C’est un archipel mystérieux. Un de ceux dont on connaît le nom – grâce à son célèbre anticyclone – mais dont on ignore souvent la localisation au cour de l’Atlantique. Cap sur les Açores, à la découverte d’un éden luxuriant et de traditions bien vivaces.

Situé au large des côtes portugaises, sur le parallèle de Lisbonne, l’archipel mouille en plein c£ur de l’Atlantique, quasiment à mi-chemin sur la route du Nouveau Monde. Soit neuf îles s’étirant sur près de 600 kilomètres et couvrant à peine 2 247 km2 (soit l’équivalent de l’île de la Réunion). Elles s’appellent Santa Maria, São Miguel, Terceira, Graciosa, São Jorge, Pico, Faial, Corvo et Flores. Dans ces neufs atolls volcaniques aux paysages sauvages et contrastés, on ignore encore le tourisme de masse, les ravages de la pollution et les affres de la modernité. Tels ces marchands de lait ambulants ou ces paysans circulant à dos d’âne, les Açoriens cultivent leurs traditions et défendent leur terre avec acharnement.

Comme surgis des eaux : de gigantesques volcans endormis. Dans les cratères : des lacs d’altitude aux reflets bleus ou émeraude. Sur le littoral : de longues  » fajã « , frange de terre alluviale plantée d’herbe moelleuse. Et partout : des villages de pêcheurs, des vaches frisonnes, des moulins flamands, des geysers bouillonnants, des piscines naturelles et des sentiers plantés d’hortensias. Ici, pas un endroit où la végétation ne s’immisce, peuplant les champs, bordant les grèves, dévalant les falaises, grimpant sur les maisons, formant des treilles au-dessus des routes et enserrant les murets de pierres volcaniques. Une luxuriance permanente. Et des fleurs à profusion.

Face à cette opulence, difficile d’imaginer que les Açores n’étaient, à l’origine, qu’amas de roches et immenses forêts. Des contrées a priori hostiles que les hommes ont, depuis le milieu du xve siècle, taillé, débroussaillé et enrichi d’innombrables espèces venues du monde entier. Pour en prendre la mesure, il faut déambuler dans le superbe jardin de Terra Nostra (xviiie siècle) à São Miguel : il regroupe plus de 3 000 variétés d’arbres et d’arbustes, parmi lesquels palmiers, cycas, ignames, araucarias, azalées, lauriers, camélias, oiseaux de paradis, fougères d’Australie et ginkgo biloba. Importée, également, la culture des ananas concentrée autour de Vila Franca do Campo. Tout comme les plantations de thé de Gorreana, introduites en 1878 par deux Chinois de Macao. Preuve que même en Atlantique, il flotte un parfum d’exotisme.

Terre de foi profonde

Pourtant, sous son apparente sérénité, l’archipel reste une terre tourmentée dont les entrailles ne cessent de bouleverser les apparences sous l’effet des secousses telluriques et des éruptions volcaniques. Dernière manifestation en date : celle du volcan Capelinhos survenue à Faial en 1957 et qui, après treize mois d’activité, détruisit près de 300 maisons et augmenta la surface de l’île de 2,4 km2… De cette catastrophe, il ne reste plus aujourd’hui que des montagnes de cendres peu à peu réinvesties par les cannes sauvages et les touffes de tamaris. Un paysage quasi lunaire, digne d’un grand désert, où seul subsiste, à demi-englouti, l’ancien phare du Cap qui accueillera bientôt un nouveau musée commémoratif.

Tourner la page et reconstruire, tel est le quotidien des insulaires qui, portés par la foi, tentent, jour après jour, d’apprivoiser leurs îles. Pas étonnant que la religion soit ici si présente. On ne compte plus les églises et les chapelles qui jalonnent, ça et là, l’archipel. Certaines, petites et colorées, animent Terceira lors des fêtes du Saint-Esprit organisées entre les dimanches de Pâques et de la Trinité, en hommage aux nécessiteux. D’autres, comme à São Miguel, sont de véritables joyaux de l’architecture baroque. A chaque Carême, il faut suivre les  » romeiros  » (pèlerins) qui parcourent l’île de bout en bout, scandant sans cesse l’Ave Maria, depuis qu’un tremblement de terre réduisit à néant, en 1522, la capitale de l’époque, Villa Franca. Ils sont des centaines à cheminer des journées entières, parfois sous la pluie, entraînant dans leur sillon adolescents comme vieillards inspirés, tous munis de leur bâton de pèlerin et de leur grand châle, le  » Xaile « .

