Stranger things et neo organism: à quoi ressemble le design de la Gen Z?

Leo Orta designer Gen z neo organism
Leo Orta. © SDP

Un nouveau courant de jeunes créateurs mise sans vergogne sur des formes étranges, entre esthétique organique et objet numérique. Des œuvres qui peuvent intriguer les plus âgés mais qui cachent en réalité un message, celui adressé par la Gen Z à une société devenue complètement folle.

«This is Neo-organism», c’est le commentaire, sur Instagram, d’une œuvre du jeune artiste français Leo Orta (29 ans). La création en question est un ensemble de canapés violets dont la forme se situe quelque part entre de vieilles carottes fondues et des jambes entrelacées. Et oui, il est possible de s’asseoir quelque part, il suffit juste de bien regarder. Le terme de «néo-organisme» est loin d’être mal choisi. Car, malgré sa couleur non naturelle, le meuble ressemble beaucoup à un tissu organique.

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Et l’esthétique de Leo Orta peut être étendue à celle d’une nouvelle génération de designers. Les formes irrégulières et organiques sont en effet de plus en plus présentes lors des événements de design, tels que Collectible Brussels et la Design Week de Milan.

Les grandes galeries exposent également ce type de collections. Les créations de Leo Orta sont d’ailleurs en vente chez Friedman Benda à New York, ce qui en dit long sur leur succès. D’autres créateurs du genre, comme Audrey Large, se retrouvent au Stedelijk Museum d’Amsterdam et à la Nilufar Gallery, la galerie milanaise de l’extravagante gourou du design Nina Yashar. Chez nous, on en retrouve aux galeries Everyday (Anvers), Atelier Ecru (Gand) et Fracas (Bruxelles).

Objects of Desire, par Pleun van Dijk.
Objects of Desire, par Pleun van Dijk. © SDP / NAHMLOS BRAM VAN DIJK

Nouvelle nature

Ce néo-organisme – nous utilisons ce terme par défaut – a également marqué Aric Chen. Directeur du New Institute à Rotterdam, il était auparavant directeur de la création auprès de Design Miami/Basel, qui est à peu près la plus grande plate-forme de design d’auteur ou de «design de collection» comme on l’appelle de nos jours.

«Pendant mes années à ce poste, j’avais déjà remarqué que ce phénomène gagnait en importance, explique-t-il. Bien que l’approche puisse différer d’un concepteur à l’autre, on remarque un certain nombre de caractéristiques communes. La première est un intérêt marqué pour le concept de l’anthropocène. C’est-à-dire que nous sommes dans l’ère (géologique) où l’homme détermine l’état de la terre et de l’atmosphère plutôt que les changements naturels, géologiques. Ces designers conçoivent des objets dans lesquels la frontière entre le naturel et l’artificiel devient floue.» En d’autres termes, les concepteurs créent une nouvelle nature artificielle.

Meta Bowl #13, par Audrey Large, 2021.
Meta Bowl #13, par Audrey Large, 2021. © SDP

«Avec leur art, ces designers débloquent un sentiment de post-Internet et de post-industrialisme, poursuit Aric Chen. Ils délaissent l’industrie et travaillent à l’extrême à la main ou à l’ordinateur, ce qui donne des formes très libres.» C’est le cas de Leo Orta qui se déconnecte complètement de la technologie, de l’industrie et de la raison. Il façonne des formes fantaisistes par pure intuition. «J’essaie d’apporter quelque chose qui fait réfléchir, précise le designer. Mes œuvres sont le résultat de mon imagination. Je suis diamétralement opposé au bâtiment parfaitement mesuré, géométrique et architectural. Pour beaucoup, la beauté va de pair avec l’identification et la familiarité. Pour moi, c’est l’inverse. Si je reconnais une forme, elle perd immédiatement son âme à mes yeux.»

Chaise Oiseau, par Leo Orta, 2022.
Chaise Oiseau, par Leo Orta, 2022. © SDP

Nostalgie et dystopie

Avec d’autres créateurs, principalement français, Leo Orta a fondé le collectif Morph, qui a fait l’objet d’une exposition au Nieuwe Instituut de Rotterdam l’année dernière après avoir fait fureur à Milan et en Chine.

Leur langage commun de formes reflète une image mystérieuse d’une nature sauvage et numérique. «Notre conception de l’avenir est celle d’une dystopie», ajoute Leo Orta. Pour Aric Chen, «ces créateurs semblent visualiser les ruines de notre futur proche. Leur art est comparable à des films comme Mad Max et Blade Runner. C’est le cyberpunk d’aujourd’hui.» Pour Nina Yashar, ce courant contient également une certaine nostalgie d’une nature sauvage que nous sommes sur le point de perdre. «Le plus grand défi sera de concevoir pour d’autres planètes et pour le métavers. D’une certaine manière, ce langage créatif explore ces nouveaux horizons.»

