On vous a déjà dit que vous aviez la tête de votre prénom? Ce n’est peut-être pas une simple vue de l’esprit. Notre prénom pourrait influencer tant notre vie que notre apparence physique. Loin des stéréotypes qu’on peut lire dans l’almanach des prénoms, voici un décryptage de la science qui les entoure.
Gordon, Bear ou Julian? Cora hésite entre ces trois prénoms pour son fils lorsqu’elle va déclarer sa naissance. Gordon est le prénom de son mari violent, qui veut continuer la lignée en appelant son fils comme lui ; Bear est l’idée de la fille de Cora, parce qu’il est doux et fort à la fois ; et Julian vient de Cora elle-même. Trois choix qui auront des conséquences différentes sur la vie de l’enfant, voilà la prémisse du livre de Florence Knapp, The Names, paru en mai de cette année. On s’y retrouve dans un multivers dépendant du prénom donné au petit garçon, pour y faire le constat que ce choix d’un prénom est très loin d’être anodin. Le garçon nommé Gordon sera-t-il condamné à suivre les pas de son père abusif? Etalé sur 35 ans, le livre explore la vie l’enfant, selon le prénom qu’on lui a choisi. Car mine de rien, un prénom en révèle davantage sur nous que l’on pense.
Plus qu’un simple moyen de nous identifier, notre prénom porte en lui des attentes, des projets et des valeurs, qui peuvent influencer notre vie. Il est fort à parier que différents prénoms évoquent différentes images chez vous. Trop vieillot, banal, moderne, élégant ou ridicule, les avis sur les prénoms peuvent être bien tranchés. Et ce n’est pas si surprenant: ce qu’on appelle le déterminisme nominatif peut démontrer à quel point notre façon d’être nommé peut avoir un impact sur notre vie.
On l’aime ou on le déteste
Notre prénom est le tout premier élément donné pour nous identifier et pour communiquer. On peut l’aimer, comme on peut le détester. D’ailleurs, en 2024, pas moins de 5833 résidents belges ont changé de prénom, selon des chiffres du SPF Justice. Un chiffre record, partiellement expliqué par la simplification de la procédure établie en juillet 2024.
Un prénom révèle des détails sur notre ethnicité ou sur notre catégorie socio-économique, ce qui peut déjà avoir de lourdes conséquences. Par exemple, après les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, les personnes ayant un prénom aux sonorités arabiques avaient plus de difficultés à obtenir des entretiens d’embauche. Unia, une institution publique belge interfédérale indépendante de lutte contre la discrimination, alerte même sur les discriminations liées au prénom.
Une étude publiée en juillet 2024 dans le Journal of Personality and Social Psychology démontre que celui-ci pourrait façonner notre apparence. Interrogée par Le Soir, la chercheuse française en psychologie sociale Anne-Laure Sellier, qui a participé à cette recherche, explique que notre apparence commence à se cristalliser autour de notre prénom à partir de l’adolescence.
Les premiers résultats de l’étude ont été publiés en 2017, et démontrent que nous aurions bel et bien la tête de notre prénom. Lors des expériences, on a montré aux participants des photos de personnes qu’ils ne connaissaient pas, avec un choix entre quatre ou cinq prénoms, choisis en fonction de la fréquence à laquelle ils ont été donnés sur une année. Il s’avère qu’entre 25 et 40% des participants arrivaient à deviner le bon prénom associé au visage, ce qui représente bien plus qu’un facteur chance. Mais Anne-Laure Sellier nuance quand même ces résultats: « Aucune recherche scientifique n’a encore démontré un lien de cause à effet entre le prénom et la personnalité. »
Klea, 25 ans: « Je lui ai rendu justice »
J’ai aimé mon prénom à partir du moment où j’ai pris conscience qu’il était perçu différemment ici et que je devais me le réapproprier (Klea est d’origine albanaise, NDLR). En primaire, mon titulaire, qui nous a appris à écrire, m’avait dit que Klea s’écrivait avec un accent sur le E. Ce que j’ai donc fait tout du long de mes études et même sur les réseaux sociaux, jusqu’à mes 18 ans. Puis un jour, j’ai eu un déclic. J’ai regardé ma carte d’identité et j’ai vu que Klea s’écrivait sans accent. C’est à ce moment là que j’ai véritablement aimé mon prénom, un peu comme si je lui avais rendu justice. Et puis je me dis que porter un prénom trop répandu ne doit pas être si facile…
Mon prénom à moi n’est pas commun, ici. Alors c’est en faisant des recherches que j’ai découvert qu’il aurait des racines grecques, qui voudraient dire gloire, renommée, réputation. Je trouve que ça ne veut rien dire, donc je ne sais pas si ça me correspond, mais je sens une affinité avec ce prénom, comme s’il m’allait bien. Je pense que c’est parce qu’il est petit, comme moi, et parce qu’il y a un K, qui est une lettre plutôt rare en français.
