Les introvertis fendent leur coquille ! Du coup, leur profil à la popularité mitigée revient sur le devant de la scène et on redécouvre leurs (nombreuses) qualités. Tiendraient-ils enfin leur revanche ?

Rappelez-vous, on avait déjà annoncé leur retour en grâce, au terme d’un XXe siècle qui les a tant déconsidérés : en 2002, la journaliste Marie Huret sonnait en effet  » La revanche des timides  » dans les pages de L’Express et y interviewait des habitués du low-profile, dont son confrère Paul Amar mais aussi l’actrice Elsa Zylberstein et le chanteur Bénabar, pour ensuite s’enthousiasmer du retour des héros maladroits, solitaires ou brimés, comme Harry Potter ou Amélie Poulain. C’était sans compter sur les nouvelles technologies, le Net 2.0 et le raz de marée provoqué par les réseaux sociaux qui modelèrent une nouvelle société de l’égo, renforcée par la dernière trouvaille des gourous du petit écran : la téléréalité, et son impudique déballage, essentiel au spectacle prisé par des millions de téléspectateurs-voyeurs décomplexés. Mais après des années de déferlante narcissique, le modèle du  » mec trop sympa  » a fait place à d’autres standards, du hipster blasé au geek taciturne, et l’heure n’est plus à la flamboyance. Signe des temps, plus de 5 000 Belges ont déjà demandé à Google d’effacer leur patronyme des résultats de recherche au nom du droit à l’oubli. Même aux Etats-Unis, les ados se tournent désormais vers le site Instagram au détriment de Facebook – fondé par un taciturne notoire, Mark Zuckerberg -, préférant façonner leur identité virtuelle par des photos légendées à coups de hashtags plutôt que d’alimenter une page perso.

 » L’ENFER EST UNE SOIRÉE COCKTAIL  »

Phénomène d’édition outre-Atlantique, où son best-seller La force des discrets – Le pouvoir des introvertis dans un monde trop bavard s’est vendu par camions entiers, Susan Cain (éditée au Livre de Poche) s’appuie sur des principes remontant à l’Antiquité et aux règles fondamentales régissant la nature, pour démontrer que la combinaison du yin introverti et du yang extraverti est un équilibre délicat sur lequel a longtemps reposé notre mode de fonctionnement. Et ce jusqu’à l’avènement de l’idéal de l’exubérant, une construction typiquement américaine, qui connut un essor rapide tout au long du XXe siècle, avec le culte de la personnalité entretenu par le cinéma, la pub ou la télé. Alors qu’auparavant, l’éloquence était l’apanage des lettrés, elle est devenue celle des winners, au grand dam de Susan Cain, qui milite pour d’autres marqueurs de reconnaissance sociale et tente de réhabiliter l’introspection et la pudeur.

Autre star du genre, dans un style nettement moins scientifique, Sarah Dembling a signé le bouquin La revanche des discrets – Au royaume des bavards, les discrets sont rois (Poche Marabout), après avoir drainé des milliers de fidèles sur son blog The Introvert’s Corner. Avec des chapitres titrés  » J’aime les gens, mais pas tout le temps  » ou encore  » L’enfer est une soirée cocktail « , elle mêle analyse sociologique, expériences personnelles et techniques de survie en milieu hostile. Fun mais également féroce, le bouquin vire parfois au règlement de comptes avec  » les autres « , et dépeint souvent les caractères démonstratifs comme de pompeux as de l’autopromo, couvrant la faible voix des  » penseurs « . Pour autant, il ne faudrait pas confondre revanche et vengeance. D’autant que tout n’est jamais blanc ou noir.

LESS IS MORE

Dès 1921, Jung a identifié deux profils psychologiques complémentaires, différents dans leur façon de répondre aux stimulis extérieurs : ceux qui privilégient la pensée aux émotions là où d’autres préfèrent les rencontres et l’action. Les introvertis ne sont donc pas des phobiques sociaux, ni même nécessairement de grands timides, mais s’avèrent portés sur l’activité psychique, rechargeant leurs batteries au cours de périodes de solitude quand d’autres ne rêvent que de compagnie. Pas de quoi en faire des misanthropes coincés, d’autant que l’on estime leur proportion à un tiers, voire la moitié de la population : preuve que la plupart d’entre eux donnent le change au quotidien sans trop de problème.

Reste que la collectivité se montre parfois cruelle envers ceux pour qui un bon bouquin au coin du feu vaut toutes les grosses fêtes du monde ou qui privilégient le tête à tête aux activités en bande, selon une sorte de  » less is more  » relationnel. Un tempérament trop souvent considéré comme une tare, voire une pathologie, que des ouvrages tels que ceux de Susan Cain ou Sarah Dembling contribuent à déculpabiliser, notamment en composant page après page un panthéon de la discrétion, où se croisent Einstein, Van Gogh, Chopin, Gandhi ou Spielberg, sans oublier les nouveaux magnats que sont Bill Gates et Mark Zuckerberg. Car sous leurs dehors incolores, les discrets regorgent de qualités, au point de devenir la nouvelle coqueluche des services de ressources humaines, qui voient en eux un des candidats idéaux : à l’écoute, fiables, capables de faire preuve d’empathie, de politesse et de diplomatie, faisant figure de force tranquille, nourris par leurs réflexions intérieures. Leur calme et leur pondération leur donneraient souvent le recul nécessaire pour affronter des situations difficiles. Un tel concert de louanges est-il susceptible de bouleverser notre rapport à la norme et notre manière de jouer le jeu d’une société toujours plus exigeante envers les individus ? L’époque semble s’être enfin décidée à accorder un peu de lumière aux individus effacés. Reste à savoir s’ils sont prêts à sortir de l’ombre.

PAR MATHIEU NGUYEN

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