Jay Osgerby, designer: « L’ennui est un catalyseur »
A 54 ans, il dirige avec Ed Barber le célèbre studio de design Barber Osgerby à Londres. Ensemble, ils imaginent des intérieurs de magasins et d’hôtels, mais touchent également à l’architecture et aux installations artistiques ainsi qu’à la conception de meubles pour des marques prestigieuses. Leur collaboration de longue date avec Vitra a récemment abouti à la création de la chaise Mikado.
La transmission
La créativité est contagieuse. Les histoires se transmettent d’une génération à l’autre, et chez nous, elles concernaient notamment la branche suisse de la famille, mon arrière-arrière-grand-père ayant bouleversé le domaine de la photo en tant que chimiste, et son père étant horloger. Et du côté britannique, il y avait beaucoup de petits indépendants, y compris mes parents, qui ont ouvert une épicerie de produits naturels en 1977. C’était novateur à l’époque et dans un village comme le nôtre. De nombreux aspects de mon travail coulaient donc déjà dans les veines de mes ancêtres.
Le catalyseur
L’ennui est un véritable catalyseur. Quand j’étais petit, il ne se passait jamais grand-chose dans notre quartier, mais à la maison, nous avions une remise avec du vieux matériel et des outils. Je m’amusais à assembler des meubles rudimentaires, des machines qui ne fonctionnaient pas et des explosifs, ce qui ne plaisait pas beaucoup à ma maman (rir). Aujourd’hui, les enfants connaissent rarement ce plaisir. Un smartphone devant les yeux, on ne s’ennuie jamais, mais on n’apprend pas non plus à se servir de ses mains et de sa tête.
De nombreux aspects de mon travail coulaient déjà dans les veines de mes ancêtres.’
Des opportunités
Qui ne commence rien n’a rien à perdre. En 1996, quand Ed et moi avons obtenu notre master en architecture au Royal College of Art de Londres, l’économie sortait d’une récession. Les emplois étaient rares. Comme beaucoup de notre génération, nous avons dû nous créer des opportunités et avons lancé un studio d’architecture et design. Mes parents avaient ouvert leur boutique; leur esprit d’entreprise était un exemple. J’ai ainsi appris qu’il ne faut pas attendre que les autres prennent les initiatives; on peut prendre sa vie en main.
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Esprits créatifs…
Un créateur doit connaître le monde qui l’entoure. Pour faire la différence, il faut être au courant des développements d’autres secteurs, tels que la science et la technologie. C’est peut-être pour cela que j’ai toutes sortes d’amis. Ed est mon meilleur camarade et, au bureau, je suis entouré d’esprits créatifs. Je peux donc voir le monde à travers différentes lunettes et parler de plein de sujets variés.
… et complémentaires
Une tempête vous emmènera parfois plus loin qu’une légère brise. Ed et moi sommes complémentaires, mais nous avons aussi souvent des désaccords parce que nous abordons les choses différemment. Ed est un grand esthète, alors que je me concentre sur l’innovation. Mais nous pouvons nous renforcer mutuellement, car nous ne sommes pas égoïstes et nous savons faire des compromis. Nous avons la chance d’avoir grandi avec deux frères, ce qui apprend à donner et à recevoir.
Un défi
Je ferais mieux d’être moins impétueux de temps en temps. A l’école, mon professeur de menuiserie me disait toujours «mesure deux fois, coupe une fois», mais appliquer cette devise reste un défi. Au bureau, je m’enthousiasme vite pour des idées et je veux tout de suite appuyer sur l’accélérateur, alors que dans ma vie privée, je suis parfois choqué par ce que je laisse échapper. D’un autre côté, le conseil de mon professeur m’aide à gérer ma dyslexie et celle de mon fils de 15 ans. Nos cerveaux fonctionnent différemment et nous savons que nous devons lire les questions deux fois.
Père modèle
Avoir des enfants amène à regarder votre propre éducation différemment. Après le divorce de mes parents lorsque j’avais 15 ans, mon père a disparu, ne me laissant aucun modèle de relation père-fils ou fille à cet âge. J’ai donc cherché, au fur et à mesure, un équilibre entre être présent pour mes enfants, et leur offrir une certaine sécurité, et leur laisser la liberté de faire leurs erreurs. Je me souviens que mon papa était un homme chaleureux qui gagnait rapidement la sympathie des autres. Je souhaite ce don à mes enfants, car quand on s’entend bien avec tout le monde, on n’est jamais seul.
Le coeur serré
Le bon design est celui qui est indestructible. C’est le défi que doivent relever les designers, aujourd’hui: fabriquer des objets que les gens pourront transmettre à leurs enfants et petits-enfants, ou vendre en occasion. J’ai le cœur serré quand je vois le nombre d’objets qui ont l’air d’être des créations dignes de ce nom, mais qui s’abîment rapidement et finissent à la poubelle. Ils sont un peu moins chers et plaisent brièvement aux consommateurs, mais ces avantages l’emportent de moins en moins sur leur impact désastreux sur l’environnement.
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