Il y a cinq ans, Gustaf Westman entrait dans la lumière grâce à son Curvy Mirror. Depuis, il a dessiné une Mercedes rose avec plat à hot-dogs assorti, et son Baguette Holder a été l’accessoire de l’été. Confidences d’un designer qui, à 31 ans, lance une collection avec Ikea.
Une tournée hype n’est pas réservée aux rockstars. Berlin, Amsterdam, Madrid… Cet été, il fallait jouer des coudes pour entrer dans le pop-up itinérant de Gustaf Westman. Plutôt que d’opter pour des galeries ou des espaces commerciaux classiques, l’homme a aménagé cinq appartements entiers avec ses objets colorés et singuliers. À Copenhague, lors du festival 3daysofdesign, l’attente dépassait parfois une heure et demie. La pièce la plus commentée? Son Baguette Holder rose bonbon, en édition limitée, présenté à Paris, une sorte de sac à main conçu pour transporter… une baguette. Absurde? Peut-être, mais les acheteurs étaient visiblement ravis. «I don’t want it, I need it», scandait la Toile à l’unisson quand la création fit le buzz.

Sa tournée européenne est sans doute la preuve ultime de l’ascension fulgurante du designer suédois. En cinq ans à peine, Gustaf Westman a bâti un univers postmoderne reconnaissable, joyeux et ludique, qui séduit surtout une jeune génération férue de design. Près d’un demi-million d’abonnés le suivent sur Instagram. Les marques, elles, se bousculent pour collaborer avec lui. En mai, il signait une capsule pour Mercedes-Benz, imaginant une voiture rose vif pour la campagne. Si le plaid assorti est déjà épuisé, les assiettes colorées ornées du logo Mercedes sont, elles, encore disponibles.

En août, la plateforme d’échange de logements Kindred annonçait qu’il était désormais possible de séjourner dans son appartement à Stockholm et ainsi de s’immerger dans son univers. «C’est unique que les gens puissent expérimenter mes créations dans un espace personnel, sans curation, seulement habité par le chaos créatif du moment. Cela reflète parfaitement mon monde», expliquait le designer.
Ikea, un rêve d’enfant
Dernier projet en date: une collection de fin d’année en collaboration avec Ikea. Cette ligne, comprenant notamment un bougeoir, un vase, une lampe de table et de la vaisselle en édition limitée, sera en vente dès le mois d’octobre. Le dernier partenariat comparable, avec la designer néerlandaise Sabine Marcelis, s’était écoulé en un clin d’œil.
Je ne cherche pas à suivre les tendances, cela ne m’intéresse pas. Je veux surtout que ce soit beau et chaleureux.
Gustaf Westman
«Cette fois encore, tout partira en un claquement de doigts, plaisante Gustaf Westman quand on lui demande s’il anticipe le même engouement. Non, j’ai surtout l’impression que les réactions sont enthousiastes. Nous verrons bien. Pour moi, c’est un rêve d’enfant qui se réalise. J’ai toujours eu une fascination pour le mobilier et des souvenirs chaleureux de mes visites chez Ikea. C’est surréaliste de penser que mes objets s’y retrouveront.»
Quand on le rencontre par écran interposé, il se trouve à Stockholm, devant son fameux Curvy Mirror qui l’a propulsé en 2020, et devant quelques-unes de ses créations trônant sur un meuble. Il se définit comme quelqu’un qui, en théorie, peut tout concevoir, à condition que ce soit amusant. «Je ne pouvais pas refuser quand Mercedes m’a proposé de dessiner une voiture. Mais ce que j’apprécie dans la collaboration avec Ikea, c’est l’accessibilité.»
Changement de cap
Cette démocratisation pourrait marquer sa véritable percée. Car jusqu’ici, il fallait débourser une coquette somme pour acquérir une de ses pièces. Comptez environ 2.400 euros pour son miroir, et près de 3.400 euros pour une table à manger. Mais ce sont surtout ses assiettes Chunky Plates à 55 euros pièce que l’on aperçoit fréquemment sur les réseaux sociaux. «L’un de mes plus grands plaisirs est de voir mes créations utilisées par d’autres, et intégrées dans des environnements variés», confie-t-il.

