La designer d’intérieur suédoise Tekla Severin (44 ans), connue sur Instagram sous le nom de Teklan, est suivie par plus de 200.000 abonnés. Son expertise chromatique séduit les grandes marques: pour Auping, elle vient de concevoir la nouvelle collection Characters by Teklan.
Rencontre avec Tekla Severin
La couleur peut transformer l’énergie d’un espace
Quand j’étais enfant, ma chambre était recouverte d’une moquette rose poudrée. Un jour, une tache y est apparue, que mes parents ne pouvaient pas enlever: ils ont donc décidé de jeter le tapis. Le linoléum gris en dessous s’est soudain retrouvé à découvert… et j’ai aussitôt ressenti une perte d’énergie. J’avais à peine 6 ans, mais ce fut ma première prise de conscience de la puissance émotionnelle de la couleur dans une pièce.
Plus les couleurs sont vives et lumineuses, mieux mes yeux s’en portent
À 9 ans, j’ai commencé à avoir des problèmes de vue. La dégradation progressive de ma vision m’a terrifiée. Allais-je devenir aveugle? Sans en avoir conscience, j’ai commencé à considérer chaque image que je pouvais encore percevoir comme précieuse. Les couleurs, surtout, ont pris une importance capitale, parce qu’elles incarnent le plus fort des stimuli visuels. Heureusement, la détérioration s’est arrêtée vers mes 18 ans. Mais cette période d’angoisse a laissé une empreinte indélébile sur ma manière de créer.
Ce n’est pas fini tant que ce n’est pas fini
Il arrive qu’on ait l’impression d’être dans une impasse. Même lorsque plus rien ne semble possible, vient un moment où l’on parvient à se dégager de la situation. Je l’ai appris à mes dépens: plus jeune, j’étais trop naïve, trop confiante. Lors d’une collaboration, j’ai fini par comprendre qu’on cherchait à me manipuler. C’était presque une forme d’abus psychologique. Il m’a fallu beaucoup d’efforts pour m’en extraire, et du temps pour m’en remettre. Mais cette expérience m’a appris une chose essentielle: il faut se battre pour sa propre vérité.
Mon modèle, c’est Annika, l’amie de Fifi Brindacier
Elle portait toujours une tenue rose et jaune. Pour moi, cette combinaison symbolise la joie enfantine. On la retrouve d’ailleurs souvent dans mes collections. Tout l’univers de Fifi Brindacier m’inspire: l’audace, le goût de l’expérimentation, la liberté vis-à-vis des règles, la fantaisie.
«Très vite, j’ai compris que la fantaisie pouvait être vive et lumineuse.»
Ce que j’aime, c’est que les couleurs échappent à toute définition
L’effet qu’elles produisent est abstrait, presque sublime. Il dépend de facteurs biologiques, culturels et de notre propre histoire. Quand Auping m’a contactée pour une collection, j’ai découvert que beaucoup de clients avaient peur de la couleur. Cela m’a donné l’idée de la présenter autrement, comme des personnalités auxquelles on peut s’identifier. De là sont nés trois personnages: Burgundy, la raffinée; Mustard, la chaleureuse; et Pastille Green, la flamboyante.
Chacun doit trouver son propre chemin
Il ne faut pas se laisser dicter sa voie par les attentes du monde extérieur. Être enfant unique m’a encouragée à développer mon imagination. Très tôt, j’ai compris à quel point la fantaisie pouvait être vive et lumineuse.
Sans qu’on s’en rende compte, la créativité peut nous engloutir
Quand on enchaîne les projets sans pause, on court le risque de se répéter. Pourtant, quand on est dans le flux créatif, il est tentant de toujours continuer. Aujourd’hui, je veille davantage à m’accorder des respirations. Je programme des alarmes pour faire une pause de dix minutes: je sors marcher au soleil, par exemple. Ce n’est pas un hasard si mes meilleures idées me viennent le samedi. Le vendredi soir, je déconnecte tout. Accorder du repos à mon cerveau, ça porte clairement ses fruits.
Vu depuis l’espace, on comprendrait vite l’essentiel
La famille, d’abord. Trouver un équilibre entre travail et vie privée est un défi majeur. Il pousse à hiérarchiser ses priorités. Je dois avouer que cette manière de voir les choses est encore récente pour moi. Je ne sais pas encore où elle me mènera, mais j’ai bon espoir que considérer le design comme un «vrai» métier m’aidera à être plus efficace.
Je trouve du réconfort dans les petits instants
Voir le soleil se lever. Savourer le premier café du matin. Ces choses simples semblent évidentes, mais j’essaie d’en jouir consciemment. Ce sont des moments sans pression, qui nous ancrent dans le présent.