Nedda El-Asmar, orfèvre et designeuse, couronnée par le prix Henry van de Velde

Nedda El-Asmar © Titus Simoens
Wim Denolf Journaliste Knack Weekend

La créatrice de 56 ans vient de recevoir le prestigieux prix Henry van de Velde qui récompense l’ensemble de sa carrière. Nous avions repéré le talent de Nedda El-Asmar, en 2007, elle était notre Designer de l’année. lle a créé des couverts et des accessoires de décoration pour des marques telles que Puiforcat, Hermès et Villeroy & Boch au cours des trente dernières années. Et depuis 2019, elle enseigne au département bijouterie et orfèvrerie de l’école des arts PXL-MAD à Hassel

Pas de plan de carrière

Pouvoir se dire «j’aime faire ce que je fais», c’est motivant. Je n’ai jamais eu de plan de carrière. Après l’école secondaire, je voulais faire quelque chose de créatif, travailler avec mes mains, de préférence pour imaginer des objets tangibles, en trois dimensions. La peinture ou le graphisme n’étaient donc pas une option. La section bijouterie et orfèvrerie de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers m’a séduite. Finalement, j’ai toujours vécu de ma passion. Grâce à cela, les moments les plus difficiles de mes études et de ma carrière ne m’ont jamais semblé insurmontables.

La vie comme elle vient

J’ai hérité du côté aventureux de mes parents. Ils m’ont incitée à ne pas avoir peur dans la vie. Pourtant, ça n’a pas été facile pour mon père – un Palestinien qui s’est retrouvé en Belgique dans les années 1960 et qui a dû trouver du travail ici, pendant la crise pétrolière du début des années 1970. Au lieu de se décourager, ma mère et lui ont acheté une vieille Chevrolet. Toute la famille a quitté Alost pour l’Arabie saoudite, où j’ai vécu jusqu’à l’âge de 6 ans. Lorsque j’ai trouvé la maison de mes rêves sur la Sint-Jansplein à Anvers, le quartier m’a été déconseillé à plusieurs reprises parce qu’il était soi-disant dangereux, mais je me suis dit: je fonce et je prendrai la vie comme elle vient.

Regarder le positif

Même les expériences douloureuses de la vie servent à quelque chose. J’avais 19 ans lorsque j’ai perdu ma mère, décédée d’une leucémie. C’est à mes parents que je dois de toujours regarder le positif dans chaque situation, car tôt ou tard, tout le monde connaît des revers. Si vous ne subissez jamais de coups durs ou n’avez jamais de malchance, vous ne pouvez pas non plus découvrir votre propre résilience et grandir en tant qu’être humain.

Sans coups durs, vous ne pouvez pas découvrir votre propre résilience et grandir.’

Repousser les limites

Créer un produit pour le produit ne m’intéresse pas. Lorsque je travaillais pour des maisons comme Hermès, j’étais en contact avec leurs artisans et il y avait un véritable échange de visions. Nous nous lancions des défis mutuels, repoussions ensemble les limites. Cela me permettait d’évoluer professionnellement. Aujourd’hui, très peu d’entreprises œuvrent encore de cette manière. Nombre d’entre elles reçoivent des propositions toutes faites de la part de designers et, en fin de compte, le prix de revient et le potentiel commercial déterminent le choix du projet qui sera réalisé. Je préfère désormais donner quelque chose en retour à la jeune génération en enseignant, et me concentrer sur des projets de recherches – comme la dématérialisation de l’or – qui m’inspirent et me stimulent vraiment.

Etre qui je suis

Je refuse de me laisser atteindre par le racisme. Que ma double origine devienne problématique. Je l’ai toujours considérée comme un énorme enrichissement. Lorsque cela touche d’autres personnes que moi, je me révolte. Et je comprends parfaitement que les personnes de couleur en aient assez d’être toujours étiquetées comme des migrants et sous-estimées. Mais en ce qui me concerne, je préfère laisser les autres dans leur ignorance. De toute façon, les mots seuls ne suffisent pas à faire changer les gens de point de vue. Je me contente d’être qui je suis et de faire ce que je fais. En espérant que mes actes amèneront ces gens à tirer d’autres conclusions.

Ma propre voix

Dans un métier artistique, il faut du temps pour trouver sa propre voix. Je cherche à transmettre la persévérance à mes étudiants. Qu’ils comprennent que leur travail ne sera pas parfait tout de suite. Beaucoup de jeunes ont du mal à le faire, on ne peut pas les blâmer dans notre société de la performance. J’aime leur dire qu’au cours des premières années, ils seront probablement moins bien lotis que leurs amis qui étudient le droit. S’ils n’ont pas cette patience ou s’ils ne sont pas vraiment passionnés, il vaut mieux qu’ils fassent un autre choix.

Se nourrir de beauté

S’entourer de beau contribue énormément au bonheur. Préparer du thé dans une jolie théière, par exemple, ou manger des moules dans une casserole élégante que l’on va entretenir pendant des années, ce sont des choses vraiment appréciables. Je n’ai même pas besoin de posséder de tels objets. Si mon budget ne me le permet pas, je me contente de les admirer de loin lors d’une foire, d’une exposition ou sur un marché aux puces. Il faut rester curieux et se nourrir de beauté. Laissez-vous inspirer et vous ne vous ennuierez pas un instant.

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