Gastronomie: Où sont les cheffes?
Le plafond de verre de la haute cuisine résiste: dans le guide Michelin, comme dans les classements internationaux, festivals et concours culinaires, les cheffes restent très minoritaires.
Marraine de l’édition 2018 du Michelin France dévoilée lundi, Anne-Sophie Pic est la seule femme à la tête d’un établissement trois étoiles en France. Seuls 17 des 621 restaurants étoilés (soit 2,7%) ont une cheffe à leur tête.
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« Ce n’est pas quelque chose que l’on prend en compte, les inspecteurs sont là pour vérifier la qualité de la cuisine, on ne regarde pas le sexe, ni l’origine, ni l’âge », déclare à l’AFP Michael Ellis, directeur international des guides Michelin.
Parmi les 57 nouveaux étoilés en France lundi, les deux femmes distinguées travaillent en tandem avec un homme: la Coréenne Mi-Ra avec son mari Charles Thuillant (L’Essentiel, à Deauville en Normandie), tout comme la Malaisienne Kwen Liew en couple avec le Japonais Ryunosuke Naito (Pertinence, à Paris). Cette dernière reconnaît qu' »être une femme en cuisine, ce n’est pas facile: il faut toujours montrer deux fois plus que les hommes ».
Dans le monde, les femmes représentaient en 2017 moins de 5% des étoilés (sur quelque 2.800 restaurants) et ne sont que deux dans le classement des World’s Fifty Best Restaurants.
Elles sont toutefois de plus en plus présentes dans les écoles -et parfois majoritaires dans les formations de pâtisserie- et dans les cuisines, souligne Michael Ellis. « Elles ne sont pas forcément des cheffes de cuisine, mais à mon avis c’est une question de temps avant qu’elles soient plus nombreuses à le devenir », estime ce Franco-Américain.
Pourtant traditionnellement, les femmes sont souvent celles qui font la cuisine à la maison, et historiquement, elles n’ont pas toujours été si rares au tableau d’honneur de la gastronomie.
Machisme pur et dur
Cette faible présence des femmes dans le paysage gastronomique donne lieu à un début de prise de conscience. « Les femmes ne sont pas médiatiques parce que les médias ne parlent pas d’elles et les investisseurs ne misent pas sur elles », juge la journaliste et auteure espagnole Maria Canabal, qui a lancé le Parabere Forum, un réseau de quelque 5.000 cheffes du monde entier.
Selon elle, un frein à la présence de femmes peut être l’ambiance militaire des cuisines, ainsi que des « stéréotypes très ancrés ». « Y compris dans les écoles de cuisine, on dit aux filles « tu vas avoir ton diplôme mais tu ne vas pas résister » », affirme-t-elle, évoquant aussi la question du harcèlement: « tous les environnements ‘male dominated’ sont des endroits potentiellement à risques pour les femmes ».
Pour Anne-Sophie Pic, « il y a aussi un facteur d’ordre sociétal »: « quand la femme devient mère de famille, si elle n’est pas entourée, elle doit faire un choix. »
L’absence de visibilité des cheffes était au coeur d’un documentaire en 2017 de la réalisatrice française Vérane Frédiani, dans lequel témoignait Anne-Sophie Pic, cheffe triplement étoilée au Michelin.
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« Cela m’a révélé la nécessité de parler un peu plus des femmes », indique Anne-Sophie-Pic à l’AFP. « Jusqu’à maintenant, j’ai tellement travaillé pour qu’on oublie que je suis une femme, c’est terrible à dire, pour que les hommes m’acceptent, en tant que chef dans le milieu », dit celle qui se présente sur son site comme une « chef » mais accepte volontiers qu’on lui donne du « cheffe ».
Toutes le reconnaissent, il faut avoir un fort tempérament pour s’imposer dans ce milieu. « Beaucoup de chefs propriétaires de leurs établissements se croient tout-puissants. Il y a un machisme pur et dur », juge ainsi la cheffe brésilienne Alessandra Montagne qui a travaillé dans plusieurs restaurants avant d’ouvrir à Paris ses propres établissements. « Mais il ne faut pas prendre les choses au pied de la lettre. Moi quand on me dit, « tu ne sers à rien », je ne me laisse pas abattre, je continue », lance-t-elle.
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