jamais un parapluie à l’intérieur de ma maison. Si je croise un chat noir – et Dieu sait s’il y en a dans mon village –, je redoute le mauvais présage. Mais ça ne va pas bien plus loin. Sans céder à des interprétations simplistes, je suis convaincu de l’influence de notre signe astrologique sur notre caractère. J’en ai discuté avec Paco Rabanne, qui est Verseau comme moi. Nous nous sommes « reconnus » et j’ai créé pour lui plusieurs parfums.
L’Atlas des Parfums
Premier livre orchestré par Jacques Cavallier Belletrud, l’ouvrage invite le lecteur à suivre le Maître Parfumeur de Louis Vuitton dans sa recherche d’ingrédients d’exception aux quatre coins du globe. Accompagné de Lionel Paillès, auteur reconnu pour son expertise dans l’univers de la parfumerie, il nous livre un univers sensoriel riche en découvertes. Les photographies de Sébastien Zanella ajoutent quant à elles une dimension documentaire à l’ensemble.
L’ouvrage propose une immersion dans les arcanes des matières premières plébiscitées par le nez dans ses créations, dévoilant les secrets de leur récolte, de leur extraction, de leur distillation et de leur assemblage au travers de plus de 200 illustrations à l’aquarelle signées Aurore de la Morinerie. De la rose centifolia de Grasse au oud Assam du Bangladesh, en passant par la bergamote de Calabre, chaque élément devient une porte ouverte sur des horizons lointains, dont le pouvoir d’évocation se double d’histoires séculaires.
L’Atlas des Parfums, Louis Vuitton, par Jacques Cavallier-Belletrud et Lionel Pailles, 160 euros (disponible dans les magasins Louis Vuitton)
Concerné
La nature est sous pression. Le réchauffement climatique est indéniable. Et aura un impact sur les cultures des fleurs à parfums. Ici à Grasse, elles s’adaptent déjà, aux températures qui montent, à l’eau qui manque parfois. Comme l’ont toujours fait la rose ou la jasmin qui provenaient à l’origine d’autres climats. C’est bien plus critique pour d’autres matières premières comme les agrumes et dans d’autres régions, au Brésil, en Asie ou en Inde. Si Louis Vuitton s’implique dans ces filières, si nous créons nos parfums à Grasse aujourd’hui, ce n’est pas pour faire des photos de moi dans les champs. Nous sommes probablement la maison qui emploie le plus massivement des matières naturelles. C’est notre devoir de protéger ces ressources et ceux qui les produisent. Pour les aider à survivre.
Epicurien
Il faut oser se faire plaisir. C’est le meilleur conseil que mon père m’ait donné. Et mon moteur au quotidien même lorsque c’est difficile. L’entourage d’un créateur peut parfois être impitoyable, lorsqu’il cherche notamment à façonner son image. Le plaisir que l’on prend est une forme de résistance, un moyen de se protéger.
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