Depuis sa création, il y a dix ans, elle est au service de l’art. Alice Morgaine, directrice artistique de La Verrière Hermès à Bruxelles, préfère l’abstraction. Les artistes d’abord.

Elle aurait préféré ne pas être là, aujourd’hui, sur le devant de la scène, à poser pour la photo, et ce n’est pas une posture. Alice Morgaine, directrice artistique de La Verrière, se plaît mieux  » en retrait « , en  » tremplin pour les artistes « . Sous la toiture eiffelienne, la petite dame en noir prend appui contre les murs blancs. Trente-deux couches de laque vierge les recouvrent, quel crève-c£ur, car Daniel Buren y a peint des colonnes, Jean-Gabriel Coignet crayonné des lignes et Charley Case dessiné un banian immense à l’encre de Chine. Tout cela, à chaque fois, a disparu sous une virginité renouvelée, il en reste cependant  » beaucoup d’émotions « .

C’est que dans cet espace quadrangulaire où seule la qualité extrême a droit de cité, l’art fait des miracles. Aujourd’hui, l’artiste français Claude Lévêque y a installé son Ideal Circus, un cirque miniature inaccessible, impénétrable, qui parle de sa  » fascination pour les rêves d’enfant  » et  » pour la piste aux étoiles « . Sur l’invitation, un clown bleu avec deux lames qui jaillissent de ses yeux, ça fait un peu froid dans le dos.  » Chez lui, explique Alice Morgaine, il y a toujours ce côté gentil cruel. Il ne caresse jamais dans le sens du poil, ah non ! Au contraire.  »

Son téléphone sonne, c’est Claude Lévêque, justement, silence attentif, phrases rassérénantes, ondes positives, fin de la conversation, commentaire :  » un artiste a besoin d’être écouté plus qu’en surface, écouté avec empathie.  » Voilà pourquoi Alice Morgaine est toujours là au montage, elle insiste sur le  » toujours  » et précise :  » pas avec un marteau et des clous  » mais pour  » servir un café « ,  » sentir l’humeur de l’artiste quand il doute « ,  » essayer de dialoguer avec lui  » car elle le sait,  » un artiste, c’est fragile « .  » Très.  »  » C’est pour cela qu’il a cette formidable préscience, parce qu’il est tout antenne, toute sensibilité. « 

Depuis dix ans qu’elle fait ce métier-là, elle s’étonne encore de sa chance quand l’été 1999, Jean-Louis Dumas, alors patron de Hermès lui propose La Verrière comme terrain de jeu, elle lui répond qu’elle n’y connaît rien en art contemporain – ce qui n’est qu’à moitié vrai, on comprendra plus loin -,  » parfait  » lui rétorque Monsieur Dumas. Il lui rappelle alors qu’il aime prendre des risques, que ce sera elle, qu’elle aura le temps qu’il faut. Des  » conseils précis et discrets « , une  » confiance en guise de viatique  » et la voilà prête à construire un ensemble de choix très cohérents d’artistes contemporains, pour la plupart abstraits, et qui travaillent  » grosso modo autour de la notion du temps, de la durée et de la mémoire « , rapport à la philosophie maison.

Alice Morgaine aligne les artistes européens, confirmés ou débutants, et les expose dans cet endroit qui servait autrefois de garage. Rien, avec elle, n’est jamais banal. Il est souvent question de  » rencontres assez fortuites « ,  » miraculeuses « ,  » d’histoires de fou « , comme toujours avec vous, pense-t-on tout haut. Elle rit, se souvient de la jeune fille qu’elle fut. Un médecin qui conseille un climat sain et sec, une tante à Montréal et la voilà partie à 17 ans de l’autre côté de l’Atlantique. Quand elle en revient, en 1959, elle a une licence de philosophie en poche (mentors Paul Ric£ur et Jacques Maritain) et une culture américaine.

Elle débute par hasard à France Soir, dans la rubrique Les potins de la commère, apprend à écrire court, passe à L’Express, en 1962, rubrique vie moderne, puis architecture et design, et très vite à la direction de Madame Express. En 1979, elle devient rédactrice en chef du Jardin des modes, quel passeport. Le magazine est alors entièrement redessiné par le graphiste Milton Glaser, en grand format, toujours une mode d’avance, c’est le sous-titre non usurpé de cette bible qui, jusqu’en 1997, s’aventura aussi sur les terrains de l’art plastique, de la photo, du design et de l’architecture.  » La vie m’a beaucoup gâtée et elle continue. C’est incroyable ce qui m’arrive, et je n’en suis toujours pas revenue, à l’âge où l’on chausse ses charentaises, je travaille comme si j’avais 30 ans.  » Dans sa robe noire qui fait penser à la radicalité de Yohji Yamamoto, en réalité c’est la sienne, simplement, Alice Morgaine lève son regard vers le ciel, la verrière.

Claude Lévêque, Ideal Circus, exposition jusqu’au 26 juin prochain, à La Verrière Hermès, 50, boulevard de Waterloo, à 1000 Bruxelles. Tél. : 02 51120 62.

Anne-Françoise Moyson

Un artiste, c’est fragile. Très.

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