En Bourgogne, les meilleurs accords mets-vins s’élaborent chez les vignerons eux-mêmes. Cette quête de l’harmonie parfaite est aussi au cour d’un beau voyage.

À l’heure où se multiplient les cours de dégustation, la question des accords mets-vins suscite des débats passionnés. Nombreux sont les connaisseurs qui pensent que c’est la nourriture qui donne tout son sens aux flacons. Pour le quidam désireux d’y aller de ses petites alchimies, les choses ne sont pas simples. Pierre, un avocat qui fréquente assidûment les restaurants, avoue :  » J’ai eu quelques fois des fulgurances, le sentiment d’un vin épousant parfaitement une préparation. Et pour chacune d’elles, c’était grâce à un sommelier. Impossible de trouver les bonnes combinaisons moi-même, elles relèvent d’une science trop complexe… « 

Pour pallier cette carence, deux solutions très différentes : la voie de la théorie et celle de la pratique. La théorie, on la déniche dans les livres. Elle se trouve également dans La Revue du vin de France, rubrique L’accord minute. Chaque mois, Olivier Poussier, meilleur sommelier du monde en 2000, se livre à des commentaires d’une grande précision. Un extrait ?  » Au menu, un canard à la cerise. Là, les pinots noirs bourguignons excelleront, surtout si vous les servez jeunes. Privilégiez la côte de Nuits avec ses morey-saint-denis ou ses gevrey-chambertin. Régalez-vous avec le morey 1er cru Aux Cheseaux 2009 du Domaine Arlaud ou le gevrey 1er cru Le Fonteny 2008 de Christian Sérafin. Sensations garanties.  » (*)

Taux de pertinence ? 100 %. Pourtant, malgré le caractère savant des accords proposés, tout un chacun est en droit de trouver que cette approche manque de corps et de sensualité. Sans compter le problème corollaire qui a vite fait de surgir : tout le monde ne possède pas dans sa cave les flacons évoqués par le très cérébral spécialiste. Heureusement, il existe une autre solution, la voie pratique, soit une alternative qui consiste à traquer le bon accord sur place, dans l’intimité du terroir. En plus de fixer à jamais des sensations, le voyage sur les lieux de production permet de ramener avec soi la matière première nécessaire à de futures alchimies mets-vins. Le Vif Weekend s’en est allé à la rencontre des vignerons, prescripteurs incontestables, en empruntant les chemins bourguignons traversés par le pinot noir et le chardonnay, deux cépages dont la finesse naturelle épouse une grande variété de préparations.

VENDANGES GOURMANDES

L’une des routes à sillonner pour saisir l’essence des accords mets-vins est une pente naturelle. On la suit, fin septembre – parfois plus tôt, parfois plus tard, en fonction des millésimes – pendant les vendanges. Même si les domaines ne sont pas ouverts au grand public à ce moment-là, il est possible d’intégrer les équipes qui glanent les raisins, la main d’£uvre étant plus que bienvenue. Cette expérience permet de passer de l’autre côté du miroir et de mieux appréhender les arcanes de cette période cruciale de l’année du vigneron. Les vendanges sont rythmées par des tablées que les viticulteurs dressent à la bonne franquette. But ? Rassasier les vendangeurs, force vive essentielle dans la récolte du raisin. Au programme, des déjeuners et dîners se caractérisant pas une alimentation franche axée  » mariage régional  » – comprendre  » inspirée par les produits d’un même terroir  » – mais également de fameux casse-croûtes panachant dès 9 h 30 saucisson, fromage, pain frais et vin blanc. Sans oublier la traditionnelle  » paulée « , repas qui célèbre la fin des vendanges.

Au sud de la côte de Beaune, le Domaine Chevrot est l’un de ces domaines familiaux qui peuvent compter sur une équipe fidèle de vendangeurs venus des quatre coins du monde. À midi, c’est Catherine, la maman, qui mitonne le repas avec une petite équipe de bénévoles pour une trentaine de convives affamés par le grand air. Sa cuisine ? D’anciennes écuries aménagées pour l’occasion. C’est avec un traditionnel kir – bourgogne aligoté et crème de cassis – que s’ouvrent les agapes. Dans l’assiette, des préparations simples et goûteuses. Ce midi-là, du sanglier chassé en famille et mijoté dans une sauce au vin. Pour accompagner ce plat roboratif, un  » maranges  » maison 2010 – une appellation  » villages  » bourguignonne peu connue… – servi sans étiquette. Cette cuvée 100 % pinot noir, issue de la parcelle Sur le Chêne, envoie son lot d’épices et de fruits rouges. Le fromage qui suit, un chaource, appelle quant à lui la cuvée spéciale Tilleul, un bourgogne aligoté issu d’une parcelle labourée au cheval de trait par Gilbert Simond, spécialiste local du percheron. Le tout pour  » une belle fraîcheur marquée par des arômes de pomme et de poire teintés de noix « , comme le souligne Olivier Marchal, un vendangeur belge versé dans le commentaire £nologique.

