Philippe Starck : « Le design voué à disparaître d’ici vingt ans »
Pour Philippe Starck, créateur visionnaire, il n’y a pas de doute: le design « n’a pas d’avenir » et disparaîtra « d’ici vingt ans maximum », dans le sillage de la « dématérialisation » qui créera « un monde sans objets », assure-t-il, un brin provocateur, dans un entretien à l’AFP. En attendant, il vient de lancer une nouvelle chaise médaillon épurée pour Dior.
« Quel est l’avenir du design, eh bien il n’y en a pas, parce qu’il faut comprendre que chaque chose a une naissance, une vie et une mort et pour le design ce sera pareil », a-t-il commenté en marge du Salon du meuble à Milan où il était venu présenter sa dernière création, une chaise médaillon épurée pour Dior. L’un des inventeurs les plus prolifiques de sa génération, Philippe Starck, 73 ans, qui a dessiné des hôtels emblématiques, yachts de luxe et meubles bestsellers en passant par des presse-agrumes et brosses à dents pourrait-il s’arrêter net dans son élan?
Pas toute suite: « si l’objet est juste, s’il mérite d’exister, s’il a été fait avec le minimum de matières et minimum d’énergie, s’il est accessible au maximum de gens, s’il apporte (…) du bonheur, du rire » et permet de « s’asseoir, se laver, manger, dans ce cas-là il a été utile et j’en suis fier ».
« Une idée toutes les seize secondes »
Ce touche-à-tout n’est vraiment pas près d’abandonner la création: « comme j’ai une idée toutes les seize secondes, je dois satisfaire tout le monde, donc c’est réellement du design démocratique » accessible à tous, commente-t-il. Mais tout aura une fin, avec la « dématérialisation »: « nous faisons tout disparaître, c’est-à-dire on augmente la puissance de l’intelligence et on fait disparaître la matière, c’est normal car plus il y a de matérialité, moins il y a d’humanité », explique ce passionné de science. « Regardez votre iPhone: le nombre de produits matériels qu’il remplace, c’est extraordinaire, ce sont des centaines de choses qu’il remplace. Avant, la taille d’un ordinateur, c’était un immeuble, un pavillon de banlieue, maintenant c’est incrusté sous la peau, ça va basculer dans le bionisme ». « Le but sera atteint » quand « l’homme sera nu à la plage, ultrapuissant, ultracalculant, ultracommunicant, donc c’est une histoire de 20 ans maximum », avance cet agitateur d’idées, petit sourire en coin. Son obsession: « Toute ma vie j’ai essayé de trouver le centre des choses, le sens des choses, l’âme des choses, la colonne vertébrale, l’os », affirme ce fils d’ingénieur aéronautique qui se présente lui-même comme un « explorateur ».
« Mon père faisait des avions et pour qu’un avion vole, il faut qu’il soit léger, il faut enlever tout ce qui ne sert à rien », explique cet autodidacte proclamé qui confesse, avec un certain sens de l’autodérision, avoir « très peu » fréquenté l’école.
Arrêter la surconsommation
Ce qui l’a marqué le plus dans son travail? « La fidélité à mon éthique, l’extrême rigueur que j’ai avec moi-même, c’est assez pénible à vrai dire, d’essayer de coller à une éthique qui est basée sur une forme de créativité et d’honnêteté ». Fibre écolo déclarée, chantre de la « décroissance positive », Philippe Starck a conçu des vélos électriques, des thermostats intelligents ou encore des éoliennes pour particuliers. « L’écologie, c’est avant tout de se dire +je voudrais acheter ça, mais en ai-je besoin?+ Si vous êtes honnête avec vous-même, à 80% vous répondrez +non+ ».
Mais aussi, c’est de se dire « je l’achète, mais c’est pour moi, pour toute la vie, pour tout le temps, ça doit durer, et je fais très attention » à préserver l’objet.
De quelle manière un designer peut-il contribuer à protéger l’environnement? La réponse est laconique: « Eh bien, en ne produisant pas » « Et si après il a vraiment quelque chose qui est très utile, quelque chose qu’il sent juste de faire, il faut qu’il interprète son idée avec un minimum de matières et un minimum d’énergie, et il faut de la longévité, mais le mieux c’est vraiment de ne pas le faire ».
Réinvention de la chaise médaillon, « icône » de Christian Dior
Vingt ans après avoir lancé la chaise la plus vendue de la planète, Louis Ghost, de style Louis XVI, Philippe Starck récidive avec une autre inspirée de celle de la même époque qui trônait dans la première boutique fondée en 1947 à Paris par Christian Dior.
« Les chaises, c’est un exercice intéressant parce que c’est très difficile malgré les apparences… légèrement un peu plus facile qu’aller sur la Lune, mais pas très loin comme difficulté », a-t-il ironisé dans un entretien à l’AFP à Milan, en marge du Salon du meuble. Le résultat de ce travail, la chaise baptisée Miss Dior, aux lignes épurées et toute en aluminium, se décline, satinée ou polie, dans plusieurs nuances, à l’instar du chrome noir, du cuivre rose ou de l’or. Clin d’oeil humoristique, l’un des trois modèles comprend un seul accoudoir.
Imaginée par le menuisier français Louis Delanois en 1769, la chaise au dossier ovale sous forme de médaillon, qui a traversé les siècles sans encombre, avait été revue à l’occasion du Salon du meuble en septembre 2021 à la demande de Dior par 17 designers, dont Pierre Yovanovitch et India Mahdavi. C’est dans des chaises médaillon tapissées de cannage et de toile de Jouy que Christian Dior, fondateur de l’entreprise de haute couture décédé en 1957, installait ses invités, dans un décor qu’il qualifiait de « sobre, simple, surtout si classique et parisien ».
Pour assurer que la chaise Miss Dior « puisse durer le plus longtemps possible », Philippe Starck indique avoir eu recours à une « matière extrêmement solide, extrêmement technique, un aluminium très écologique et totalement recyclable ». « J’ai déshabillé l’icône, c’était long et compliqué », pour arriver à « l’élégance du minimum » intemporelle et à une chaise durable qui « ne pourra pas se démoder ».
« Christian Dior m’a donné l’opportunité très importante dans ma vie de réussir presque la quadrature du cercle, de faire la chaise ultime, l’icône », a-t-il relevé. La nouvelle oeuvre de Philippe Starck fera-t-elle concurrence au bestseller Louis Ghost, la version ultramoderne de la chaise médaillon créée par lui-même pour la marque italienne Kartell, entièrement en plastique transparent?
« Ce n’est pas du tout la même chose, ce ne sont pas les mêmes prix, ce ne sont pas les mêmes matières, ces chaises sont complémentaires », explique le célèbre designer, ajoutant que « Dior, c’est quand même la haute couture ». Si la chaise Louis Ghost est commercialisée aux alentours de 350 euros, il faudra débourser entre 1.700 et 5.000 euros pour acquérir une Miss Dior, selon les versions. « Je dois satisfaire tout le monde, donc c’est réellement du design démocratique », assure celui qui a toujours affiché son ambition de rendre ses multiples créations accessibles au plus grand nombre.
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