Vincent Van Duysen fête ses 60 ans: « La créativité est mon élixir de jeunesse »
A tout juste soixante printemps, notre Designer de l’année 2016, Vincent Van Duysen, jette un regard éclairé sur sa carrière, et le monde en général. Il y est question d’humanisme, de transmission, de mode aussi un peu, et même de méditation.
En 2016 déjà, alors qu’il recevait notre prix du Designer de l’année et venait de devenir directeur de la création pour la marque italienne de meubles Molteni&C, Vincent Van Duysen nous confiait « avoir besoin d’instants de silence et de réflexion » et « être étonné par la qualité et la quantité des choses » qu’il avait pu réaliser en trois décennies. « Il y a des moments où je me demande d’où ça vient, comment ça se fait. Et je me rends compte que tout est arrivé grâce à la vitalité, la passion, l’envie d’inspirer et d’être inspiré », disait-il à l’époque.
Six ans ont passé depuis, et force est de constater que l’architecte belge, désormais mondialement connu, a poursuivi sa route vertueuse, pavée de succès divers. Lorsque nous le rencontrons, à Anvers, en ce mois de mars, l’homme rayonne. Le printemps est là et une douce lumière chaude inonde les façades de la place où nous avons rendez-vous. Cette année, il soufflera ses soixante bougies. Une étape qu’il aborde avec des sentiments mitigés qu’il nous relate ici sans tabous. Mais sans se départir d’une passion intacte pour son métier. Happy birthday!
Qu’est-ce que ça vous fait, d’avoir soixante ans?
C’est un chiffre qui trotte dans ma tête depuis un certain temps. Je me sens toujours jeune, mais je vois les choses différemment. Je suis beaucoup plus conscient qu’avant. Je surveille ce que je mange, même si j’aime boire un verre de vin. Je fais du sport. A l’approche de cet anniversaire, j’ai également commencé à méditer, tous les jours. Cela m’aide à faire des choix plus conscients, à être plus concentré, mais aussi à apprendre à être seul. J’ai beaucoup travaillé, et la vie ne m’a pas toujours épargné. J’ai besoin de repos. Je m’isole aussi plus souvent, je ne suis pas un être social… L’année dernière a également été difficile. J’ai perdu ma mère. Je suis toujours dans une période où je dois faire face à sa perte et au chagrin. Je suis fils unique, et l’un de mes plus grands devoirs est de m’occuper de mon père, âgé de 87 ans. Avoir 60 ans, c’est marquant. Ma vie a pris un autre sens. Tout n’est pas superficiel ou éphémère. Heureusement, j’ai une profession qui me motive. Cette créativité est vraiment mon élixir de jeunesse. Mais ce repos que je prends est quelque chose que je relie à cet anniversaire que je veux célébrer au Portugal, uniquement avec des personnes que je connais depuis ma jeunesse. J’essaie de profiter davantage de la vraie valeur de la vie en ce moment.
Quelle est l’essence de votre travail?
Je garde toujours le bien-être en tête. Le confort, le sentiment de sécurité, la paix et la tranquillité. C’est un message très humaniste. Cette paix est quelque chose que j’ai toujours essayé d’injecter dans mes créations. Mais cela ne signifie pas que les gens n’ont pas la liberté de modifier cet aspect paisible de mes projet. Rien n’est plus beau qu’une bibliothèque remplie. Je déteste celles qui ne contiennent que deux livres et quelques objets décoratifs. Mon objectif est de créer un sanctuaire. Avec des silences visuels. Je remarque parfois que mes visiteurs se sentent apaisés quand ils entrent chez moi. Personnellement, j’y suis bien, en sécurité. C’est mon refuge.
Si je devais uniquement penser à vivre avec les Belges ou au sein de la culture flamande, je trouverais cela très frustrant.
Vous vous qualifieriez de minimaliste?