Aidée par Christian, un Allemand installé en Bourgogne, Catherine a concocté un menu pour toute la semaine : saucisson de Lyon et lentilles vertes, jambon persillé, £uf meurette, soupe de pois cassés… À ceux qui y verraient le choix d’une cuisinière fermée sur son terroir, le reste de la carte cloue le bec. Migasse – un plat andalou à base de semoule -, paëlla, mais également couscous et soupes thaïes sont aussi prévues. Une telle ouverture sur le monde n’est pas surprenante quand on sait que le Domaine Chevrot est aujourd’hui géré par la jeune génération, Pablo (36 ans) et Vincent (33 ans). À la suite de leur père Fernand, ils ont mené le vignoble sur la voie de l’agriculture biologique. Marié avec Kaori, une Japonaise, Pablo a, dans la foulée, ouvert toute la gamme des vins maison, du rosé  » Sakura  » au santenay 1er cru, aux différents accords possibles avec la cuisine nippone.

RION… PASSIONNÉMENT

À Vosne-Romanée, en plein c£ur de la côte de Nuits, le Domaine Armelle et Bernard Rion est une autre étape incontournable. Vignerons depuis cinq générations, les Rion vinifient des appellations qui font rêver le monde entier : clos-de-vougeot, nuits-saint-georges, chambolle-musigny et meursault. Ancré depuis toujours sur le terroir bourguignon, ils n’ont rien perdu du bon sens paysan. En 2008, le couple a été rejoint par l’une de ses filles, Alice. Celle-ci entend promouvoir l’esprit insufflé par ses parents en développant un £notourisme  » mets & vins  » sur la base de formules tapas dans une cuisine de vendanges rénovée. Pour l’aider, elle peut compter sur sa mère, qui s’est distinguée dans l’émission télévisée Un dîner presque parfait, et sur son compagnon, Louis, qui a fait partie de la sélection des 100 meilleurs candidats lors de l’édition 2011 de Masterchef.

Les Rion possèdent également une truffière de 5 hectares qu’ils ouvrent à la faveur de dégustations de vins. La famille a fait énormément pour la  » tuber uncinatum « , dont elle s’emploie à redorer le blason au sein de la Confrérie de la truffe de Bourgogne. Ce champignon est, comme l’explique Alice Rion,  » récolté par des chiens, un gage de qualité, mais également lavé et brossé « . Les Rion ont aussi été les premiers à importer en France et à faire l’élevage du Lagotto Romagnolo. Dès son plus jeune âge, ce chien originaire d’Italie, qui ressemble vaguement à un caniche, est capable de flairer les truffes. Les fameuses pépites noires de Bourgogne sont vendues au domaine. Conservées dans le cognac, elles ont une durée de vie de 3 à 5 ans. Elles font merveille sur les vieilles cuvées de pinot noir qui développent des arômes de sous-bois.

La table de vendanges du domaine Rion tord le cou aux préjugés. Alors qu’une des grandes règles de l’accord mets-vins consiste à  » équilibrer les forces en présence  » – en clair, pas de grand cru sur un casse-croûte -, on peut se régaler d’un simplissime jambon à la nuitone – une sauce au vin – que l’on escorte aussi bien d’un vosne-romanée 2004 1er cru Les Chaumes que d’un chambolle-musigny 1993 Les Gruenchers… Deux fiertés maison.

DES BELGES AUSSI…

D’autres vignerons attachent beaucoup d’importance aux convergences avec la nourriture. Ainsi de Mark Moustie et de son fils Gilles, deux Belges tellement amoureux de la Bourgogne qu’ils y ont créé le Domaine de la Douaix. Installé du côté des Hautes-Côtes de Nuits, à Arcenant, le tandem élève des vins racés, empreints de minéralité pour les blancs et complexes pour les rouges. Preuve de la pertinence de nos deux compatriotes, leur premier millésime – 2006 – figurait déjà à la carte du restaurant 3-étoiles parisien L’Astrance. Les accords ?  » Pour notre Clos des Fervelots en Hautes-Côtes de Nuits, je recommande du gibier à plumes ou une poularde de Bresse. Pour les Terres Nobles, notre côte-de-nuits-villages, je conseille un poisson grillé « , commente Mark Moustie.

À Givry, le Clos Salomon fait partie des fers de lance de l’appellation. Véritable institution, l’histoire de ce domaine qui fournissait les papes d’Avignon remonte au XIVe siècle. Depuis plus de trois siècles, il est dans la famille de Ludovic du Gardin, aujourd’hui associé à Fabrice Perrotto. Ensemble, ils signent un givry 1er cru particulièrement à l’aise sur les viandes rouges et un montagny – sur la parcelle Le Clou – dont la fraîcheur se marie joliment avec les fruits de mer.

Signalons encore le travail de Thibaut Marion, propriétaire de la Maison Seguin-Manuel. L’homme est réputé pour ses cuvées  » cousues main  » qu’il opère au départ de propriétés de Savigny et Beaune, ainsi que sur quelques grands villages de la Côte-d’Or, tels que Gevrey-Chambertin, Volnay ou Chassagne-Montrachet. Autant de flacons taillés pour la bonne chère.

( *) La Revue du vin de France, N°561, mai 2012.

PAR MICHEL VERLINDEN / PHOTOS : RENAUD CALLEBAUT

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