Leo Orta.
Leo Orta. © SDP

Malgré l’esthétique pessimiste de la dystopie, la plupart des designers sont intrinsèquement positifs. Créer implique de construire et non de démolir, au sens propre comme au figuré. «Les artistes essaient de laisser libre cours à leur créativité dans le contexte de la dystopie, nuance Aric Chen. Shahar Livne, originaire d’Israël, en est un bon exemple. Elle a vu qu’à l’avenir nous pourrions extraire du plastique pétrifié de l’océan et a commencé à l’utiliser comme matière première pour ses créations.»

une des creations de Leo Orta
Unnamed 3, par Leo Orta. © SDP

Détail technique intéressant: ces formes semblables à des tissus organiques sont souvent inspirées de rendus numériques en 3D et encore plus souvent conçues à l’aide de logiciels 3D. Une illustration frappante est la Française Audrey Large (28 ans), qui a remporté le prix du Jeune designer de l’année lors de la Design Week néerlandaise l’an passé.

Au cœur d’une époque fortement numérisée, elle interroge les matériaux et les objets. «Les logiciels sont presque toujours utilisés pour créer des simulations de la réalité, constate-t-elle. Mais pourquoi ferais-je cela? J’essaie de créer mon propre alphabet. Artificiel mais en même temps organique. L’ambiguïté m’intéresse. Ces objets sont-ils fabriqués par l’homme ou par une machine? Sont-ils beaux ou laids? Sont-ils luxueux ou bon marché? Sont-ils réels ou numériques?» L’artiste imprime ses rendus 3D et, étrangement, les objets réels ont l’air tout aussi numériques. «J’utilise un bioplastique qui me permet d’imprimer des objets dans des couleurs irisées, ce qui crée un résultat irréel», souligne-t-elle.

Audrey Large.
Audrey Large. © PHOTOS: SDP / ALAA ABU ASAD

Réponse au modernisme

Certains designers plongent encore plus loin dans le numérique et laissent le travail de création entièrement à l’ordinateur. La Néerlandaise Pleun van Dijk (30 ans) s’est un jour dit qu’elle pourrait collaborer avec un algorithme. Elle a introduit un millier de photos de sex-toys dans un ordinateur et a laissé son système mathématique travailler avec elles. «L’algorithme apprend progressivement quelles sont les caractéristiques communes de toutes les photos et produit continuellement de nouvelles formes, résume-t-elle. C’est comme un enfant. Vous leur montrez une voiture et ils apprennent ses caractéristiques de base: quatre roues, une forme horizontale… L’algorithme va maintenant dessiner de nouvelles voitures – dont l’aspect sera peut-être très étrange.»

TP-TS-1122.mocap, par Audrey Large, 2018.
TP-TS-1122.mocap, par Audrey Large, 2018. © SDP

Si l’on peut trouver le résultat de ces manipulations laid, il faut savoir toutefois que le néo-organisme est une réflexion sur nos rapports avec la nature et la technologie. «Nous avons grandi entourés de plastique et d’autres déchets», déplore Pleun van Dijk. «En principe, la nature n’en fait qu’à sa tête, ajoute Leo Orta. Est-elle laide pour autant? Une pelouse bien tondue, ça c’est laid.» Aric Chen, lui, estime que ce courant est une réaction à «la pensée moderniste, cartésienne et bauhausienne qui a contribué à la destruction de notre monde». Pour lui, «nous pensons pouvoir tout contrôler et rationaliser le monde mais voici le contre-mouvement. Cette génération pense que nous avons besoin d’autres formes de connaissances.»

Pleun van Dijk.
Pleun van Dijk. © PHOTOS: SDP / NAHMLOS BRAM VAN DIJK

Le néo-organisme fait fi non seulement de la géométrie mais aussi de la fonctionnalité. «Ce que je fais appartient au domaine du design spéculatif ; l’histoire est la fonction», déclare Pleun van Dijk. «Plusieurs de ces créations sont pensées pour le métavers ou d’autres espaces numériques futurs où la fonctionnalité deviendra un concept très relatif, estime pour sa part Nina Yashar. De plus, de nombreux jeunes créateurs veulent simplement libérer leur créativité. Ils préfèrent ce support à la peinture ou à la sculpture.»

Les frontières entre art et design se floutent donc, avec ce mouvement, et Aric Chen suggère de redéfinir ces deux concepts. «Le design est devenu une plate-forme d’expérimentation beaucoup plus large, dit-il. Auparavant, c’était une discipline qui présentait des produits. L’art était la discipline des idées. Cela a complètement changé.»

Objects of Desire, Dataset 3, Sculpture 004, par Pleun van Dijk.
Objects of Desire, Dataset 3, Sculpture 004, par Pleun van Dijk. © PHOTOS: SDP / NAHMLOS BRAM VAN DIJK

Leo Orta expose Why Do Clouds Cry? à La Patinoire Royale-Galerie-Valérie Bach, 15, rue Veydt, à Bruxelles,

prvbgallery.com

Jusqu’au 12 novembre.

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