Vous en avez soupé de Top chef et de ses avatars indigestes ? La cuisine sur petit écran vous gave ? Préparez-vous pourtant à en ingurgiter encore, à grandes lampées : la télé- vision n’est pas décidée à dégraisser ses programmes mettant en scène quidams surdisciplinés et jurés aux verdicts affûtés comme des hachoirs à viande. Il faut dire qu’en combinant compétition et télé-réalité, ingrédients simples et efficaces, elle a mis au point une recette inratable. Qui peut devenir carrément addictive si elle dégage un fumet de tradition, de terroir, voire de patriotisme, et est en sus arrosée d’une bonne rasade de starification – du dalaï-lama rejoignant le jury de Masterchef Australie à Frédéric Mitterrand, ministre français de la Culture et de la Communication, servant Un dîner presque parfait à l’occasion de l’entrée du repas gastronomique bleu-blanc-rouge au patrimoine immatériel de l’Unesco.

Si on ajoute à ce copieux menu les innombrables blogs consacrés au sujet et quelques films, dont Toast, fade biopic sur le chef coq et présentateur britannique Nigel Slater, ou le documentaire El Bulli, Cooking in Progress, on comprend que certains n’hésitent pas à comparer la bonne bouffe à une nouvelle religion. C’est notamment le cas du philosophe Robert Redeker qui, dans une carte blanche au Monde, dénonce cette tendance à la  » parodie involontaire de l’eucharistie « . Dans une société à la dérive, nous dit-il encore,  » la cuisine est vécue, de manière imaginaire, comme le dernier lieu de stabilité, le dernier repère encore debout d’un monde en voie de liquéfaction. Autour d’une table, l’illusion de communauté unie peut se reformer « .

La popote comme refuge à l’incertitude des temps ? Sans aucun doute, et la tendance se manifeste jusque dans l’aménagement de nos foyers. En moins d’un siècle, la cuisine que l’on cachait dans les caves et nommait avec dédain la  » souillarde  » en est devenue le c£ur battant, autour duquel s’articule tout l’espace de vie. Exit, même, le bar qui la séparait jusqu’il y a peu du salon : aujourd’hui, l’îlot central sert tout à la fois à préparer le repas, à recevoir ses amis, à consulter l’ordi familial et à installer les enfants pour y faire leurs devoirs. Ou encore à lire ce numéro Black consacré aux chefs étoilés, autodidactes passionnés et autres artisans talentueux. Bien plus savoureux qu’un plateau-télé.

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DELPHINE KINDERMANS, RÉDACTRICE EN CHEF

UN FUMET DE TRADITION ET UNE BONNE RASADE DE STARIFICATION.

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