Si je devais décrire mon prénom avec un adjectif? Ce serait « simple ». Parce qu’il s’écrit comme il se dit, il n’y a pas de surprise.
Ruben, 21 ans: « Mon deuxième prénom me fait rire »
« Ruben »… Mes parents aimaient déjà ce prénom. Mais quand je suis né, une chanson du groupe Buena Vista Social Club passait en boucle sur les ondes. Un des principaux membres du groupe s’appelait Rubén González, et c’était un pianiste qui a vécu très vieux, alors peut-être qu’avec un peu de chance, je serais très vieux aussi. Mon deuxième prénom, c’est Napoléon, ça vient du fait que je suis né le 18 juin, qui est la date de la bataille de Waterloo. C’était soit ça, soit Charles, pour Charles de Gaulle, en lien avec l’appel du 18 juin, mais mes parents préféraient Napoléon. Je le trouve très marrant, ça me fait rire de l’expliquer aux personnes que je rencontre. Même si je comprends qu’il puisse être problématique.
Je ne pense pas que mon prénom soit représentatif de ma personnalité, ni que les prénoms influencent la personnalité plus que ça. C’est un peu comme l’astrologie pour moi, c’est pas parce que tu as un prénom spécifique que ça va changer ta personnalité. Si je m’étais appelé Charles, ça n’aurait rien changé à ma vie. Après, j’aime bien l’histoire, alors ça a peut être été influencé par Napoléon. Ça a l’air d’être une coïncidence, mais qui sait?
Je ne pense pas qu’il faille contrôler les prénoms, juste avoir des limitations. C’est évident que si on donne un prénom absolument ridicule à un enfant, il risque de se faire harceler à l’école. Il faut penser à comment cet enfant va grandir et évoluer avec son prénom, comment ça peut l’affecter, et dans quel contexte on peut l’utiliser. Aujourd’hui, on appelerait pas son enfant Adolf, par exemple.
Si je devais décrire mon nom avec un adjectif? Ce serait « rocambolesque », pour Napoléon. Ruben, c’est « feel good », je dirais.
Sasha, 20 ans: « Stylé et unique, comme moi »
J’aime beaucoup mon prénom, je le trouve original. Et je ne connais personne qui s’appelle comme ça, alors, pour moi, il est un peu unique. C’est un prénom russe au départ, c’est le diminutif d’Alexandra. Mes parents étaient indécis, ma mère a proposé Sasha et ça a mis tout le monde d’accord. Ma mère m’appelle parfois Sachounette ou Sash. Je trouve qu’il me va bien, je l’aime beaucoup. Et beaucoup de gens me disent que je le porte bien.
Plus jeune, je ne l’aimais pas, parce que je trouvais que c’était un prénom de mec. Au collège, quand les profs faisaient l’appel, ils étaient surpris quand ils entendaient ma voix. Ils s’attendaient toujours à un garçon. J’ai eu envie de m’appeler Lou, et puis j’ai commencé à l’apprécier. Finalement, je pense qu’il est assez représentatif de ma personnalité. Il est stylé et unique, comme moi au final (rires).
Contrôler les prénoms? Bof, ça veut dire réduire la liberté d’expression. Evidemment, quand je vois Elon Musk qui appelle son enfant X A je ne sais plus quoi, oui, c’est sûr que ça ne va pas. Mais tant que ce n’est pas pas vulgaire, ridicule ou de l’usurpation d’identité, je pense qu’il faut laisser les gens choisir.
Si je devais décrire mon nom avec un adjectif? Je pense que ce serait « unique », surtout Sasha pour une fille.
Marion, 25 ans: « J’en connais tellement d’autres »
J’aimais bien mon prénom quand j’étais petite parce qu’il était facile à écrire, et j’aimais bien faire le M en majuscule. Mais ce qui me plaisait moins, c’est que dans ma classe ou en colonie de vacances, il y avait systématiquement au moins trois Marion.
