Héroïne du  » Fabuleux destin d’Amélie Poulain « , la jeune actrice française a des airs d’ingénue mais un discours affirmé.

Si nous étions dans les années d’avant-guerre, lorsque le cinéma aimait (à l’image du théâtre) classer ses interprètes par  » emploi « , Audrey Tautou n’aurait pas échappé à celui d’  » ingénue « . Le terme pouvait être avancé pour le rôle qui la révéla, celui de la toute jeune employée d’institut de beauté séduite par un veuf d’âge mûr dans  » Vénus Beauté  » (avec un césar du Meilleur Espoir féminin 2000 à la clé). Il sera encore évoqué à propos du personnage qu’elle incarne dans  » Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain « , cette perle de cinéma poétique signée Jean-Pierre Jeunet. L’Amélie d’Audrey est une jeune serveuse de bistrot timide et douce, qui se pique un jour de faire le bonheur des autres. A coups de stratagèmes astucieux, elle intervient dans leur vie sans qu’ils s’en aperçoivent, organisant le hasard et les coïncidences avec tantôt des talents de  » marieuse « , tantôt des élans de justicier à la Zorro. Parfaite dans un rôle qui avait été initialement proposé à Emily Watson, cette fine mouche de Tautou signe une performance qui l’impose désormais au premier rang des futures grandes du cinéma français. A bientôt 23 ans (elle les aura le 9 août prochain), celle qui naquit dans le petit bourg provincial de Beaumont et qui rêvait, enfant, de devenir primatologue (spécialiste des grands singes) peut porter avec fierté le même prénom que la délicate et volontaire Audrey Hepburn. Une star dont la jeune comédienne rappelle curieusement quelques-unes des qualités essentielles. Egalement présente dans  » Le Battement d’ailes du papillon « , une comédie farfelue et savoureuse qui sortira en juin, Tautou a tout récemment rejoint le tournage du nouveau film de Claire Devers,  » Marins perdus « . Bernard Giraudeau et Marie Trintignant y seront des partenaires attentifs à l’éclosion précoce de ce petit bout de femme aussi attachante que pleine de talent.

Alors, ça vous va, d’être prise pour une ingénue?

Ingénue? Ben, c’est moi ( rire)! Pas forcément dans la vie, mais certainement dans ce que je peux représenter au cinéma. J’ai vraiment la tête de l’emploi, avec mes grands yeux étonnés et mon large sourire ( NDLR: elle en donne illico un exemple radieux). Moi, ça me plaît, en tout cas, qu’on m’identifie ainsi. J’aime bien. D’autant que les ingénues que je joue ne sont pas si naïves et romantiques que ça! Dans  » Vénus Beauté « , mon personnage vit une vraie passion amoureuse complexe et sensuelle. Quant à Amélie Poulain, elle n’attend pas que les choses arrivent, ni qu’un garçon vienne la chercher. C’est elle qui agit, qui déclenche les événements. En fait, si je suis une ingénue, alors c’est une ingénue atypique ( rire)!

Amélie se mêle de la vie des autres. Le feriez-vous vous-même?

C’est sûr que ça donne envie, non? Quand j’ai lu le scénario, je me suis dit:  » Qu’est-ce que j’aimerais être comme elle, qu’est-ce que j’aimerais vivre comme elle!  » Ca m’a fait rêver. Comme j’aimerais avoir moi-même toute la fantaisie d’Amélie! Et sa générosité vis-à-vis des autres, même si vis-à-vis d’elle-même elle reste assez timorée. On a tous au moins une fois aidé un aveugle à traverser la rue. Et plein d’autres fois on a failli venir en aide à quelqu’un sans finalement l’oser. Je ne sais pas pourquoi nous hésitons si souvent comme ça, comme par défense ou pudeur mal placée, devant nos pulsions altruistes.

Nous sortons d’une époque très cynique, où l’on avait peur d’être ringard ou ridicule en affichant des sentiments positifs. Non?

