Découvrez le duo Paulineplusluis, notre Designer de l’année 2024
Les Bruxellois d’adoption Pauline Capdo et Luis Bellenger chérissent l’expérimentation. Avec leur approche artisanale et artistique, ils font souffler un vent de fraîcheur sur le monde du design industriel. Il était grand temps pour nous de braquer les projecteurs sur leur studio, Paulineplusluis.
Officiellement, le studio de design bruxellois Paulineplusluis fêtera son dixième anniversaire dans quelques mois. Mais ses fondateurs, Pauline Capdo et Luis Bellenger, tous deux originaires de France, travaillaient déjà ensemble lorsqu’ils étudiaient le design à l’ESA Saint-Luc Tournai, où ils se sont rencontrés en 2011. «Nous sommes d’abord tombés amoureux, raconte Luis dans leur studio du centre d’entreprises Euclides à Anderlecht. Mais dans les ateliers pratiques, il est vite apparu que nous avions une vision similaire et que nous aimions expérimenter avec des matériaux bon marché. Un jour, j’ai ainsi fabriqué une lampe avec un balai. Pauline, elle, avait fait de même avec un simple verre de cantine et un disque de papier. A l’époque, c’était surtout parce que nous avions des ressources limitées et que nous devions faire preuve d’ingéniosité. Mais nous étions déjà sur la même longueur d’onde et nous pouvions donc nous entraider pour les travaux.»
Revenir avec un regard neuf
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et désormais, les lampes, meubles et objets du duo se retrouvent dans les catalogues de marques de design belges et étrangères connues. Et ce, même si les deux concepteurs ont également un autre job. Elle a ainsi travaillé pendant plusieurs années dans l’équipe de design d’une marque de lunettes et enseigne aujourd’hui dans l’école tournaisienne qui l’a formée. Lui est responsable de l’atelier de luminaires de Rotor DC, un collectif bruxellois qui donne une seconde vie aux rebuts de construction et de démolition. «Pour nous, ça a toujours été intéressant d’avoir une activité professionnelle à côté de Paulineplusluis, confie Pauline. De cette manière, nous revenons chaque fois à l’atelier avec un regard neuf. Et puis, en tant que couple, il ne faut pas vouloir tout faire à deux.»
La sécurité financière d’un emploi permanent est également importante, ajoute Luis: «Cela nous permet d’avoir l’esprit tranquille et de nous concentrer sur les projets que nous voulons vraiment faire. Si une proposition ne nous plaît pas, rien ne nous oblige à l’accepter malgré tout, au risque de perdre notre individualité.»
Vous travaillez rarement sur la base d’un briefing: vous créez un prototype, puis vous cherchez un fabricant pour le commercialiser. Cela peut être un atout mais aussi une source d’incertitude…
Luis: Nous sommes tout à fait disposés à travailler sur commande. Que ce soit avec un grand acteur du secteur aux ressources illimitées ou un label plus petit dont la philosophie est semblable à la nôtre. Toutefois, en tant que jeune studio, il est difficile de s’imposer dans le domaine du design industriel. De nombreuses marques préfèrent engager un designer connu. Nous ne pouvons donc pas nous contenter d’attendre qu’on nous contacte. Il arrive aussi qu’une entreprise soit intéressée par une création et qu’elle y renonce quelques mois plus tard. Un solide portefeuille de prototypes contribue donc à notre crédibilité et à la croissance du studio.
Pauline: Ce n’est pas non plus une coïncidence si de plus en plus de jeunes designers commencent à produire et à vendre eux-mêmes leurs créations. Nous avons récemment commencé à faire cela avec nos lampes Neon. Beaucoup d’architectes recherchent des objets originaux qui ne proviennent pas des grands noms de la profession, et les réseaux sociaux alimentent ce phénomène. Il faut cependant que l’article puisse être produit assez facilement. La collection Neon, par exemple, intègre des éléments existants tels que des chemins de câbles et nécessite peu de travail manuel, ce qui nous permet de la proposer à un prix abordable. Avec nos appliques Venise, en revanche, il s’agit presque de collectible design, un segment qui nous intéresse moins.
Votre design se veut donc accessible?