Je déteste que les gens me classent dans cette catégorie. Bien sûr, l’architecture, l’équilibre de l’espace, tout est très dépouillé. Mais finalement, je suis aussi entouré d’objets, de sculptures, de livres, d’art. J’ai toujours été attiré par les cabinets de curiosités, par les collections. Parce qu’à travers les collections, on peut aussi voir des lignes directrices, et donc une certaine abstraction qui la rend paisible.
Avez-vous déjà été frustré par ce que les clients ont fait de vos créations?
La conception n’est pas un processus à sens unique. J’adore travailler pour des gens qui veulent plus qu’une « maison de Vincent Van Duysen Architects ». Cela crée une véritable interaction. Ce sont d’ailleurs mes meilleurs projets. D’autres clients – heureusement pas trop nombreux – se permettent par contre de se mêler de tout, du début à la fin. Je n’accepte plus ce genre de travail. S’ils veulent tout faire eux-mêmes, ils n’ont pas besoin de moi. Les médias sociaux ont pris la relève des magazines et font croire trop rapidement aux gens qu’ils sont eux-mêmes architectes ou décorateurs d’intérieur. J’ai toujours eu un problème avec ce phénomène.
Enfant, de quel métier rêviez-vous?
J’ai beaucoup hésité. Je savais que je me dirigeais vers un métier artistique. La danse contemporaine me fascinait. J’ai auditionné avec Jan Fabre et Marc Vanrunxt. Mais j’aimais beaucoup la mode. D’une certaine manière, j’étais aussi un peu new wave. De Lokeren, je prenais le train pour aller aux premiers défilés à Anvers. Finalement, j’ai choisi l’architecture, un peu sur les conseils de l’entourage de mes parents, qui eux cependant me voyaient bien étudier le droit. Mais j’ai échoué en première session lors de mes examens théoriques de première candi et j’ai secrètement passé l’examen d’entrée à l’Académie de la mode. J’ai été accepté, mais entre-temps, j’avais réussi ma seconde session d’architecture et c’est avec un certain regret que j’ai abandonné cette seconde voie. Mais je ne l’ai jamais oubliée. Un styliste est un peu un architecte de la silhouette. Je suis un grand admirateur de Dries Van Noten, d’Ann Demeulemeester, et surtout de Martin Margiela. Cette architecture du vêtement, cette intemporalité, combinable à l’infini. J’aime beaucoup ce que Demna Gvasalia a fait récemment avec Balenciaga.
Pourquoi travailler avec des marques internationales? Est-ce indispensable?
Je suis directeur de la création chez Molteni&C et Dada, donc je suis très lié à cette culture du design italien. Au savoir-faire, à l’artisanat. Même si la production est industrialisée, la touche de l’artisan reste visible. C’est fascinant. Ils ne se contentent pas non plus de fabriquer des meubles. Ils inscrivent la production dans un contexte beaucoup plus large. L’un des fondateurs a également lancé le Salone del Mobile (NDLR: en 1960). Disons que si je devais uniquement penser à vivre avec les Belges ou au sein de la culture flamande, je trouverais cela très frustrant. Je me sentirais coincé. Cette coopération est aussi une extension de mon architecture. De la valeur ajoutée. Non seulement en Belgique, mais aussi au niveau international.
Depuis que vous avez commencé, quelle évolution dans votre domaine vous a le plus impressionné?
Quand j’ai été diplômé en 1985, on ne parlait pas de dessiner sur ordinateur. Ça a été une véritable révolution. Maintenant, nous avons des outils qui nous permettent d’aller plus loin, de travailler efficacement de manière plus détaillée, etc. Mais l’époque où l’on était sur une planche à dessin et où l’on avait un rapport direct, autour d’un dessin, avec un entrepreneur de confiance ou un charpentier, était très sympathique. C’était plus simple. Par ailleurs, l’élaboration des dossiers d’architecture et des permis de bâtir est aujourd’hui beaucoup plus difficile qu’avant et demande de sérieuses mises à niveau en matière de durabilité notamment. Nous travaillons souvent à l’étranger et ça complique encore les choses: parfois, trente ou quarante personnes sont impliquées dans un projet. Le métier est vraiment plus complexe de nos jours.
