Pleine de potentiel, cette maison gantoise des années 1960 ne demandait qu’à être sublimée. C’est le pari réussi haut la main par sa propriétaire, architecte d’intérieur, qui a conservé les détails d’époque, tout en injectant des couleurs audacieuses et une atmosphère chaleureuse.
«Vous avez fait moins de pas que la moyenne aujourd’hui.» Quelques jours de vacances, et le podomètre de Lies Van Kerckhove, architecte d’intérieur, se permet ce genre de notifications. C’est ce qui arrive lorsqu’on vit dans une maison de ville tout en verticalité. Un aménagement de ce type fait inévitablement grimper les compteurs. «Une amie a récemment comparé notre mezzanine à celle d’une maison mid-century à Los Angeles, confie l’intéressée. Ce n’était pas une référence consciente, mais cette touche de nostalgie colle bien à mon style. Dans cette maison, et plus particulièrement dans la cuisine, tout ce qui me définit s’y retrouve.»
Du vintage à la sauce moderne
Il y a cinq ans, Lies Van Kerckhove et son compagnon Benjamin Van Synghel ont acheté cette maison des années 1960 dans un quartier convivial en périphérie de Gand. Les anciens propriétaires y tenaient une pharmacie au rez-de-chaussée et vivaient aux deux étages supérieurs. «La maison avait un caractère fermé, mais elle recelait des détails exceptionnels: la rampe d’escalier élégante, les moulures, le carrelage en damier de marbre, les portes à verre structuré, le parquet en point de Hongrie. Il y avait déjà tant de choses présentes, il fallait juste mettre en valeur cette beauté», raconte Lies.
Camaïeu de roses
Ce qu’elle a fait avec ce mélange de styles qui caractérise son bureau Fragmenture, tout en y ajoutant une généreuse dose de personnalité. «Dans la cuisine surtout, j’ai voulu pousser à l’extrême ce que je fais au quotidien: beaucoup de couleurs, une ambiance sixties assumée et aucun compromis sur les matériaux.» Cet endroit est sans conteste la pièce phare de la maison: anciennement un laboratoire, c’est aujourd’hui une cuisine lumineuse avec coin repas, surplombée d’une mezzanine dont les lignes guident aussitôt le regard vers le haut. Finies les ambiances stériles, place à un espace chaleureux et joyeux décliné en rose et bordeaux, avec des armoires en placage de bouleau foncé qui se prolongent jusqu’au plafond. Pour renforcer encore les liens entre intérieur et extérieur, une mosaïque de carreaux de terrasse aux tons clairs se poursuit au-dedans, intégrant ainsi la cour urbaine au cœur du logement. Un vrai casse-tête, surtout avec un chauffage au sol, mais ce type de pierres irrégulières trouve de plus en plus sa place en intérieur. Ici, elles ajoutent de subtiles nuances tout en douceur; dehors, elles se font plus brutes. «L’artisan avait déjà sorti sa meuleuse pour lisser les bords, explique Lies. Il avait du mal à comprendre mon idée de frontière naturelle.»
Quand les portes-fenêtres sont ouvertes, on a presque l’impression de cuisiner en plein air. Un vrai luxe pour Benjamin, passionné de défis culinaires: «De toutes les pièces de la maison, je suis le plus attaché à l’îlot central. On a hésité un moment, mais heureusement, on a décidé d’y intégrer la cuisinière. C’est un bonheur d’être aux fourneaux pendant des heures avec vue sur la cour, mais aussi de s’installer de l’autre côté, sur un tabouret, le dos caressé par le soleil. Le dimanche matin, je ne voudrais remplir mes mots croisés nulle part ailleurs.»
Un mélange de styles qui a du goût
La mezzanine a beaucoup d’impact, mais le reste de la répartition intérieure est resté pratiquement inchangé. Les points forts ont été soulignés, comme le plafond remarquable du salon ou l’escalier en hêtre bordeaux. Visuellement, Lies a opté pour une démarcation claire: les nouveaux espaces de vie ont été peints en blanc frais, le reste en blanc chaud.
La palette de couleurs de la cuisine se décline dans chaque pièce – du sol coulé rose à la paroi de douche bordeaux – mais dans le salon, les contrastes sont plus marqués. Les meubles y contribuent, avec par exemple un Togo des années 1970 de Ligne Roset face à une Bold Chair violette de Big Game, ou encore une table à manger de Van Den Berghe-Pauvers côtoyant des créations personnelles. «Notre intérieur est hétéroclite, et c’est comme ça que je l’aime, explique Lies. Le design neuf est limité, je préfère investir dans l’occasion. J’ai fabriqué le meuble TV, les tables d’appoint et la bibliothèque, et j’utilise des matériaux de récupération quand c’est possible. Dans la chambre d’amis, il y a par exemple une vieille armoire de pharmacien des anciens propriétaires. J’y ai ajouté un reste du plan de travail en granit de la cuisine et un lavabo. Le marbre revient discrètement à plusieurs endroits, un clin d’œil amusant.»
Pendant la visite, Lies s’excuse à plusieurs reprises pour une plinthe manquante, une bavure de peinture, une lampe absente. Des détails, certes, mais pour elle, des obstacles à un réel sentiment d’aboutissement. Bien que ce soit la seconde fois qu’elle rénove sa propre maison, l’impact a été plus intense cette fois-ci: «Lors de la précédente rénovation, nous avons tout fait nous-mêmes, cette fois, nous avons largement confié le travail. Et cela a été plus difficile que prévu, surtout pour moi. Je réfléchissais à chaque décision beaucoup trop longtemps, je repérais tous les défauts. Au moindre problème, je me sentais responsable. J’avais du mal à ne pas surveiller chaque geste des artisans. Heureusement, je collabore depuis des années avec la plupart d’entre eux, nous parlons le même langage. Quand les armoires de cuisine ont été installées, j’ai remarqué qu’elles avaient un intérieur rose. Je ne l’avais pas demandé explicitement, mais c’était exactement ce que je voulais.»
‘Lies a réinventé la maison, et cela continue de m’émerveiller.’
Bien que son regard reste toujours critique, l’architecte d’intérieur se dit plus que satisfaite. Mais l’exprimer elle-même lui coûte un peu. Alors Benjamin résume tendrement: «Lies a réinventé la maison, et cela continue de m’émerveiller. C’est comme si je vivais avec une alchimiste.»
EN BREF
Lies Van Kerckhove
Architecte d’intérieur, elle a fondé son bureau Fragmenture en 2014, qui se concentre principalement sur les projets privés. Elle a également signé les aménagements du musée M (bar et boutique), de De Bijloke (bar) et de Valeir (salon de dégustation).Elle enseigne la conception d’intérieur à la haute école Thomas More à Malines.fragmenture.be
Benjamin Van Synghel
Journaliste et copywriter free-lance, il collabore notamment avec la VRT, De Morgen, Toerisme Vlaanderen et l’agence de scénographie Pièce Montée.
Jan Verlinde