Luis: Le prix est un élément important. Aujourd’hui, tout le monde y est sensible. Ce qui nous fascine surtout, c’est de voir comment et pourquoi quelque chose entre dans la culture populaire. Cette dernière est souvent critiquée, mais dans le domaine musical par exemple, nous admirons les artistes qui parviennent à utiliser des références très pointues et à séduire un large public. Ils stimulent l’imagination collective, et c’est ce que nous recherchons aussi.
L’attrait pour un objet ne se limite donc pas à sa fonction…
Luis: Quand on regarde autour de nous, certains objets ne sont pas très ergonomiques et pratiques, mais ils parlent aux gens sur le plan émotionnel, ce qui est une fonction en soi. Nos lampes Venise apportent une atmosphère à une pièce plutôt que de l’éclairer, mais avec leurs lamelles en aluminium, elles évoquent quelque chose aux gens. Tout le monde se souvient spontanément de la lumière du soleil à travers un store vénitien; certains y voient aussi une allusion à de vieux films policiers. C’est ainsi que nous essayons de nous distinguer: en concevant des objets industriels qui sont produits en série, mais qui, en même temps, contiennent une certaine poésie, suggèrent le déjà-vu ou, du moins, incitent à une deuxième lecture.
Où trouvez-vous l’inspiration?
Pauline: Il est rare que les idées jaillissent dans notre atelier. En revanche, dans la vie de tous les jours, nous sommes constamment stimulés par ce que nous voyons. Cela peut aller de simples objets comme les rideaux plissés de notre appartement à des éléments architecturaux rencontrés en rue — arcs, colonnes, cheminées… Lors de nos voyages et de nos promenades dans la capitale, ce sont aussi souvent des scènes de vie et des pratiques culturelles qui attirent notre attention.
Ainsi, notre applique murale Burano (NDLR: seulement en prototype pour l’instant) a été inspirée par l’île du même nom, dans la lagune de Venise. Nous avions été émerveillés par les rideaux que les habitants suspendaient devant la porte de leur maison. Il y a beaucoup de choses quotidiennes qui semblent banales, mais qui ont quelque chose de spécial pour nous. Sur le moment, on les prend en photo sans penser à une application spécifique, mais tôt ou tard, tout se remet en ordre et nous traduisons nos observations en objets concrets.
Luis: Notre façon de regarder est peut-être un peu curieuse. Dans un musée d’art, par exemple, il arrive que je ne prête que peu d’attention aux œuvres exposées, mais que je sois captivé par la scénographie, le système d’accrochage d’un tableau ou le cadre qui l’entoure (rires).
Quel rôle jouent les programmes de dessin en 3D dans votre processus de conception?
Luis: Pour certains objets, nous devons faire fabriquer des pièces techniques spécifiques et la modélisation en 3D est alors très utile. Cependant, généralement, nous travaillons plutôt avec des maquettes en papier et des prototypes. Comme nous le faisions déjà à Saint-Luc: nous devions livrer des objets finis, plus ou moins fonctionnels, à l’échelle réelle. C’est d’ailleurs indispensable pour tout étudiant en design. Quelle que soit la beauté d’un projet sur papier, sans une connaissance minimale des lois physiques et des propriétés des matériaux, il ne tient pas.
Pauline: La conception en 3D est moins chère et prend moins de temps, mais elle n’est pas parfaite. Les maquettes et les prototypes donnent une idée beaucoup plus précise du volume d’un objet. Par ailleurs, nous recherchons toujours une certaine simplicité dans nos créations, tant au niveau de l’utilisation que de la production. Si une maquette ou un prototype est trop compliqué à réaliser, il y a de fortes chances que la fabrication finale soit également problématique.
Pourquoi avoir choisi Bruxelles comme port d’attache?