Tenaces aussi, les innombrables marins, plaisanciers et aventuriers qui trouvent refuge, comme à l’époque des grandes caravelles, dans le port d’Horta à Faial, après avoir affronté les fougues de l’Atlantique. Une fois accosté, il est de tradition de  » signer  » les dalles de béton de la marina devenue, avec les décennies, un véritable patchwork de peintures et de graffitis, tantôt flamboyants, tantôt délavés. Des tranches de vie et des témoignages émouvants qu’il faut découvrir pas à pas… Avant de déguster un gin tonic chez Peter’s (Café Sport) – une institution depuis trois générations. Pas un loup de mer qui ne connaisse l’endroit. On peut y changer de l’argent, poster du courrier, déposer des messages et se retrouver entre amoureux de l’océan. Ici, les rencontres sont à coup sûr mémorables. Au premier étage, l’établissement abrite un superbe musée de  » scrimshaw  » (dents de cachalots gravées ou sculptées), véritables £uvres d’art et ultimes témoignages de la chasse à la baleine qui persista sur l’île jusqu’à la fin des années 1980. A l’instar de sa voisine, Pico, dont le volcan réputé le plus haut du Portugal (2 351 mètres), baigne en permanence dans les nuages.

La chasse à la baleine…

C’est ici, dans le village de Calheta de Nesquim, que débuta la traque. C’est ici encore, dans le port de Lajès, qu’elle connut son apogée, en 1930, et accueillit jusqu’à six compagnies baleinières. Pêcheurs, agriculteurs, viticulteurs, bergers, ouvriers : tous attendaient alors la détonation, signal de rassemblement, pour s’élancer vers la rade et embarquer sur les  » botes  » parmi rameurs, harponneurs et capitaines. Aujourd’hui encore, les courses de bateaux et l’observation des cachalots, organisées toute l’année, réveillent chez les habitants la nostalgie d’une époque dont ils content avec ferveur les histoires et les destins d’hommes valeureux. Une de ces traditions, encore une fois, qu’ils préservent et perpétuent. Comme ils déplacent inlassablement les monceaux de basalte qui jalonnent leur terre, pour conquérir quelques mètres supplémentaires et planter, entre deux rochers, le cépage dont ils récoltent le fameux  » Verdelho « . L’île a d’ailleurs obtenu, en 2004, le classement à l’Unesco des sites viticoles de Criação Velha, près de Madalena et de Santa Luzia, sur la côte nord. Soit la protection de 987 hectares quadrillés de murets de pierre noire subsistant depuis 300 ans.

Terceira, elle, n’aura pas cette chance. Sans le travail passionné de Luis Brum, vigneron de renom et propriétaire du musée du vin, les 120 hectares de vignes de la région de Biscoitos auraient sans doute disparu sous les fondations des nombreuses villas balnéaires… Car à Terceira, les préoccupations sont d’un autre genre. En ligne de mire : le célèbre taureau noir qui s’élance dans les rues des villages pour les  » touradas a cordas  » (corridas à corde). Véritable star locale,  » la bête  » mobilise une armada de  » Canadeiros  » réunis au sein d’une association visant à préserver les techniques d’élevage transmises depuis le xvie siècle.  » Avant notre confrérie, n’importe quel éleveur pouvait se prétendre  » Canadeiros  » sous prétexte qu’il avait un troupeau, rappelle Fatima, cofondatrice. Il fallait donc sauver notre nom et notre savoir faire ancestral.  »

Séjourner aux Açores, c’est un peu comme s’immerger dans le passé. Bien sûr, l’archipel rattrape peu à peu les siècles, aménage ses routes et développe ses infrastructures. Mais comme l’écrivait si bien Claude Dervenn dans son ouvrage consacré aux Açores (*) :  » Longtemps encore, on ne changera pas ce peuple pasteur qui marche nu-pieds dans les nuages, du même pas qu’au temps de Vasco de Gama « .

Guide pratique en page 46.

(*)  » Açores « , aux éditions Horizons

de France.

Marion Tours

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content