Un rendez-vous, un même tissu gris, deux bustes Stockman, deux processus créatifs différents. L’un impulsif, l’autre plus réfléchi. Et, au final, deux silhouettes originales. Gros plan sur la rencontre surprenante entre Bruno Pieters et Cathy Pill.

Un dimanche à Anvers gris et venteux, le ciel ne présageait rien de bon, et pourtant… Le rendez-vous était pris à 14 h 30 dans le grand atelier épuré de Bruno Pieters. Contrairement à la météo, les deux protagonistes sont ravis. Cathy Pill admire depuis longtemps les coupes de Bruno et celui-ci avait déjà épinglé le talent de Cathy à la télévision, lors d’un reportage consacré au concours ITS#TWO de Trieste dont elle remporta le prix de la meilleure collection. Bruno était diplômé avec les honneurs de l’Académie d’Anvers en 1999 ; la même année, Cathy entrait à La Cambre à Bruxelles. Ces deux-là se devaient de se rencontrer.  » Allez maintenant il faut se lâcher « , annonce Cathy la première . Et c’est parti. Sur le rythme des chansons des Cardigans, Bruno s’active, emplit tout l’espace, retourne le tissu dans tous les sens, pendant que Cathy, elle, tergiverse, silencieuse.

Le manuel et le tactile contre la maîtrise et la réflexion. Instinctif, Bruno s’affaire, plie, replie, froisse, épingle. Cathy, plus scolaire, fait des calculs ingénieux de mesure et s’attarde à fignoler un croquis de manteau qui pour les novices ressemble à s’y m’éprendre à un plan d’architecte.  » J’attends de voir le résultat avant de changer d’idée, c’est comme un puzzle, un assemblage « , explique-t-elle. Elle s’essaie ensuite à la machine à coudre, mais qu’elle peine à dompter. Elle hésite à déranger Bruno, complètement absorbé par sa tâche. Au fait, où en est-il, lui ?  » N’importe quoi « , répond-il. Pourtant une séduisante robe est en train de voir le jour sur son buste. Mais, indécis, il change d’avis, retire tout et s’attelle, dans un délire créatif, à la réalisation d’une jupe.  » Je vais faire une jupe de base, comme ça je suis sûr que ça sera bien « , marmonne-t-il, des épingles plein la bouche. Cathy, qui a l’habitude de travailler dans son petit kot, s’est agenouillée à même le sol pour découper le tissu, laissant la grande table à l’abandon. Il lui est difficile de se détacher de la collection qu’elle réalise actuellement. Mais c’est sûr, c’est bien les formes géométriques qui restent sa principale source d’inspiration.

L’exercice de style n’est guère aisé, entre les larges tringles où sont alignées les créations printemps-été 2004 de Bruno. Dans l’espace blanc, la musique reprend de plus belle. Cette fois-ci ce sera Madonna. Bruno pose son buste devant un large miroir (un outil primordial afin d’avoir une vue d’ensemble) qui lui renvoie un visage dubitatif. Cathy me demande d’enfiler le manteau afin de vérifier sa symétrie et sa proportionnalité. Elle croyait avoir pris du retard sur son complice. Il n’en est rien. Voilà presque quatre heures que chacun se bat avec les quatre mètres de tissu gris et la fatigue commence à pointer le bout de son nez. C’est qu’habituellement nos créateurs ne travaillent à chaque fois pas plus d’une heure à leur silhouette, pour se remettre à l’ouvrage le lendemain ou le surlendemain. Bruno agrémente sa jupe de plis pour lui donner plus de caractère. Cathy cherche un moyen de faire tenir les manches de son manteau en lévitation ; elle optera pour deux petits liens déchirés à la va-vite dans le tissu.

Les deux créateurs s’échangent quelques tuyaux sur les patrons. Et Cathy parle de son avenir. Son stage chez Vivienne Westwood lui a tant plu qu’elle aimerait travailler, tout d’abord, pour une grande maison avant de lancer peut-être sa propre marque. Puis, d’un commun accord, Bruno et Cathy décident que la rencontre touche à sa fin. Si elle se prolongeait, Bruno pourrait encore tout retirer du buste et laisser courir son imagination dans d’autres directions. Tous deux gardent un relatif sérieux pour le portrait photo, et Cathy de conclure :  » Je pensais que ça serait plus stressant ; mais c’est comme à l’école, ce n’est pas un concours. Par contre, quatre heures de travail d’affilée, c’est épuisant !  » Bruno, lui, demande en s’esclaffant si on peut lui retirer ses charmants cernes sur les photos. Bruno et Cathy s’éloignent. On entend des bribes de discussions ; on comprendra seulement que si Bruno recherche une habilleuse pour son prochain défilé, Cathy est partante. On n’en saura pas plus. Pendant ce temps, deux bustes, l’un portant un ample manteau drapé, l’autre une jupe plissée, reposent côte à côte dans le coffre de la voiture.

 » Je vais faire une jupe de base, comme ça je suis sûr que ça sera bien.  » (Bruno Pieters)

 » Je pensais que ça serait plus stressant ; mais c’est comme à l’école, ce n’est pas un concours. Par contre, quatre heures de travail d’affilée, c’est épuisant !  » (Cathy Pill)

Cathy Pill

Née à Anvers en 1981.

l 1999 : entre à La Cambre Ecole nationale supérieure des Arts visuels, à Bruxelles.

l 2000 : stage chez Johanne Riss.

l 2001 : stage chez A.F. Vandevorst et habilleuse pour Hermès.

l 2002 : stage chez Xavier Delcour et habilleuse pour Armani.

l 2003 : remporte le prix de la meilleure collection et celui du WGSN au festival ITS # TWO à Trieste.

Habilleuse pour Xavier Delcour et Own.

Défile pour le premier Festival Mode de Weekend Le Vif/L’Express.

Stage chez Vivienne Westwood.

l 2004 : cinquième année à La Cambre

Articles dans des magazines britanniques, néerlandais, italien, israélien, allemand…

Bruno Pieters

Né à Bruges en 1977.

l 1999 : diplômé de l’Académie d’Anvers avec les honneurs.

Assistant de Martin Margiela, Thimister Haute Couture, Christian Lacroix Haute Couture.

Créateur free-lance pour New York Industry et Antonio Pernas.

l 2001 : présentation de sa première collection couture intitulée  » Part I : Daywear. the suit  » et sa deuxième collection couture  » Part II : cocktailwear. The blouse  » à Paris. Deux exercices de style autour de deux silhouettes : une blouse et un costume deux pièces.

l 2002 : présentation de sa première collection complète de prêt-à-porter.

l 2003 : présentation de sa collection printemps-été 2004  » Under Construction  » définie comme à l’opposé de la déconstruction.

Ses créations sont vendues en Europe, aux Etats-Unis et au Japon.

Aude Gribomont

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