(*)  » Les Maillots de bains  » – Les Carnets de la mode, par Olivier Saillard, édition du Chêne (1998).

Il s’est baigné dans tous les styles, il a plongé dans toutes les tendances, des plus prudes aux plus provoc’, des plus candides aux plus clinquantes. Grâce à lui se racontèrent les premières histoires d’eau aux temps héroïques des bains de mer, vers la moitié du xixe siècle : à l’époque, il fallait cinq mètres de tissu et pas moins de six pièces différentes (sans compter le corset, le bonnet, les bas et les espadrilles !) pour composer un costume de bain sachant préserver la pudeur et la blancheur de peau des dames de bon ton. Dans les années 1970, on l’a cru noyé par une défer-lante de  » tout nus et tout bronzés « . En vain. Il a résisté aux courants les plus divers, aux tentatives de  » monokinisation  » effrénée, au string et autres  » parures  » balnéaires assez extravagantes. En résumé le maillot, car c’est de lui qu’il s’agit, continue à bien mener sa barque en ce IIIe millénaire.

Avant même d’affronter réellement les vagues, il est déjà en vogue sur les p(l)ages luxueuses des magazines de mode. Parfois, il est si sophistiqué et tiré à quatre épingles qu’il ne verra jamais la mer ou le bleu chloré de la piscine. Et pourtant, il reste le roi des plages. Le garant d’un plongeon plein de panache et d’une silhouette offerte au soleil sans aucune disgrâce. Il fait le dos joli, allonge la cuisse et met superbement en valeur les épaules.

Retour à plus d’allure même au c£ur de loisirs fondamentaux ? Désir des fabricants de tissus Lycra d’écouler plus de marchandise ? Vision nostalgico-chic de créateurs qui planent entre horizons lointains et films néo-rétros à forte valeur kitsch ajoutée ? Mise en exergue des dangers de l’exposition d’un corps complètement nu au soleil ? Quoi qu’il en soit, le maillot sort grand gagnant de la course à la tendance estivale. Et même s’il ne  » coule  » pas son frérot le bikini, il le distance, sans trop d’efforts, d’une bonne longueur.

Stylés tout en demeurant sexy, bardés de bijoux ou de broderies variées, pétris d’effets spéciaux ou de savants découpages û là on peut même parfois parler d’  » architecture du vêtement balnéaire  » tellement les coupes sont subtiles et sensuelles û, les maillots s’installent d’emblée parmi les classiques de la garde-robe. Accessoirisés jusqu’à l’opulence, voire la démesure, ils sont autant à la page qu’à la plage, surfant sur la vague du déshabillé-habillé. On les porte d’ailleurs avec de (très) hautes sandales, des spartiates lacées sur le mollet ou des escarpins ouverts, une veste de tailleur, une chemise poids plume ou un gilet à mailles lâches, une jupe chic, des bottes (!) et des lunettes encore moins discrètes que celles d’Elton John…

Vous rappelez-vous les vamps américaines et italiennes d’il y a un demi-siècle environ ? Eh bien, Ava Gardner, Sophia Loren, Marilyn Monroe, Rita Hayworth, Gina Lollobrigida et Elizabeth Taylor avaient tout bon. Même la panthère apprivoisée ou le caniche assortis à leur serviette de bain.  » De toutes les tenues de la garde-robe féminine et masculine, le maillot de bain est sans doute le plus riche en informations corporelles (…) il fait figure d’exact baromètre des relations de chaque individu avec le regard d’autrui « , note Olivier Saillard dans son ouvrage sur  » Les Maillots de bain  » (*).

Cet été, le regard d’autrui, justement, sera constellé d’étoiles… Revoici, en effet, le maillot de star, glamour en diable, sculpté sur le corps comme la cuirasse d’un légionnaire romain et capable de se glisser, d’un coup de bretelle magique, dans les réceptions les plus smarts ou les eaux les plus troubles. Noir torride ou blanc pseudo-virginal, tendre et fondant comme un sorbet ou piqueté de motifs très op art, il parade en ville sans avoir l’air de faire le trottoir et prend de l’étoffe quand il se fond sous une veste sobre, une tunique chamarrée ou dans un pantalon fluide.

Bel hommage à Coco Chanel qui adorait la mer, la plage, la Côte d’Azur ou encore Biarritz et Deauville où elle ouvrit ses premières boutiques, les maillots et bikinis signés Karl Lagerfeld sont graphiques, structurés et nonchalants sans exagération. Tout comme les aimait, dans une version nettement plus longue, la Grande Mademoiselle. Le créateur met l’accent sur les plaisirs  » aqua-chics  » en équipant ses tenues balnéaires d’une planche de surf, d’un cerf-volant ou d’un canot pneumatique… siglés Chanel, évidemment. Chez Alberta Ferretti, les maillots-bustiers ou froncés telle une toge antique puisent dans le répertoire alluré des années 1950 tandis que les maillots Pucci ( NDLR : la marque italienne est conçue par le créateur français Christian Lacroix) semblent taillés pour une Wonder Woman sortie d’un comics américain. Par l’entremise de sa ligne Emporio, Giorgio Armani habille ses maillots et deux-pièces de boléros multicolores, de pantacourts amples et de ceintures munies de poches où l’on peut ranger grandes coupures et petits papiers. Classe et pratique. Sportmax imagine une Aphrodite au maillot aussi doré que son bronzage, Gilles Rosier pour Kenzo dessine des jardins tropicaux sur des maillots nageurs aux proportions impeccables et chez Emanuel Ungaro, Giambattista Valli, virtuose des drapés et des volants,  » em-balle  » de tissu léger des corps de sirène zéro défauts. Dans un registre plus hard, Donatella Versace propose, tons fluo à l’appui, des une-pièces bardés de clous, rivets et boucles métalliques, destinés sans doute à des pirates de luxe prêtes à naviguer dans le SM soft. Quant à Marc Jacobs, il virevolte, chez Vuitton, entre les maillots genre pin-up hollywoodienne (satin, n£uds-n£uds, volants…) et une tenue plus BCBG que balnéaire, à porter semble-t-il avec un sac très comme il faut et un tailleur estival à jupe stricte. On dirait un remake de  » Belle de jour  » côté plage. Bref, le maillot est (re)devenu un vêtement à part entière, une pièce pas énorme en taille, certes, mais qui vaut son pesant d’or sur le grand échiquier de l’élégance et de la séduction.

Marianne Hublet

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