Elles ne font qu’un, Murielle Scherre et La fille d’O. Pour la créatrice gantoise décapante et sa lingerie épatante, c’est à la vie, à l’amour.

Sur les doigts de sa main droite, quatre lettres tatouées forment le mot  » Amor  » ( » tout ce que je touche, je veux que ce soit avec amour « ), auquel répond, dans le creux de la main gauche, entre pouce et index, le mot  » Curiosity  » ( » je ne peux jamais oublier d’en avoir. « ). Elle les a fait graver là, dans sa chair,  » comme des Post-it « . Ainsi va la vie avec la fille d’O. Pour l’état civil, elle est Murielle Scherre, mais on l’appellera plutôt comme ça, du nom de sa collection de lingerie qui lui colle parfaite-ment à la peau – y voir un rapport avec l’ Histoire d’O de Pauline Réage qui fit sensation en 1954, et qu’elle a réinterprétée en titre de noblesse avec une modernité bien à elle, car il s’agit ici de combiner son  » identité  » et  » la vraie vie « .

Dans sa maison gantoise, la fille d’O collectionne des ballons, des fleurs en tissu, des plumes de paon, des statues de la Vierge Marie, des chaussures qu’elle expose où elle peut, jusque dans les W-C, à côté des planches d’anatomie qui détaillent la merveilleuse mécanique du corps humain dont elle ne se lasse pas. Dans cette même maison héritée de sa grand-mère, elle pense, crée, patronne, prototype sa lingerie épatante et la vend dans son living-room transformé en boutique sans cabine d’essayage. Nul besoin de rideau pour se cacher, chez elle, on trouve une culotte Wishes, un body Believes, un soutien Spells. La langue française fait si bien les choses, c’est elle qui le souligne :  » Un soutien, cela soutient le corps et l’âme « , y aviez-vous songé ?

L’histoire de la fille d’O débute presque classiquement : impossible de trouver de la lingerie qui ferait corps avec elle, Murielle, et désir avoué de  » remplir une toute petite place dans ce monde-là « . Elle étudie la mode à l’Académie de Gand, tombe sur un prof, Olivier Walkens,  » très dur, radical, qui te renverse vraiment dans tous les sens et te met les pieds sur terre – dans la mode, c’est si facile d’avoir la tête qui flotte « . Elle comprend épidermiquement que tout passe par la technique (sa créativité à elle) et s’inscrit donc dans le même temps à Roulers aux cours du soir, en patronnage et finition (sa signature à elle). En 2001, elle est diplômée, travaille pour le créateur Stephan Schneider, apprend que  » le plus grand challenge c’est de transformer une idée que tu as dans ta tête en quelque chose que les gens peuvent porter sur leur corps  » puis passe par les ateliers de Point Virgule et d’une corsetterie à Denderleeuw, spécialisée dans la lingerie  » pour les marchés  » –  » des culottes énormes, grandes comme ça, roses, avec des fleurs… Or, quand tu sors de l’école, tu rêves de Paris et de défilés – cela m’a bien équilibrée « .

En 2003, elle a tout en main, les étiquettes, la collection, l’émotion, go. La fille d’O  » emballera  » désormais le corps des femmes sous son nom. Avec sa sensibilité à elle, de tact et de beauté, indomptée. Chez elle, toutes les silhouettes ont droit de cité, le contraire la rendrait dingue,  » je veux que mes modèles soient beaux dans toutes les tailles « . Et made in Belgium, à Kemmel, près d’Ypres. Et dans des matières d’une qualité irréprochable, venues d’ici, de France ou d’Allemagne, qu’elle choisit les yeux fermés, ce n’est pas une image ; les tissus  » vilains, bon marché, dégueulasses, pouah « , non merci. C’est qu’il est question de  » couche intime, émotionnelle « , alors forcément, elle veut travailler  » très près du corps  » pour que  » cela se voie en dehors « . Avec toujours un effet de surprise, à l’image de sa collection de maintenant là tout de suite, qu’elle débuta avec l’idée du trompe-l’£il,  » comme les costumes des patineuses à glace, avec ces décolletés incroyables et ces motifs impossibles dessus pour créer une illusion de nudité « . La suivante, qui sera livrée en juillet ou en août prochain, elle n’en sait trop rien, la fille d’O n’attache aucune importance aux saisons, seule compte sa notion à elle du temps et de la perfection, et c’est bien ainsi, la collection suivante donc sera blanche et chair, pour la première fois,  » option pureté  » avec jeux de lignes et de courbes intimes –  » Je fais comme le Petit Poucet, je mets des miettes sur ma lingerie, comme ça, tu les suis à la trace, avec tes yeux, et tu fais une petite promenade sur le corps…  » Sa façon à elle de prendre soin de nous.

Carnet d’adresses en page 80.

Anne-Françoise Moyson

Une petite promenade sur le corps…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content