Le Suédois a fondé son studio en 2020, après des études d’architecture à l’université de Göteborg. «J’ai travaillé un an comme architecte, mais je me suis vite rendu compte que ce qui m’intéressait, ce n’étaient pas les bâtiments, mais les formes, les couleurs et la fonction des objets. J’ai compris que je devais créer quelque chose pour moi-même.
J’ai commencé par de petits projets d’intérieur à Stockholm, souvent sous-payés car je voulais engranger beaucoup de missions, mais avec une seule exigence: pouvoir créer un ou deux objets personnels. C’était ma manière de financer mes prototypes. Au fil du temps, mes meubles suscitaient la demande. Quand mon miroir est devenu populaire sur Instagram, j’ai commencé à le vendre. Puis les tasses ont suivi. Petit à petit, j’ai créé mon propre univers. Rien n’était prémédité, tout a grandi naturellement. Je suis resté fidèle à moi-même et à mes créations.»
Je veux créer des objets qui rendent un intérieur plus joyeux, plus coloré, qui procurent du bonheur.
Gustaf Westman
L’influence maternelle
Il décrit son style comme direct et facile à comprendre. «Mes objets sont fonctionnels, explique-t-il. L’assiette creuse que j’ai conçue pour Ikea, par exemple, est pensée pour les traditionnelles boulettes de viande suédoises servies aux fêtes. Bien sûr, elle peut servir à autre chose, mais c’est une manière ludique d’envisager le design: l’idée de départ est précise.»
«Pour concevoir du design intemporel, il faut créer pour son époque, poursuit-il. Je ne cherche pas à suivre les tendances, cela ne m’intéresse pas. Je veux surtout que ce soit beau et chaleureux. C’est une leçon que m’a apprise ma mère: elle avait une vaisselle précieuse qu’on ne sortait que pour les grandes occasions. Cette idée a imprégné ma philosophie: je veux créer des objets qui rendent un intérieur plus joyeux, plus coloré, qui procurent du bonheur. Sont-ils toujours pratiques? Pas forcément. Qu’un objet passe au lave-vaisselle ou non, je m’en soucie peu. Il suffit de le laver à la main.»

La durabilité fait aussi partie de sa réflexion. «Comme j’ai lancé mon studio pendant la pandémie, j’ai choisi des fabricants proches, ici en Suède. J’ai aimé explorer la manière de traduire la tradition artisanale suédoise dans un design contemporain. Et je continue à chercher des solutions plus durables.»
Pour une nouvelle génération
Gustaf Westman revendique volontiers l’humour et la légèreté. Comme si ses créations n’en témoignaient pas déjà. En 2023, il invente la Wine Table, une petite table d’appoint avec des encoches pour les verres et un espace central pour une bouteille. Dans le même esprit, il réalise pour son pop-up parisien un verre à vin géant. «Aujourd’hui, je ne bois qu’un verre», écrivait-il en légende. Pour Mercedes, il dessine un rétroviseur indépendant et une assiette ondulée conçue pour accueillir trois hot-dogs. Pour un design plus sérieux, il faudra frapper à une autre porte.

Sans surprise, il cite le créateur irlandais Jonathan Anderson comme une de ses grandes inspirations. «Sa manière de créer pour Loewe des pièces immédiatement identifiables… Il capture comme personne l’air du temps. La mode le fait mieux que le design aujourd’hui, selon moi. Je m’inspire aussi beaucoup du quotidien: la façon dont les gens s’habillent, vivent. Dans les cafés, j’observe longtemps et je réalise des croquis. Souvent, mes idées partent de là.»
Mes objets sont-ils toujours pratiques? Pas forcément. Qu’un objet passe au lave-vaisselle ou non, je m’en soucie peu. Il suffit de le laver à la main.»
Gustaf Westman
Pour Ikea, il voulait cette même touche espiègle. «C’était l’occasion de réinventer la déco de fête, d’en faire quelque chose de plus audacieux. C’est cela mon interprétation des célébrations de fin d’année: un nouveau design pour une nouvelle génération.

Je crois que c’est pour le vase que j’ai dû me battre le plus, sans doute parce qu’il s’éloigne le plus du reste du catalogue. Il est assez grand et il rebondit légèrement quand on y met des fleurs. C’est ce qui en fait l’une de mes pièces préférées de la collection.»
Vers un projet d’ampleur?
«Je cherche avant tout le plaisir dans ce que je fais. Mon équipe est composée de mes amis, et grâce aux pop-up, nous avons voyagé ensemble cet été. Bientôt, cette collaboration m’emmènera en Asie. J’ai hâte.»

Quant à l’avenir? «Je me vois comme quelqu’un qui peut créer dans n’importe quel contexte, et j’adore les collaborations. Comme j’ai étudié l’architecture, j’aimerais réaliser un projet d’ampleur. En ce moment, je discute avec un commanditaire qui voudrait que je conçoive un motel à Los Angeles, jusque dans les moindres détails. Dans un monde idéal, je dessinerais même le bâtiment. Et pourquoi pas me lancer un jour dans la mode ou la chaussure? Les possibilités sont infinies.»
Gustaf Westman (31 ans)
Il a étudie l’architecture à la Chalmers University of Technology de Göteborg, Suède.
2020. Il fonde à Stockholm le Studio Gustaf Westman et séduit les amateurs de design grâce à son Curvy Mirror devenu viral.
2020-2025. Il enchaîne les créations singulières et les collaborations: papier peint pour la maison suédoise Boråstapeter, ou lit trois places conçu pour l’application de rencontres Feeld.
Mai 2025. Il lance une collection capsule pour Mercedes-Benz.
Été 2025. Il part en tournée européenne avec ses appartements pop-up, à Berlin, Amsterdam, Madrid et Copenhague notamment.
Octobre 2025. Il lance sa collection de fin d’année pour Ikea.