Inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco, la ducasse d’Ath s’impose comme l’une des fiestas les plus populaires de sa catégorie. Petite escapade à travers ses coulisses, ses histoires et ses personnages (très) hauts en couleurs.

C’EST QUOI, D’ABORD, UNE DUCASSE ?

Certains répondront du tac au tac :  » Ben une ducasse, c’est comme une kermesse.  » Et c’est complètement… vrai ! Tellement vrai qu’entre la ducasse et la kermesse, il n’y a aucune différence. Les deux mots sont apparus vers la même époque – au début du XIVe siècle – et font référence à des fêtes de village organisées chaque année en l’honneur du saint patron du lieu (qui protégeait les habitants). Si, de nos jours, l’origine religieuse est moins mise en avant, il s’agit bien d’une célébration paroissiale. Elle se déroulait jadis sur le parvis de l’église où les seigneurs locaux, les notables et les magistrats du village se donnaient rendez-vous pour danser, avant de laisser place à une procession, puis à un grand banquet animé par diverses réjouissances populaires (tir à l’arc, jeu de balle, fête foraine, concert, bal…). Le mot  » ducasse  » vient simplement de la  » Dédicace « , nom donné à ces festivités cléricales. Quant au mot  » kermesse « , il n’est autre que son équivalent flamand,  » kerkmisse  » signifiant  » messe d’église « . Vous savez déjà (presque) tout.

LA FIERTÉ DES ATHOIS

Chaque quatrième dimanche du mois d’août, c’est donc saint Julien qui est mis à l’honneur dans la cité athoise. En réalité, la fête démarre l’avant-veille et se prolonge bien au-delà du week-end. Quoi qu’il en soit, les Athois se préparent plusieurs semaines à l’avance, s’impliquant dans chaque étape de l’organisation pour en peaufiner les détails. Entre les vêpres nuptiales, la sortie aux flambeaux, le défilé des géants, les concerts et tout le reste, ils ont du pain sur la planche. Mais ils sont toujours prêts. Car non seulement ils sont fiers de cette fête dont la réputation dépasse la frontière de leur belle cité, mais en plus, ils ne la rateraient pour rien au monde. Un Athois qui part en vacances à ce moment-là n’est pas tout à fait un Athois.  » C’est une fête qui touche toute la commune, explique Laurent Dubuisson, directeur de la Maison des Géants. Ce ne sont pas des professionnels qui la mettent sur pied ou qui la font vivre, mais bien les habitants eux-mêmes. Ils attendent chaque année l’événement avec excitation et impatience, car ce sont eux qui portent les géants, qui font la musique, etc. Ils sont les propres acteurs de leur fête, et ils vivent tout cela avec leurs tripes.  »

UN BRIN D’HISTOIRE

Si les premières traces historiques de la ducasse d’Ath se situent en l’an de grâce 1399, la procession a évidemment connu de nombreuses évolutions au cours des siècles. Même si certaines guerres ou conquêtes ont plusieurs fois failli lui faire la peau, la fête a toujours tenu bon. Depuis 1945, la ducasse a lieu tous les ans, sans exception aucune. Et ce malgré des années 60 plus maigres côté affluence, une année 1993 marquée par des averses diluviennes ayant provoqué des gros dégâts matériels parmi les chars, ou encore une année 2004 tout en retenue en raison de la proche catastrophe de Ghislenghien.  » La ducasse a toujours réussi à s’adapter à la société, voilà tout, résume le directeur de la Maison des Géants. Après sa naissance au Moyen Age en tant que fête paroissiale, le côté religieux a disparu petit à petit, par exemple. La Renaissance, la Révolution française et le XIXe siècle ont chacun apporté des modifications à la philosophie du rassemblement. Désormais, les choses ne bougent plus : le spectacle est chaque année le même. Un déroulement immuable que les gens apprécient, parce que ce sont justement les traditions qui en font le succès.  »

GOLIATH ET LES AUTRES

La légende a parlé. Goliath est sans conteste l’un des géants les plus connus au monde. Selon certaines thèses, c’est même lui qui aurait donné naissance, dès le XVe siècle, aux premiers géants folkloriques de l’histoire d’Europe, avant que ceux-ci ne deviennent une véritable marque de fabrique des cortèges belges et du nord de la France. Rien que chez nous, près de 1 500 géants se glisseraient parmi nos rassemblements populaires. On vous parlait récemment de Tchantchès et ses amis à Liège. Inutile de dire que les géants d’Ath ont du répondant : au nombre de sept (Goliath, son épouse, Samson, Ambiorix, l’aigle à deux têtes, Mademoiselle Victoire et le cheval Bayard), ils sont les véritables héros du week-end.  » Parce que ce sont des personnages fascinants, d’abord, détaille Laurent Dubuisson. Mais aussi parce que les géants d’Ath sont particulièrement remarquables. Leurs têtes en bois de tilleul ont plus de 200 ans, ils portent des vraies cuirasses, avec des éléments dorés et un habillage élaboré. Et puis, ils ne se contentent pas de défiler, puisqu’ils dansent, se battent ou s’embrassent… Malgré leur structure très lourde, ils sont très vivants. Ils mériteraient une place dans un musée !  » A noter : un géant pèse entre 120 et 130 kilos. Chacun est mis en mouvement par un porteur durant quelques minutes à peine, avant qu’un autre ne prenne le relais. Seule exception : le cheval Bayard et ses 700 kilos qui nécessitent 16 porteurs en même temps…

