En Chine, ripailler est tout un art… qui s’apprend
Les mains fermement agrippées à leurs verres remplis de vin rouge, de studieux élèves chinois achèvent leur dernier exercice de l’année: un toast avalé « cul sec » sous l’oeil bienveillant de leur professeur, « coach de banquet ».
Faire bombance lors de fastueux repas arrosés d’alcool constitue depuis des siècles en Chine un incontournable des sphères politiques et commerciales. Mais le rituel a ses codes et leur ignorance peut faire « perdre la face » – voire un contrat – et intimider les néophytes. Pour ces angoissés des réceptions officielles, un quadragénaire et ancien organisateur de mariages, Xiu Weiliang, a fondé l' »Ecole de l’art de la communication » à Harbin. Hommes d’affaires et fonctionnaires y apprennent à braver les toasts alcoolisés, passages quasi-obligés pour obtenir des promotions ou simplement le respect de ses patrons.
Voix douce et tranquille mais front trempé de sueur à chaque cours, Xiu Weiliang, improbable gourou adepte des pulls en laine et des tenues dépareillées, assure avoir formé plus de 4.000 étudiants en une décennie.
« La table du banquet est l’endroit où les Chinois partagent leurs émotions », explique-t-il à l’AFP. Un de ses cours, intitulé « Trucs et astuces d’un banquet », enseigne à choisir sa place à table, à ne pas commettre d’impair en passant les plats et à porter au bon moment un toast zélé à ses chefs.
Le piège de l’ivresse
L’art de décliner – poliment – une invitation à boire est aussi un élément crucial de la formation, note M. Xiu. « Certaines personnes vous pousseront à boire à l’excès, pour vous faire perdre vos moyens, afin de parvenir à leurs fins », explique-t-il, ajoutant qu’il est primordial de savoir refuser « sans froisser son interlocuteur ».
Les rencontres d’affaires en Chine se déroulent de préférence autour d’une bonne table et sont jalonnées de toasts au « baijiu », l’alcool blanc local. Une institution sociale qui a alimenté des livres de développement personnel aux titres évocateurs comme « Les relations sociales grâce à l’alcool ». Le rôle de chaque convive, masculin ou féminin, y est strictement défini. « Les femmes, lors d’un banquet, se voient attribuer un rôle de soutien (…). Cela nécessite de mettre de côté toute fierté et d’utiliser son intelligence au service du bon déroulement du banquet », écrivent les auteurs.
Beaucoup en Chine se désolent de cette culture de l’alcool à outrance et Xiu Weiliang note que ses élèves, hommes comme femmes, sont terrifiés face à la perspective d’un repas officiel.
Xiu Weiliang termine sa formation avec une leçon finale « in situ », autour d’une table constellée de mets. « C’est ici que les choses sérieuses se passent », sourit-il, entouré d’une dizaine d’élèves prêts à affronter l’épreuve.
« Avant, je ne savais pas quoi dire à table lorsque les gens buvaient », explique un élève quadragénaire, debout et verre de rouge en main, qui préfère rester anonyme. Le professeur « m’a expliqué sa vision et je me suis dit +En tant que chef d’entreprise, c’est exactement ce dont j’ai besoin+ ».
« Dans la classe, on l’appelle +Grand frère+ », ajoute cet élève en levant son verre à l’adresse de M. Xiu. « Merci, Grand frère ! » lance-t-il avant de vider sa coupe. Cul sec.
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