À Murano, l’île des verriers de Venise, Andromeda International applique son savoir-faire ancestral mâtiné de haute technologie à d’époustouflants luminaires. Un mariage éblouissant entre design, art et artisanat.

Dans les sixties, 2010 s’anticipait dans de somptueux décors de science-fiction. Depuis octobre dernier, à Rome, à la White Gallery, le dernier concept store de la ville, ce fantasme est devenu réalité. Dès l’entrée, impossible d’ignorer la vague lumineuse de 60 mètres qu’Andromeda a suspendue au plafond. Cette sculpture nommée Fluxus pèse 6 000 kg ! Elle se compose de 80 000 éléments de verre tricotés à la main comme les mailles d’un somptueux pull-over. Ces petites unités de verre tissées sont noires, transparentes ou de trois nuances de gris, éclairées par 5 000 ampoules halogènes. Andromeda a exaucé ce v£u avec le concours du designer Karim Rashid qui a collaboré pendant deux ans avec Michela Vianello, directrice artistique de la maison. Fluxus a ensuite nécessité sept mois de fabrication. Nemo Monti, la voix d’Andromeda dans le monde, souligne à quel point  » Fluxus est unique et incroyablement flexible « . Sa structure pourra donner naissance à de nouvelles créations.

Folie pour une boutique ? Les questions fusent. Andromeda ne rejette pas le goût des lustres classiques en verre de Murano. C’est à leur omniprésence qu’elle oppose ses créations. La suspension Livia de Leonardo de Carlo est un arrêt sur image sur des sortes d’anémones de mer qui ondulent. Junko, objet lumineux non identifié de Marin Chiaramonte, est quant à lui la version couture et haute technologie du rideau en perles des maisons du Sudà On rappellera qu’indépendamment des affaires, faire travailler régulièrement les souffleurs de verre, c’est les maintenir en condition, comme des boxeurs. Des projets comme Fluxus sont donc les bienvenus. Pour Andromeda, Fluxus reflète la récente percée du design dans les palaces, les sièges sociaux, les bâtiments institutionnels, les espaces publics et les plus beaux intérieurs privés. Andromeda est en train de pousser le concept vers une sorte de haute couture moderne.

La haute couture de verre

Andromeda a été fondée en 1972 par les parents de l’actuel président, Gianluca Vecchi, 45 ans. Dès l’adolescence, il arpente les allées de l’entreprise. Il connaît donc certains des  » hommes du chaud  » depuis des lustres. En 1986, à 22 ans, il entre dans la société pour laquelle il voyage beaucoup. Partout, il s’agace de voir les mêmes luminaires, surtout dans les hôtels. Son choix d’instiller davantage de modernité dans l’ancestral luminaire de Murano rencontre bien des résistances, du côté des créateurs comme des artisans. En 1988 pourtant, Andromeda lance Aqua, une première collection de luminaires contemporains. Puis les grands hôtels, les lieux de représentation et quelques clients privés commencent à commander davantage de pièces d’exception (collection ou sur-mesure). Andromeda engage de gros investissements pour répondre à cette demande.

Dans les années 90, la maison collabore avec des designers et des architectes, de David Chipperfield à Philippe Starck, fan de l’étonnant Pulse créé par Massimo Bernardi. On dirait une explosion de lumière lançant dans l’air des cônes de verre. Détail, même le nickel de la fixation du luminaire est rutilant. La femme élégante qui passe au Trianon Palace de Versailles sous les grappes des lustres Nastro sait-elle qu’on apporte à ce type de luminaires autant d’investissement humain que dans les broderies de sa robe ? Nastro est un assemblage savant de spaghettis de verre imaginé en 2003 par le designer Tobia Scarpa.  » Rose pink  » ou  » eau du Nil « , suspension ou applique, Nastro sèmerait la confusion même dans une galerie d’art.

Design ou art ?