LES FAVEURS DE L’UNESCO

En 2004, la Belgique décide d’envoyer un courrier à l’Unesco pour lui demander de reconnaître plusieurs de ses manifestations folkloriques comme des  » chefs-d’oeuvre du patrimoine immatériel de l’humanité « . Une candidature qui peut sembler étonnante, d’autant qu’elle englobait également plusieurs fêtes françaises qui, elles aussi, entraient dans cette catégorie des géants et dragons processionnels d’Europe occidentale. Le 25 novembre 2005, le jury donne sa réponse. La qualité des festivités et la ferveur populaire qu’elles soulèvent ont leur place à l’Unesco.  » Une vraie reconnaissance. Ce qui leur a également plu, c’est l’idée de la transmission, c’est-à-dire la manière dont les générations se passent le témoin depuis des décennies. Parmi les porteurs de géants, par exemple, on trouve parfois 8 ou 9 générations qui se passent le flambeau. C’est unique. Et puis, n’oublions pas l’impact des spectateurs. En temps normal, la ville d’Ath compte entre 12 et 13 000 habitants. Lors de la ducasse, ce sont 50 000 personnes qui font la fête dans les rues !  »

LA CONCURRENCE ? QUELLE CONCURRENCE ?

Le carnaval de Binche et le Doudou de Mons ont, eux aussi, rejoint le patrimoine de l’Unesco. Deux fêtes wallonnes qui, comme la ducasse athoise, attirent les foules par leur identité folklorique et leurs personnages bariolés. Y aurait-il, ici ou là, de la concurrence dans l’air ?  » Oh, pas vraiment, commente Laurent Dubuisson. Ce sont des événements familiaux qui revendiquent tous le même sens de la fête et du partage. Parfois, il y a même des échanges entre les acteurs, des passionnés de folklore qui vont donner un coup de main à d’autres villes. A côté de cela, il y a quelques taquineries qui circulent. Par exemple, les Athois surveillent toujours d’un oeil le Doudou (qui a lieu au mois de juin), car il y a un dicton populaire qui dit :  » S’il pleut à Mons, il fera beau à Ath.  » Et puis, une légende persistante affirme que les Montois nous auraient volé Goliath à la fin du XVIIIe siècle… Mais disons qu’il s’agit d’une petite concurrence amusante, rien de plus.  »

PLUS CONCRÈTEMENT

Pour ne pas rater une miette de la fête, rien de plus simple : prendre contact avec n’importe quel habitant d’Ath… et l’écouter ! En résumé, il vous dira que dès le vendredi, vous devez être prêts à 22 heures pour le fameux  » brûlage des marronnes « , c’est-à-dire le moment où Goliath enterre sa vie de garçon et brûle sa culotte autour d’une danse de joie, à l’Esplanade. Il vous annoncera ensuite que, dès le lendemain, à 12 heures tapantes, la grosse cloche retentira à l’Eglise Saint-Julien, marquant le démarrage plus officiel des festivités. Vers 15 heures, le même jour, il vous emmènera aux noces entre Goliath et sa dulcinée, qui s’épousent chaque année depuis 300 ans (sans jamais divorcer pour autant). En fin d’après-midi, vers 17 heures, il vous conduira inévitablement vers la Grand-Place pour le moment le plus attendu de la journée : le combat entre David et Goliath, auquel assistent des milliers de spectateurs enjoués. Peu importe l’issue de la lutte, une marche aux flambeaux prendra le relais avec, en fond sonore, les humeurs d’une fanfare. Bien entendu, votre hôte oubliera soigneusement de vous dire comment tout cela va finir, mais on a une petite idée : vous dégusterez une  » tarte à masteilles  » (ou tarte Gouyasse) avec un bon verre de bourgogne.  » C’est une tradition : on n’y échappe pas ! C’est d’ailleurs le seul moment de l’année où cette tarte est préparée, que ce soit dans les boulangeries ou dans les foyers. La règle est simple : on n’y touche pas avant la fin des hostilités entre David et Goliath…  » Reste à signaler que la ducasse d’Ath, ce sont aussi des concours de tir à l’arc ou de balle pelote, un festival de montgolfières et, surtout, une fête qui se clôture pour de bon le 8 septembre autour d’une autre tradition : un moules-frites… géant !

Cette année, la ducasse d’Ath se déroulera du 22 au 24 août (prolongations, plus discrètes, jusqu’au 8 septembre).

Pour toute information complémentaire sur les géants, les chars, les activités et le programme complet, rendez-vous sur www.ath.be et sur www.athenducasse.be

PAR NICOLAS BALMET / PHOTOS : FRÉDÉRIC RAEVENS

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