Ses robes ultrasexy font succomber celles qui les portent autant que ceux qui les voient. Objet d’un culte planétaire depuis deux décennies, le couturier a accepté de nous livrer quelques secrets.

C’est un magicien des corps. Un couturier à la passion toute méditerranéenne pour la taille, la chute de reins,  » le derrière « , comme il dit, et les courbes en général, lui qui rêvait d’être sculpteur (il est diplômé des Beaux-Arts de Tunis, section sculpture) et qui l’est, de fait, avec la chair et le corps des femmes. Beaucoup lui vouent un culte absolu. Stars, mannequins vedettes – dont Naomi Campbell, qui l’appelle  » Papa  » – grandes dames et jolies poupées (riches) du monde entier : toutes s’adonnent à lui, à ses corsets de cuir et à ses robes à l’évasé corolle coupées de main de maître. Des robes-sortilèges cousues de sex-appeal, faites pour être enlevées, arrachées. Alaïa, c’est fatal, disent-elles. Une drogue dure. Bien sûr, on connaît quelques-unes des fameuses techniques qui ont fait de lui, comme l’a dit Jean-Paul Goude,  » le plus grand prothésiste que la couture ait jamais connu « . Les découpes savantes. Le Lycra. Les mélanges vertigineux (cuir et dentelles, entre autres). Mais, en disant cela, on n’a presque rien dit.

Pourquoi suscite-t-il tant de désir après presque trente ans de création ? Que fait-il pour, comme il s’en vante avec humour, assurer aux femmes un  » effet séduction garanti  » ? Pour révéler le corps tout en le rendant plus mystérieux, donc plus érotique encore ? Nous voici chez lui pour percer le secret. La pupille rieuse et fière, il nous invite à le suivre dans le dédale de sa maison de couture du Marais, à Paris, jusque dans sa mythique cuisine, sous la verrière, là où, chaque midi, se presse autour de lui une joyeuse troupe, collaborateurs du studio, amis, artistesà C’est son rituel favori : convier à déjeuner ceux qui souhaitent l’approcher. Les asseoir à sa droite, et laisser faire l’alchimie. Du haut de son mètre soixante, il toise avec une distance amusée le cirque effréné de la mode, auquel il s’est dérobé avec grand bonheur. Lui s’offre le luxe de ne pas défiler dans le calendrier officiel, préférant l’intimité de présentations chez lui, devant amis et amateurs. Ce jour-là, on ne verra pas Oum, la chatte altière, mais Didine, le généreux saint-bernard, qui sommeille à nos côtés. Confidences d’un esprit libre sur l’alchimie du désir.

Bettina Rheims, à qui vous avez offert une robe quand elle avait 20 ans, dit de vous :  » Alaïa m’a appris la séduction  » et aussi :  » Avec lui, les femmes sont toujours plus belles « . Quel secret leur chuchotez-vous donc ?

Je n’ai pas vraiment de secret. Si ce n’est que je m’intéresse beaucoup aux femmes, à leur façon de vivre. Je m’efface complètement derrière elles quand je crée des vêtements. Je ne suis obsédé ni par les tendances ni par ma propre création, mais focalisé sur un seul but : que la robe que je crée donne du bonheur à la femme en la rendant séduisante. C’est la moindre des choses.

Comment expliquez-vous le pouvoir quasi surnaturel qu’ont vos robes de sublimer celles qui les portent ?

Je l’explique par mon amour profond et mon respect infini pour les femmes. Quand je fais une robe, je pense au devant, au dos, à la manière dont la silhouette va bouger. Aux omoplates, à la taille, au nombril, à la raie des fessesà Un couturier doit aimer les femmes telles qu’elles sont. Certains cherchent le spectacle en faisant fi du corps féminin. Moi, non. Je ne vis qu’avec des femmes et je suis toujours aussi fasciné devant elles, surtout par la chute de reins et le derrière, plus intéressant à mes yeux que la poitrine – regardez les filles du Crazy Horse ! Je les observe sans relâche. Parfois, je descends même à la boutique pour vendre moi-même, pour comprendre ce qu’elles aiment, ce qui les gêne. Je suis leur allié.

Qu’est-ce qui compte pour séduire ?

