Les vacanciers les adorent. Les conteurs aussi.
Elle culmine dans un homicide, en passant par des bains de minuit, des figures sous-marines, des rivalités érotiques et beaucoup de fruits de mer. Mais le drame tordu de A Bigger Splash, un film avec Ralph Fiennes, s’ouvre sur une interrogation bien connue des amateurs de vacances. Arrivant sur une île italienne pour des retrouvailles fatales avec une ex, le personnage de Ralph Fiennes débarque avec sa fille machiavélique (Dakota Johnson). Elle pose alors LA question : « Y a-t-il une piscine ? »
Surtout pour les habitants de contrées pluvieuses comme la Belgique, les vacances d’été et les piscines sont indissociables. Une piscine, c’est la fraîcheur réconfortante par une journée de chaleur, la délicieuse paresse dans un monde frénétique. Vous pourriez bien vous y trouver bientôt (ou déjà maintenant). Mais trempez un orteil dans les piscines de fiction, et ce plaisir simple devient plus complexe. Une piscine peut être oasis, théâtre, miroir ou tombe. C’est un chaudron d’opposés : succès et régression, vie et mort, innocence et désir.
La présence d’une piscine signifie que vous êtes arrivé. Des enfants surexcités se déshabillent et plongent dans le bleu tandis que les parents se débattent avec les bagages. Mais c’est aussi un signe d’arrivée sociale. Dans le langage visuel des films de braquage, s’étendre au bord d’une piscine signale qu’un gangster a réussi son coup. Pensez au malfrat huileux incarné par Ray Winstone dans Sexy Beast ou aux voleurs en cavale dans la série The Gold.
Inversement, les piscines des autres peuvent mesurer vos désillusions. Lorsque John Cheever introduit son protagoniste dans The Swimmer, la nouvelle ultime sur le sujet, l’une de ses mains pend dans l’eau tandis que l’autre tient un verre de gin. Sur un coup de tête, il décide de rentrer chez lui, en banlieue, en nageant de piscine en piscine par les jardins de ses voisins ; au fil de cette odyssée, son statut amoindri devient perceptible, flou et lointain, aperçu à travers son auto-illusion comme depuis le fond du grand bassin.
Des personnages se retrouvent projetés ensemble dans une piscine, comme dans un bal à la Jane Austen, mais avec un courant sous-jacent de danger et très peu de vêtements. La bienséance veut qu’on feigne de ne pas remarquer la chair exposée, mais tout le monde le fait. Dans des séries comme The White Lotus, la piscine devient un théâtre de regards insistants et de flirt ; pour certains spectateurs masculins d’un certain âge, la scène au bord de la piscine dans Fast Times at Ridgemont High fut une révélation. L’orgie festive autour de la piscine est un incontournable des films pour adolescents.
Elle est aussi une porte d’entrée éclaboussante vers les joies pures de l’enfance, et un aimant pour les enfants, y compris ceux des autres. Comme un point d’eau dans la jungle, elle rassemble étrangers et générations, parfois de manière brouillonne, lorsque nageurs de fond déterminés croisent des enfants jouant à Marco Polo. Dans Rushmore, lors d’un anniversaire pour enfants, le personnage en pleine décomposition de Bill Murray lance des balles de golf dans l’eau, puis effectue un plongeon canon avec une cigarette aux lèvres.
La piscine est un décor d’idylle, de glamour et de promesses, comme dans le tableau de David Hockney, également intitulé A Bigger Splash, qui a donné son nom au film. Mais à y regarder de près, on peut y voir une pellicule graisseuse de crème solaire ou des insectes morts dans les filtres. Dans la fiction, la contamination d’une piscine est souvent un signe avant-coureur d’ennuis. Dans The Swimmers, récit véridique de sœurs syriennes, l’élément étranger est une bombe. Dans Les Soprano, c’est une famille de canards.
Dans Boulevard du Crépuscule, c’est un cadavre. « Le pauvre imbécile », dit-il de lui-même dans une voix-off posthume, « il a toujours voulu une piscine. » Le corps dans la piscine est souvent une métaphore du naufrage du rêve américain. Dans Gatsby le Magnifique, Gatsby, assassiné, finit flottant sur un matelas pneumatique dans la piscine de marbre qu’il n’avait pas utilisée de tout l’été, suivi par des feuilles mortes et des fantômes. Certaines immersions fictives sont des renaissances ; d’autres, des scènes de crime glissantes ou des tombes humides.
En fin de compte, chacun plonge seul. Cet été, votre piscine aura peut-être un bord à débordement et un bar immergé, ou bien une vue sur du bitume fissuré et un problème de guêpes. Vous serez peut-être un exhibitionniste du plongeoir ou un habitué des marches. Quoi qu’il en soit, vient l’instant où le froid picote la peau et où le chlore vous brûle les yeux. L’espace d’une seconde, il n’y a que vous — et uniquement vous — sous l’énigmatique éclaboussure du tableau de Hockney.
Parmi les piscines à l’écran, celle de The Graduate traduit le mieux cette vérité : malgré leur convivialité, elles peuvent aussi être des océans de solitude. Aux prises avec l’âge adulte et l’adultère, le jeune homme ingénu incarné par Dustin Hoffman est encerclé par ses parents aux allures de requins tandis qu’il se détend dans leur piscine, n’échappant à leurs remontrances qu’en s’immergeant avec son équipement de plongée. Mais, qu’il soit au-dessus ou au-dessous de la surface, il n’y a pas de refuge contre ses pensées — ni, hélas, contre les vôtres. À force de faire des longueurs ou de flotter sur un matelas gonflable, ce qu’une piscine finit toujours par refléter… c’est vous-même.