Avec Dans mon pays, son second album latino, Agnès Jaoui confirme que la musique n’est pas pour elle qu’un quart d’heure américain. mais bien un coup de foudre pour la vie. Rencontre parisienne d’une femme dans le doute, mais épanouie.

Elle a deux mèches de couleurs flamboyantes dans les cheveux – rouge toréador et bleu azur – ce qui, assurément, dénote dans le cursus de cette brune multitalentueuse. Comme dans le café chic, près du jardin du Luxembourg, à Paris, où elle a visiblement ses habitudes. Plus tard, son amour-comparse, Jean-Pierre Bacri débarque pour un baiser à la sauvette : moins stressé, plus charmant que sur écran. Même sentiment pour Agnès, fille nature de 45 printemps, qui trouve son été dans les musiques latinos. Après un premier disque à succès qui frôle les cent mille exemplaires, le nouveau tome de ses aventures sensuelles est baptisé Dans mon pays (chez Bang !). Accompagnée d’un groupe transnational, El Quintet Oficial, la Jaoui confirme la qualité de son béguin métisse, cubano-hispano-brésilo-argentin. On y trouve fado ou flamenco, son, salsa, reprise de Chico Buarque et brandade de duos, dont celui avec le merveilleux chanteur angolais, Bonga, le Marvin Gaye de Luandaà

D’où vient votre fascination latino ? D’une éducation sentimentale familiale ?

A la maison, on écoutait Ferré, la musique israélienne, Brassens, Enrico Macias, Barbara, du classique, de l’opéra ou encore des rythmes arabo-andalous. Mon père adorait également le fado et toutes ces musiques ont accompagné ma propre mélancolie. Bizarrement, elles allègent toujours ma tristesse. Mon père est un intello, la seule fois où mes parents sont partis en vacances à la plage, ils ont divorcé ! Je n’avais gère confiance en moi, j’avais des coups de blues, j’avais raté deux fois l’entrée au Conservatoire d’art dramatique. J’étais une ado lambda avec des désespoirs très fortsàJe ne savais pas ce que j’allais faire de ma vie.

Et puis vous entrez au Conservatoire de chant à 17 ans !

Oui et, d’emblée, c’est un immense soulagement. La partition apporte un réconfort : je ne crois pas en Dieu mais la musique amène quelque chose de supérieur. Depuis lors, malgré ma carrière au cinéma, je n’ai jamais cessé de chanter, dans les églises, à Cuba où je vais rencontrer des musiciens, au Portugalà sans oublier la musique baroque que j’adore. Même fatiguée, même déprimée, je trouve dans la musique un espace de régénération, d’apprentissage infini. Le chant euphorise et amène à la plénitude mais je ne pourrais pas faire que du chant : cela demande une telle abnégation !

La photo de la pochette de Dans mon pays vous montre dans un état presqueà orgasmique !

(Sourire.) Il y a toute une partie de moi que je peux exprimer dans les musiques latinos, c’est sensuel et ça bouge. Je ne m’écris pas ce genre de rôle au cinéma, je ne le pourrais pas, je me sentirais indécente de me mettre à l’écran en séductrice ! Mais là, il est question d’un film – de fiction – où je jouerais le rôle d’une chanteuseà

Qui vient voir Agnès Jaoui en concert ?

Beaucoup de femmes : avant-hier à Périgueux, elles étaient trois à débarquer dans ma loge, entre 40 et 50 ans. L’une d’elles pleurait et me disait des choses que je n’ose pas répéter ici. Il y a une identification vraiment plus forte que pour un film. Une autre fois, une femme est venue me voir et m’a confié qu’elle avait écouté mon premier disque pendant toute sa chimioà

Que pense Jean-Pierre B de tout cela ?

Pendant deux ans, il n’a pas voulu venir me voir en concert. Puis, lors de ma prestation au Châtelet, il est arrivé après le début et est parti avant la fin. Il avait de la pudeur pour moi et en même temps, il a fini par lâcher qu’il trouvait cela bien d’en passer par là, par la musique. Il m’a dit :  » On voit que tu es heureuse en scène ! « à

Peut-on vous demander si l’adoption de vos deux enfants brésiliens est aussi liée à la fascination que vous éprouvez pour le Brésil, ce pays-continent musical ?

Je ne le crois pas. J’ai accepté de parler de cette adoption parce que je pense aux milliers de gens dans notre cas, qui peinent à adopter des enfants. Cela a duré sept ans et, franchement, je m’en foutais du pays ! Mais quand on entame cette difficile procédure, on vous demande de choisir un paysà Et puis au Brésil, l’enfant est roi. Quand j’ai débarqué de l’avion avec eux, on s’est rendu tout de suite à un petit festival – à Cotignac – où j’étais engagée : ma fille est montée sur scène et cela lui a paru complètement naturel. Quand je faisais la promo de mon premier album, il y a trois ans, les enfants étaient constamment là, donc, cela me paraissait assez naturel de parler d’eux. Voyager me fait l’effet de huit Prozac. Je vais chanter en février à Cubaà et j’emmène les enfants !

Une vraie carrière de chanteuse donc ! Mais quelle est, aujourd’hui, la place de l’écriture, du cinéma dans votre vie ?

J’ai tout le temps besoin d’écriture, mon carnet reste toujours à portée de main. Comme j’ai tout le temps besoin de musique ! Je voulais faire actrice pour être connue parce que princesse je ne pouvais pas (sourire). On peut vivre plein de vies. Là, avec Jean-Pierre, on est en écriture d’un nouveau film et c’est bien : j’ai besoin que cela devienne du jeu, j’aime passer de l’un à l’autre. On est tous des êtres multiplesà

Où en est votre judaïté ?

Je suis toujours archilaïque mais s’il y a des antisémites, je me sens juive ! La première fois que j’ai chanté, j’avais 8 ans et je me disais que j’allais faire la paix entre Israéliens et les Palestiniens !

Vous êtes aussi une amoureuse de Cuba, pourquoi ?

Comme au Brésil, l’enfant est roi. Et ce pays offre une sécurité unique au monde en tant que touriste et en tant que fille : Cuba semble en être resté aux années 50. Il y a beaucoup plus de nostalgie là-bas qu’au Brésil. Cuba est un pays schizophrène, paradoxal, à la fois incroyablement attachant et insupportable parce que rien n’y est possible. Le régime est impitoyable, mais les Cubains sont adorables. Il y a aussi les plus belles filles et les plus beaux mecs du monde.

Pour la première fois, vous chantez deux titres en français que vous avez coécrits. Dont Sur le pont de l’Alma mia où vous posez la question  » Comment on dit coup de foudre en espagnol ? « . Comment dit-on ?

Je ne sais toujours pas, peut-être  » amor a primarera vista  » ?

Agnès Jaoui est en concert au Théâtre 140, à Bruxelles, le 30 janvier 2010, www.theatre140.be

Par Philippe Cornet

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