Le jambon de luxe plongé dans la tourmente par la pandémie en Espagne

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Le soleil est radieux, les cochons trottinent entre les chênes en quête de glands. Mais Salvador Pereira Menaut a le regard triste: l’effondrement des prix provoqué par la pandémie met en péril sa production de « pata negra », le caviar du jambon espagnol.

Depuis le printemps 2020, les prix obtenus par les éleveurs de porcs espagnols en échange de leurs animaux ont baissé de 20 à 25% en moyenne, selon l’organisation regroupant les professionnels du porc ibérique Asici. Pour cet éleveur d’Estrémadure, dans le sud-ouest de l’Espagne, la chute des prix atteint même 50%, car il élève chaque année 13.000 animaux de pure race ibérique, l’élite des cochons. Engraissés dans de vastes espaces naturels à la lisière du Portugal, ils donneront des jambons secs de la plus haute qualité, joyaux de la gastronomie espagnole pouvant dépasser les 500 euros pièce.

« Depuis deux ans, nous avions réussi à nous faire une place dans les meilleurs restaurants et hôtels de Madrid. Mais depuis le début de la pandémie, ils ont presque tous fermé et ils n’achètent plus »

Sa société Navarretinto ne transforme qu’une petite partie de ses cochons, revendant les autres à d’autres marques. Les jambons eux-mêmes se vendent aux restaurants 30% moins chers qu’avant la pandémie.

« Ce prix-là ne couvre même pas le coût de leur alimentation » aux céréales, pendant les mois d’été où il n’y a pas de glands. « Si cela se prolonge trop, il est possible que certains (éleveurs) disparaissent, y compris nous », craint-il.

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.© Getty Images

Les coopératives agro-alimentaires d’Andalousie (sud), principale région productrice, évaluent à 50% la chute des ventes de jambon ibérique en Espagne et à 250 millions d’euros les pertes des éleveurs pour 2020, soit entre 50 et 150 euros par cochon en fonction de la pureté génétique de la bête.

Coupeurs de jambon à la peine

« L’industrie fait face à une grande incertitude car elle ne sait pas ce qu’elle va vendre, toutes les fêtes traditionnelles et familiales ont été annulées » tandis que nombre de restaurants sont fermés, explique Antonio Prieto, président d’Asici.

Conséquence, les industriels « achètent moins cher car ils ne savent pas ce qu’ils arriveront eux-même à vendre après l’élaboration du produit, dans 2-3-4 ans », le temps que le jambon soit affiné, détaille-t-il.

Les coupeurs de jambon, dont l’art consiste à ciseler des tranches translucides exaltant les arômes de noisette du produit, principalement lors de grands événements, sont eux aussi touchés de plein fouet.

« Cela nous affecte beaucoup car il n’y a plus de cérémonies, mariages, banquets, ferias ou repas d’entreprises, alors que le jambon est un article de luxe pour les grands événements », explique Florencio Sanchidrian, le plus célèbre d’entre eux, désigné « ambassadeur mondial du jambon ibérique ».

1.0florencio_sanchidrianInstagramhttps://www.instagram.com/rich658

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Face à la crise, Salvador Pereira a développé un service de vente par internet, mais « ce n’est pas suffisant » pour compenser le manque à gagner, d’autant que l’effort de la petite société pour développer ses exportations en Europe souffre des restrictions à la mobilité, qui empêchent sa responsable commerciale d’aller démarcher des clients.

Les exportations espagnoles de jambon sec dans le monde entier -toutes qualités confondues- ont chuté d’environ 3% en volume en 2020, selon Asici.

La pandémie réveille le cauchemar de la crise de 2008, qui avait provoqué la faillite de milliers de petits producteurs. Mais « ce sont deux situations totalement différentes » car depuis, le secteur s’est beaucoup professionnalisé, notamment en créant un système permettant d’informer très rapidement les éleveurs des évolutions du marché et des prix, explique M. Prieto.

Lorsqu’ils voient que les prix baissent, les producteurs peuvent ainsi par exemple réduire les naissances de porcelets pour ne pas engorger le marché. « Nous perdons de l’argent, ou nous ne gagnons pas l’argent que nous devrions gagner, c’est sûr (…) Mais pour le moment, il n’y a pas eu de fermetures, même si chaque exploitation a moins gagné », souligne le président d’Asici.

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