À Pékin, au Klubb Rouge conçu par l’architecte Imaad Rahmouni, Andromeda a réalisé un luminaire de 82 m2 auquel 650 sphères de verre écarlate, soufflées et façonnées à la main, sont suspendues sur quatre rangées de 22 cascades. Si ça fait 88 en tout, c’est parce qu’ici, le chiffre 8 porte bonheur. D’où peut-être la présence de 8 000 LEDs dernière génération, en liaison avec des éclairages à fibre optique. Pour un designer, Andromeda, c’est un laboratoire singulier. Il est dirigé par une artiste qui ne met pas de bornes à ses désirs tant qu’Alberto Furtak, l’ingénieur, les rend possibles. Apparemment, il dit plus souvent  » Je vais voir  » que  » Pas possible « .

Andromeda tient de la somptueuse niche mais dans un marché mondial. La majeure partie de sa production est visible à l’étranger. Les collections sont faites en interne ou avec des designers extérieurs. S’il y avait un critère pour les choisir ce serait  » savoir ce que la liberté veut dire en matière de création « , dit Nemo Monti. Pour Gianlucca Vecchi, il s’agit surtout  » d’exprimer des émotions « . Fluxus en est l’exemple. Parfois, le client a besoin d’être guidé dans ses envies. Ça, Gianluca Vecchi sait faire. Il a organisé Andromeda de façon à offrir un service parfait où que ce soit dans le monde. Il est conscient du délai d’attente du client et du prix de l’exception. Chez Andromeda, on n’a pas de fausse pudeur là-dessus. Ce jour d’hiver, quatre Nastro sont en production pour un club de Miami, ville où Andromeda a un bureau, ouvert pour rayonner jusqu’en Amérique du Sud. Cependant,  » tout est fait à Murano « , nous assure-t-on, qu’il s’agisse de recherches, de design, de prototypage ou, bien sûr, de production.

Nemo Monti a observé que même les designers  » habitués à penser en formes  » s’enrichissent quand ils voient comment se maîtrise le verre aux ateliers. Sous la houlette de Gianluca Vecchi et avec Michela Vianello, Andromeda est, depuis trois ans, très sollicitée pour de gros projets. Un chandelier XXL pour un palais saoudien d’aujourd’hui, voilà son actualité récente. La maison n’attend pas qu’on la sollicite pour chercher elle-même ce que le verre de Murano peut générer comme innovations, formes et concepts. Il y a dix ans, Gianlucca Vecchi et le designer Tobia Scarpa (qui, tout jeune, travailla chez le verrier Venini), a créé un Andromeda study center, pour faire phosphorer experts internationaux et étudiants sur le design appliqué au luminaire en Murano. La singularité de l’enseigne s’interprète aussi sur des modèles moins hors normes comme Brio, qui diffuse la lumière par un disque de verre sculpté comme de l’eau en mouvement.

Murano a vraiment muté. Melt Meee, la dernière collection de lustres, a été conçue par Gianluca Vecchi lui-même. Il n’est pas le dernier à repousser les frontières entre ce qui existe et ce qui ne se fait pas encore, même s’il n’est pas designer de formation. Il dispose à ses côtés d’ateliers qui ont intégré le message : mettre de la sensibilité artistique 2010 dans une typologie classique. Melt Meee fait penser à un beau costume du xviiie siècle mais avec la perruque mise de travers exprès. Avec déjà seize lampes, le lustre mesure 1,45 m sur 1,75 m de diamètre. Reflets violets ou blancs d’un ivoire laiteux, les modèles de Melt Meee sont des décors en eux-mêmes. Nemo nous avait prévenus, il n’y a pas un style à chercher chez Andromeda. Gianlucca Vecchi renchérit :  » Notre style, c’est plutôt une attitude mentale face à un projet.  » De fait, Andromeda engage le  » made in Murano  » dans une esthétique visionnaire. Tambour battant ! 4

PAR GUY-CLAUDE AGBOTON

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