Mon père aimait bien ce prénom parce que c’était celui de son institutrice en maternelle, et il la trouvait douce, gentille et belle. Quand ma grand-mère maternelle a su que je m’appellerai Marion, elle a dit que je serais moche et grasse, car toutes les Marion sont moches et grasses. Je ne suis pas du tout en contact avec elle, d’ailleurs (rires). Quand j’étais petite, j’avais une règle sur laquelle étaient inscrits mon prénom et ses caractéristiques associées. Il était écrit que les Marion sont des gens calmes, des forces tranquilles. Je trouve du coup que ça me va bien, mais les autres Marion que je connais n’ont absolument pas le même caractère que moi, alors je ne crois pas que ce soit représentatif.
Mon deuxième prénom c’est Méghan. Quand je suis née, mes parents pensaient à la mondialisation et à un futur dans lequel les gens travailleraient beaucoup à l’étranger. Alors ils voulaient un prénom qui ressemblait à Marion, mais qui soit utilisable en anglais, comme ça si je voulais travailler à l’étranger, je pouvais utiliser ce deuxième prénom. Manque de chance, dans les années 2000, la Renault Mégane est sortie. J’ai donc aussi un prénom de voiture!
Je pense que c’est important de contrôler les prénoms qu’on donne. J’avais étudié un cas où un couple voulait appeler son enfant Kylian Mbappé. Je me souviens aussi d’un couple qui voulait nommer sa fille Fraise, mais l’état civil a refusé, et l’a renommée Fraisine. Là je ne comprends pas, Fraise, c’est adorable comme prénom!
Si je devais décrire mon nom avec un adjectif? Alors là… Je dirais qu’il est commun. Il me semble que c’est le deuxième ou troisième prénom le plus donné en 2000.
Tatiana, 24 ans: « Juste assez original »
J’adore mon prénom, il est original mais pas loufoque non plus. Tout le monde pense que c’est russe mais pas du tout, au départ, c’est égyptien. En fait c’est le seul prénom pour lequel mes parents étaient d’accord. J’ai failli m’appeler Tania, une version plus courte, mais ils ont finalement opté pour Tatiana.
Je n’ai pas eu tellement de moqueries dessus, mais plus des gens qui n’arrivent pas à le prononcer, « Tatania », « Tassiana »… Je me disais « mais c’est simple, il faut juste prononcer toutes les lettres ». Je trouve que mon prénom me va bien, parce que si on en croit les tableaux qu’on m’a offerts quand j’étais petite, c’est le nom d’un roi d’Egypte, ça me plait. Je trouve que c’est assez représentatif de ma personnalité, aussi.
Si je devais décrire mon nom avec un adjectif? Je dirais « intemporel ». Ou « solaire ». Ou « pétillant ». C’est dur de décider!
Juliette, 28 ans: « Mes autres prénoms sont limites »
J’aime bien mon prénom, j’ai toujours eu l’impression qu’il avait une vibe cool ou classe, parce qu’il n’est pas trop commun. Je pense que réfléchir à le changer, c’est une question qu’on s’est déjà un peu tous posé, mais finalement je suis arrivée à la conclusion que Juliette, ça me plaisait bien. Ce sont surtout les autres prénoms qu’on m’a donnés qui sont limites! (rires): Lolita et Vicky. Vicky, je trouve que ça fait petite peste, mais c’est peut-être une connotation qui vient d’autre chose. Lolita, il y a le roman et la chanson, et puis ça fait un peu jouette. Enfin c’est beau aussi, mais je ne me verrais pas porter ce prénom tous les jours.
Avec Juliette, j’ai eu quelques fois droit à la blague du « Alors, il est où ton Roméo ? ». Alors comment dire qu’en tant que femme lesbienne… Après ça m’impactait davantage par rapport à mon orientation sexuelle que par rapport à mon prénom.
Contrôler les prénoms? Ça dépend dans quelle mesure. J’imagine que pour des personnes trans, si leur prénom fait référence à une identité de genre dans laquelle ils ne se reconnaissent pas, ça peut les faire souffrir. Je pense que c’est bien de choisir des noms mixtes, comme Sasha ou Sam, ou les laisser choisir. Après clairement, l’enfant de Musk qui s’appelle X machin, pour moi c’est une forme d’irrespect pour l’enfant. Je trouve qu’il y a une certaine dignité dans le prénom qu’on va porter. C’est comme ça qu’on va se présenter, être perçus par les autres, donc il y a une dimension de valeur sociale et d’estime de soi liée au prénom, on devrait pouvoir en changer si le nôtre ne nous convient pas du tout.
Si je devais décrire mon nom avec un adjectif? Rien ne me vient en tête… Je n’ai jamais pensé à qualifier mon prénom avec un adjectif.