Bien se connaître, attirer l’attention sur ce que l’on a de mieux et camoufler ses défauts. Et, surtout, chasser ses complexes ! Souvent, les femmes ont peur qu’on remarque leurs formes alors que, bien mises en valeur, elles peuvent devenir leur atout n° 1. Si une femme se fout du regard des autres, si elle est libérée de ce poids, c’est gagné pour elle ! Il faut être dégagée, regarder droit devant soi comme une chanteuse fixant son public. Je préfère les filles intelligentes aux beaux corps. Je rencontre des créatures superbes qui n’ont aucun piquant et au contraire, des filles moins belles mais altières comme des pur-sang. Et même des laides qui ont des attaches et des mains sublimes. Toutes les femmes m’intéressent. C’est faux de dire qu’il faut être bien faite pour venir chez moi, mes vêtements taillent jusqu’au 44. D’ailleurs, celles qui ont des rondeurs remplissent mieux mes robes ! Ce qui est essentiel, c’est de soigner son corps. De respecter ce cadeau de Dieu. Il ne faut pas se laisser aller.

Il faut être quand même sacrément sûre de soi pour s’habiller chez vousà

J’encourage celles qui viennent me voir à le devenir ! Je les bouscule d’un regard bienveillant pour leur faire prendre de l’assurance. J’ai vu des mal foutues devenir bouleversantes une fois habillées. Des timides devenir sûres d’elles et même provocantes. J’aime le côté bonne s£ur un peu cochonneà De 18 à 98 ans, on ne doit pas s’assagir ni changer de façon de s’habiller, seulement faire des ajustements, cacher ses bras ou allonger une jupe. Et encore ! Il n’y a pas d’âge pour la mini si on a des jambes sublimes. La vulgarité n’est jamais dans le vêtement mais dans la personne qui le porte. Je dis parfois à des clientes :  » Osez ! Avec ces jambes-là, vous pouvez créer un événement !  » Certaines ont trouvé un mari grâce à moià

Le temps semble glisser sur vos robesà

Il y a des modèles intemporels qu’on me demande sans cesse et que je recrée en modifiant la matière, la couleur, un peu la coupe. Le temps est devenu trop court pour le vêtement, c’est une erreur. Et les prix du prêt-à-porter de luxe me donnent la migraine ! Mais les femmes ne sont plus dupes. Elles savent qu’on peut porter cent fois la même robe. Regardez Michelle Obama : elle remet sans complexe les mêmes tenues (dont quelques-unes de mes créations, je suis très honoré) et fait la leçon au monde entier !

Vous parlez de prix trop élevés. Vous qui avez dessiné quelques modèles pour Tati en 1991, à quand une collaboration avec H&M ?

J’aimerais, mais je manque tellement de temps. Je ne dors déjà que cinq heures par nuit !

Vous avez grandi à Tunis. Qu’en gardez-vous ?

J’ai eu la chance d’être élevé dans une liberté totale, avec un rapport au corps sans tabous. Jusqu’à mes 7 ans, j’ai vécu sans éducation religieuse, je me baignais avec ma grand-mère Manoubia dans la grande bassine. Elle disait qu’il fallait laisser les enfants voir la nature, avec pudeur mais sans hypocrisie. C’était un éden.

Quels sont vos premiers souvenirs de mode ?

Ceux de ma mère, Frida, et de ma tante Mejida s’habillant pour sortir. Quand il y avait des mariages, je les guettais pour apercevoir leurs tenues de parade. Je me souviens d’une robe vieux rose brodée d’argent et d’une autre, vert bouteille brodée d’or. Je devais avoir 6 ou 7 ans. J’ai encore en mémoire le bonheur que me procuraient ces visions. Ces coiffures, ces bijoux, ces parfums – ma mère portait un jus capiteux, Soir de Paris, rangé dans une boîte bleue avec des étoiles. Je crois beaucoup à l’importance de ce que voient les petits enfants pour façonner leur esthétique. Le rapport à la mère est primordial. Même les voyous les plus dangereux ont une sensibilité énorme avec leur mère ! Ce sont les femmes qui font les hommesà

Par Katell Pouliquen

Quand je fais une robe, je pense au devant, au dos, à la taille, à la manière dont la silhouette va bouger…

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