Oui, c’est vrai. Cela change, depuis quelque temps. Il me semble qu’en général les gens sont devenus ou redevenus plus sensibles aux malheurs de leurs contemporains. Ou inversement à leur bonheur quand il s’exprime. Ce sont les sentiments, peut-être, qui étaient comme tabous. Moi, j’aime les sentiments, même ceux qu’on désigne avec un dédain paradoxal comme  » bons « . Il n’y a pas de honte à toucher, à émouvoir, à faire couler des larmes de bonheur. Moi, personnellement, je n’ai jamais eu peur d’être prise pour ridicule ou naïve en affichant ce point de vue. C’est tellement plus facile, évidemment, de ruminer sa misanthropie ou son cynisme. Ca a plus d’allure, aux yeux de certains. Mais je m’en fiche. Ca ne fait pas partie de mes soucis!

Vous croyez au pouvoir créatif du hasard, des coïncidences?

Je crois plutôt au destin. Je pense que nous avons une destinée, qui est déjà un peu tracée à l’avance. En chemin, nous rencontrons des carrefours où la route se divise en deux ou trois autres. A nous de choisir la bonne. Une bonne partie du boulot de vivre s’accomplit lors de ces moments-là…

Vous aimeriez connaître votre destinée?

Hmmm… Ca dépend des moments, en fait. Je ne suis jamais allée voir quelqu’un pour qu’on me prédise mon avenir. Je n’aligne pas non plus mes choix sur ce que je crois être la voie qui m’est tracée. Je reste très instinctive dans mes choix. Mais cela ne m’empêche pas de croire à une forme de destin. Un destin général, qui ne s’occupe pas des anecdotes de la vie quotidienne.

Le césar est une anecdote?

Oh oui. Une belle anecdote mais une anecdote tout de même. Il ne fait pas partie de mon idée du destin. Je ne crois pas que l’obtenir faisait partie de ma destinée au sens où je l’entend.

Quelle est votre idée du bonheur?

Ce n’est pas une idée. C’est ce que je vis en ce moment. Je suis heureuse dans mon métier, heureuse dans ma vie. Je suis libre, chose qui compte énormément pour moi. Je fais ce que je veux, je pars en voyage au bout du monde si ça me chante. Je peux m’offrir un objet dont j’ai envie… Je suis bien. Evidemment, le bonheur est-il jamais plein? Non, sans doute. Mais tout de même. Il est important de savoir quand même la chance qu’on a. Et que d’autres n’ont pas. Par rapport aux problèmes où se débattent plein de gens, ce serait très moche de faire la fine bouche en dévaluant une chance comme la mienne, en disant que je ne suis pas heureuse en ce moment.

Vous vous projetez volontiers dans l’imaginaire?

L’imaginaire est une chose importante dans ma vie. Je suis assez rêveuse, j’affabule parfois, j’aime m’inventer des vies. Je ne sais pas si c’est propre à toutes les midinettes ou non ( rire)! Mais c’est crucial pour moi. Quand j’ai envie de quelque chose, j’y rêve avant d’y accéder, de concrétiser mon désir. Cette phase d’imaginaire, d’anticipation, qui se situe entre la manifestation du désir et sa réalisation, est très importante.

Vous croyez aux petits bonheurs du quotidien? A ces choses négligées qui restent pourtant, potentiellement, des sources de plaisir?

J’y crois et j’y goûte. Il peut suffire de regarder autrement la réalité pour qu’elle puisse vous étonner, vous sourire. Tout ce que fait Amélie dans le film, je crois qu’au fond ce n’est pas farfelu: tout ça est possible! Dans le quotidien! J’espère que le film donnera des idées aux gens. N’hésitez pas à aller vous cogner à la vie. Elle en vaut la peine. Un peu de courage, et bien des choses deviennent possibles. Pour peu qu’on ose. Il faut prendre les choses en main pour être heureux. Et ne pas lever les yeux vers le ciel. Le bonheur n’en tombera pas! Il ne dépend que de nous.

Propos recueillis par Louis Danvers

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