Les médias sociaux ont pris la relève des magazines et font croire trop rapidement aux gens qu’ils sont eux-mêmes architectes ou décorateurs d’intérieur.
Selon vous, quel pourcentage de votre succès est dû à votre talent… ou à la chance?
Sans mes parents, je ne serais pas là où je suis aujourd’hui… C’est un concours de circonstances. Mais je vois aussi beaucoup de personnes terriblement talentueuses qui n’ont pas de succès. Je me pose alors la question suivante: quelle chance avons-nous eue d’être ce que nous sommes, si ces autres ont le talent, mais ne décollent pas? Parfois, la chance est… spontanée. La chance d’avoir des relations ou d’être présenté à quelqu’un de bien placé.
Comment vivez-vous la concurrence?
Tout le monde à droit à sa chance. Je sais que j’ai inspiré des gens et que je le fais encore aujourd’hui. Ça me plaît. Je suis aussi inspiré par le monde et les autres. Je souhaite beaucoup de succès à mes anciens collaborateurs. Je suis aussi très fier d’avoir contribué à les former: ils sortent un peu de l’école de Vincent Van Duysen, comme dans le temps. Est-ce que j’y vois de la compétition ou de la concurrence? Non. Chacun est libre de faire ce qu’il veut de son inspiration et de ses talents. C’est tout à mon honneur, je le prends comme un compliment. Les copieurs, c’est autre chose. Ils sont nombreux, et je les remarque vite. Cela m’attriste, mais ça ne m’empêche pas de dormir.
Le coût du design ou de l’architecture reflète-t-il également sa qualité?
Non, absolument pas. Je suis un démocrate dans l’âme et j’aime aussi les choses simples et abordables. Je ne choisis pas mes clients en fonction de l’argent. Si je tombe sur un client au budget limité, mais avec qui j’ai un déclic fantastique parce qu’il a une vision intéressante, je ferai tout pour réaliser son projet. Je ne veux pas être catalogué comme quelqu’un qui ne travaille que pour les « happy few ». Je ne suis pas ce genre de personne. Mais un projet doit rester lucratif. Je veille également au bien-être de mes collaborateurs. Ce sont des jeunes qui viennent de se marier, qui attendent un bébé ou qui viennent d’acheter un bien. J’ai dû licencier la moitié de mon équipe suite à la crise économique de 2008. Donc, non, je ne prône certainement pas l’élitisme.
En bref: Vincent Van Duysen
- Il est né à Lokeren, en Flandre-Orientale et a décroché son diplôme d’architecture à Sint-Lucas, à Gand.
- Il a fondé Vincent Van Duysen Architects en 1989. Aujourd’hui, l’équipe est composée d’une trentaine de collaborateurs. Leur travail va de la conception de produits pour de nombreuses marques internationales à des projets commerciaux et à grande échelle ou à des résidences, tant en Belgique que dans le reste du monde.
- L’architecte est toujours à la recherche de l’essentiel. Son utilisation de matériaux tactiles se traduit par un design épuré et intemporel dans lequel l’expérience sensorielle de l’espace est centrale.
- Il a reçu plusieurs récompenses, dont notre prix du Designer de l’année en 2016 et le prix Henry van de Velde pour l’ensemble de ses réalisations. Son nom a également figuré à plusieurs reprises dans la liste AD100 d’Architectural Digest.
- En 2016 également, il a été nommé directeur de la création des marques italiennes Molteni&C et Dada.
- Parmi les fans célèbres de son travail figurent l’actrice Julianne Moore, le musicien Kanye West et la créatrice de mode Jenni Kayne.
- vincentvanduysen.com
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