Pauline: Au départ, nous sommes restés ici parce que Luis avait trouvé du travail chez un fabricant de meubles pour la grande distribution. Et puis, en tant qu’étudiants, nous avions déjà créé un petit réseau dans le milieu du design bruxellois. Sans compter que la location d’une maison et d’un studio est plus abordable ici qu’à Paris. Mais nous avons aussi rapidement réalisé qu’il existe dans cette capitale de nombreuses initiatives qui soutiennent les jeunes talents dans le secteur. Ainsi, grâce à Belgium is Design (NDLR: le partenariat des institutions qui soutiennent le design belge), nous avons pu exposer plusieurs fois notre travail au Salon du meuble de Milan et participer à des événements B2B, des opportunités qui ont conduit aux collabs avec Hartô et Matière Grise.
En tant qu’expatriés français, vous identifiez-vous au monde du design belge?
Luis: Le design belge n’a pas d’identité bien définie; il est très diversifié. Chaque designer a sa propre approche et son propre univers, ce qui signifie que nous aussi, nous pouvons faire ce que nous voulons, sans être obligés de rentrer dans l’une ou l’autre case.
Pauline: La solidarité et l’unité dans le secteur sont également plus fortes ici qu’en France: lors d’expositions collectives et d’autres événements, les différents créateurs sont souvent côte à côte, et les jeunes talents sont autant les bienvenus que les noms établis. Alors oui, nous nous sentons chez nous dans la scène du design de ce pays.
En bref Paulineplusluis
Luis Bellenger naît à Paris en 1987 et grandit en Normandie; Pauline Capdo naît à Bayonne en 1992.
Ils se rencontrent en 2011 durant leurs études en design, à Saint-Luc Tournai. Ils poursuivent ensuite ensemble leur formation par un master en design industriel à La Cambre.
En 2015, ils reçoivent le premier prix dans la catégorie design de mobilier lors du MAD Surprize! Young Belgian Design Awards, à la suite de quoi ils fondent Paulineplusluis.
A partir de 2018, ils livrent des créations pour Habitat, Hartô, Matière Grise, Hayche et – chez nous – Serax, XL Boom et Deknudt Mirrors.
En 2023, ils conçoivent le mobilier d’accueil du Centre Wallonie-Bruxelles à Paris.
Ce qu’en dit le jury
Depuis 2006, l’élection du Designer de l’année met en lumière des talents innovants qui méritent un tremplin professionnel. Cette année, le jury était composé d’Amélie Rombauts (Le Vif Weekend et Knack Weekend), Hanne Debaere (Flanders DC/For The Now), Lisa Declercq (Design Nation/Design Regio Kortrijk), Evelien Bracke (Design Museum Gent), Dieter Van Den Storm (MAD Brussels), Laure Capitani (Wallonie-Bruxelles Design Mode) et Marie Pok (CID Grand-Hornu).
Amélie Rombauts, journaliste design pour Le Vif Weekend et Knack Weekend
«Les extraordinaires lampes conçues par Pauline Capdo et Luis Bellenger surprennent par leur simplicité et font de leur studio un digne ambassadeur de ce que la Belgique peut offrir en termes de design de produits.»
Dieter Van Den Storm, directeur artistique de MAD Brussels
«Avec toute l‘attention portée au collectible design, on en oublierait presque qu’on doit aussi concevoir et fabriquer des objets utilitaires. Paulineplusluis est synonyme de produits bien pensés où l‘innovation et l‘esthétique épurée vont de pair.»
Marie Pok, directrice du CID Grand-Hornu
«Pauline et Luis combinent une grande économie de moyens à un langage visuel simple mais reconnaissable. En utilisant des matériaux ordinaires de manière inhabituelle, ils créent des applications inattendues pour des objets uniques.»
A suivre
Design Nation. Le prix du Designer de l’année est remis ce 17 octobre, à Kortrijk Xpo, lors de ce salon pour les pros du design. Les créations du duo y seront exposées et la cérémonie sera suivie d’une interview en direct du couple.
design-nation.eu
For the Now. Paulineplusluis sera présent lors de cette plate-forme de design qui présente au grand public des talents émergents et reconnus, les 16 et 17 novembre à Tour & Taxis, à Bruxelles.
forthenow.be
Encounter(s). Le Prix des jeunes artistes du Parlement de la FWB récompense 5 studios dont Paulineplusluis et expose leur travail au CID, à Hornu.
cid-grand-hornu.be
Creative lunch. Le duo sera présent à MAD Brussels le 7 novembre.
mad.brussels
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