Nina Yashar, « Queen of design »: »Le confinement a incité les gens à envisager leur lieu de vie différemment et à comprendre le rôle du design »

© SDP / MATTIA IOTTI

A 6 ans, Nina Yashar (64 ans) a quitté Téhéran pour Milan, avec son père, négociant en tapis. Fondatrice de la Nilufar Gallery et du Nilufar Depot, la « queen of design » est connue pour le mélange de cultures, d’époques et de styles qu’elle propose, et pour sa capacité à dénicher les jeunes talents. Au printemps, elle a lancé Picked by Nina, une plate-forme d’e-commercequi rend le collectible design « plus accessible ».

Avoir une capacité d’adaptation aide beaucoup dans la vie. Même si cela implique parfois de laisser tomber certaines choses. Quand j’étais enfant, j’ai voulu apprendre l’italien rapidement et j’ai tout fait pour m’intégrer. En même temps, je me reconnais dans la nature cosmopolite des Perses et de l’Iran actuel: dans mon travail, j’embrasse chaque culture, sans bâtir de murs ni tracer de frontières. Italienne ou iranienne, je suis simplement à 360 degrés.

Il faut du courage pour s’exprimer et suivre sa propre vision. L’exemple de mon père compte beaucoup pour moi. Je lui dois notamment mon oeil acéré. Lorsque, après mes études d’histoire de l’art à Venise, je suis allée travailler à ses côtés, je n’avais que 21 ans, mais, au bout de six mois, je savais déjà que nous avions des goûts très différents. Pourtant, il a toujours été une grande source d’inspiration pour moi. Je suis tranchée et indépendante dans mes choix, à la manière de mon père qui sélectionnait la marchandise avec minutie.

En tant que femme, nous devons gagner notre crédibilité. Il a fallu des années pour que je sois prise au sérieux mais je ne crois pas dans les prétendues différences entre hommes et femmes. Si je regarde comment d’autres galeristes fonctionnent ou le travail de designers, finalement, c’est toujours leur personnalité qui est déterminante. Lorsque j’étais une jeune femme au milieu de respectables négociants en tapis, je savais que je devais apporter du nouveau pour me faire remarquer. Alors, je leur ai présenté des kilims turcs, des gabbeh traditionnels d’Iran, des tapis français et suédois et d’autres pièces inédites.

Un galeriste est quelqu’un qui emmène des clients vers des choses nouvelles et inattendues. Aujourd’hui, tout le monde peut faire des recherches sur Internet. Alors, en tant que revendeuse, je ne peux pas me reposer sur mes lauriers. Au contraire, je dois faire des recherches encore plus poussées, aiguiser davantage ma vision, me concentrer sur des projets qui ont vraiment du sens. Je n’ai pas peur que le monde physique soit évincé par le digital ; la manière dont je traduis ma vision en scénographie et l’expérience que nos visiteurs vivent sur place sont irremplaçables.

‘Je n’ai pas peur que le monde physique soit u0026#xE9;vincu0026#xE9; par le digital.’

Au cours des derniers dix-huit mois, l’intérêt pour le design a connu une énorme croissance. L’attrait pour les vraies pièces haut de gamme est également monté en flèche. Cela ne veut pas dire que tout le monde se met tout à coup à acheter du design contemporain de haute qualité. Une chose est sûre: le confinement a incité les gens à envisager leur lieu de vie différemment et à comprendre le rôle du design. Ce sujet parle à un groupe plus large, et c’est aussi l’objectif que je poursuis avec Picked by Nina: toucher une clientèle plus jeune plutôt que de viser un cercle sélect.

Un intérieur sans tapis est comme une pièce sans murs. Au début de ma carrière, j’ai exploré des tapis de tous les pays et époques possibles. Ils restent un élément indispensable de mon travail. Dans chacune de mes scénographies, il y a un tapis qui rassemble, crée des connexions et apporte de la chaleur.

La recherche de l’innovation est essentielle. J’aime travailler avec des gens comme Martino Gamper et Massimiliano Locatelli: des designers qui se concentrent sur des choses du quotidien, mais qui les appréhendent de manière différente. Comme j’aime réfléchir et donner mon avis sur les dimensions ou la couleur des objets, il m’arrive de dire en plaisantant que les projets de Nilufar sont réalisés à quatre mains, mais sans tensions. Un designer doit être libre dans son processus créatif. Soit vous choisissez un projet et vous le respectez, soit vous vous abstenez.

Lorsqu’on exerce ce travail depuis un certain temps, il devient difficile de conserver sa capacité d’étonnement… mais cela dépend aussi de vous. Personnellement, j’espère ne jamais perdre ma curiosité. Il est fondamental d’être ouvert au dialogue et de pousser la confrontation à d’autres idées pour aller de l’avant. Si vous butez sur certaines limites, vous remarquez que votre vision devient plus figée, alors, faites preuve d’humilité et d’intelligence et entourez-vous de personnes qui peuvent vous aider.

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