Artempo, qui a pour écrin le prestigieux Palazzo Fortuny, à Venise, fait sensation en faisant se côtoyer pièces d’archéologie et installations hypercontemporaines. Parmi les cinq commissaires de cette exposition non conformiste : le Belge Axel Vervoordt. Weekend s’est glissé dans les coulisses de l’événement… Et vous raconte, en exclusivité, la saga de cette fabuleuse aventure artistique.

Artempo. Cette prestigieuse exposition organisée au Palazzo Fortuny, à Venise, et dont le vernissage a lieu ce 8 juin (*), a pour ambition d’étudier le rapport existant entre l’art et le temps, mais surtout la façon dont ce lien a été établi au fil des siècles, à travers les lieux et aussi les divers modes d’expression. Un des instigateurs de cet événement – il s’agit ni plus ni moins de révéler ici au public une nouvelle manière d’envisager l’art au quotidien – n’est autre que le Belge Axel Vervoordt.

Cinq personnalités du monde de l’art ont collaboré pendant deux ans à la préparation de cette exposition unique en son genre où de rares et précieuses pièces d’archéologie voisinent avec des installations hypercontemporaines. Quant à Axel Vervoordt, à la fois auteur et mécène d’Artempo, il a ainsi choisi de fêter son 60e anniversaire et d’une manière particulièrement éclatante.

Axel Vervoordt, une personnalité certes, mais quelle profession exerce-t-il ? Antiquaire, puisque c’est ainsi qu’il a débuté. Décorateur aussi, par la force des choses et par la reconnaissance mondiale qu’il a acquise. Son carnet d’adresses ferait pâlir plus d’un spécialiste du gotha. De Madonna à Calvin Klein, des têtes couronnées aux stars du sport, le nombre de célébrités qui l’appellent en direct sur son portable en dit long sur sa sphère d’influence.

Mettre en scène le temps et l’art

Homme de goût, Axel Vervoordt aime par-dessus tout guider ses clients dans le choix des objets qui vont les entourer. Et c’est dans la définition même du mot objet que germe sa singularité. D’un tel homme, on est en droit d’attendre un objet d’art. Et c’est effectivement le cas, car Axel Vervoordt collectionne lui-même et incite à le faire. Parmi ses peintres préférés, on épingle l’Italien Lucio Fontana (1899-1968), le Japonais Kazuo Shiraga ou le Belge Jef Verheyen (1932-1984). Parmi les artistes qu’il fréquente, il y a le plasticien britannique d’origine indienne Anish Kapoor ou l’Américain James Turrell, artiste de la lumière, et bien d’autres encore. Mais l’objet, selon Axel Vervoordt, peut être également une simple pierre trouvée au bord du chemin. Loin des restaurations trop invasives, cet expert préfère voir les objets dans leur temporalité, où même les accidents ont leur place, à l’image de cette peinture brûlée (le Portrait du procureur, £uvre de l’école de il Tintoretto), qui fait partie des collections du Musée de l’Accademia, à Venise.

 » Ma rencontre avec Mattijs Visser, voici deux ans, est à l’origine d’Artempo, raconte Axel Vervoordt. Directeur des expositions du Museum Kunst Palast à Düsseldorf, il avait emprunté des £uvres de ma collection, pour ses réalisations. Il m’a parlé d’un projet mettant en scène le temps et l’art. Notre premier entretien improvisé s’est mué en une discussion qui a duré cinq heures. L’échange était fascinant.  » Mattijs Visser présente alors Jean-Hubert Martin à Axel Vervoordt. Ancien directeur du musée d’Art moderne de Paris (Centre Georges Pompidou), celui-ci était, jusqu’en 2006, le directeur général de Visser à Düsseldorf. Tout en travaillant sur d’autres expositions (dont une consacrée au double visage, programmée en 2008 au Grand Palais, à Paris), il est, lui aussi, séduit par le projet… et lui trouve le nom d’Artempo.  » Si l’on persiste à vouloir présenter l’art derrière des vitrines en maintenant une distance entre le visiteur et l’£uvre, d’ici à vingt ans, les musées traditionnels vont se vider, martèle-t-il. Les expositions thématiques auront toujours du succès, certes, mais pas les collections. Ce qui m’intéresse surtout, c’est d’offrir une autre lecture et de faire cohabiter des £uvres d’époques différentes. Parce qu’elles ont quelque chose à dire, une histoire à raconter. Il faut sortir de la lecture chronologique de l’histoire de l’art et parler aux visiteurs dans un langage d’aujourd’hui.  »

Daniela Ferretti, conceptrice d’expositions pour les Musei Civici Veneziani, plus particulièrement chargée du musée Fortuny, et Giandomenico Romanelli, le grand patron de la douzaine de musées que compte la ville de Venise rejoignent rapidement ce trio d’experts.  » Le Palazzo Fortuny est un lieu tout à fait à part, s’enthousiasment-ils. Même s’il est mort voici bientôt soixante ans, l’artiste espagnol Mariano Fortuny y Madrazo (1871-1949) continue de l’inspirer (lire encadré en page 16). Aussi, lorsque Axel Vervoordt est venu présenter cette idée de réaliser une exposition sur le temps et l’art, nous avons voulu associer Venise à cette aventure, en lui ouvrant les portes de nos collections. Vous découvrirez, par exemple, dans le cabinet de curiosités nombre d’objets provenant du Musée d’histoire naturelle. Associés à ceux collectionnés par Axel et d’autres issus de collections privées qu’il a ou non constituées ou encore venus d’autres musées dans le monde.  »

Daniela Ferretti et Giandomenico Romanelli voient en Axel Vervoordt un esthète, un personnage aux diverses facettes qui fait partie de la même lignée que le célèbre Mariano Fortuny.  » Ici, au Palazzo Fortuny, on pourra approcher davantage les £uvres, vivre au milieu d’elles, comme Mariano Fortuny aurait pu le faire en son temps, renchérit Axel Vervoordt. Au premier étage, son esprit est omniprésent, et de manière très concrète, car tous les murs sont habillés des tissus qui l’ont rendu célèbre et dont Marcel Proust, fasciné, parle à plusieurs reprises dans  » La Prisonnière « , en évoquant les robes d’Albertine. J’ai d’ailleurs pris l’habitude de dire qu’en fait nous sommes six à travailler ici. Le sixième : Fortuny qui nous a invité chez lui et qui nous inspire. Un de ses autoportraits a été ainsi placé tout en haut d’un des murs latéraux, pour lui offrir une symbolique vue d’ensemble.  »

Une aventure fascinante

Pour concrétiser davantage le sentiment d’entrer dans un intérieur du début du xxe siècle, des éléments de mobilier ont été intégrés dans l’espace muséal.  » En guise de vitrine, nous avons utilisé des meubles déjà présents dans les salles, souligne Axel Vervoordt. Depuis deux ans, j’ai collectionné d’anciens supports d’atelier de sculpteurs. Dans la logique d’Artempo, je ne pouvais concevoir les £uvres déposées sur des socles de galerie d’art. J’ai aussi dessiné un canapé qu’on trouvera ici et là, simplement pour s’y asseoir.  »

Artempo est une aventure fascinante. Matérialisation de ces deux années de partage des connaissances, cette fabuleuse mise en scène est le fruit d’une véritable concertation, chacun y amenant à la fois sa culture et son expérience. Avec Jean-Hubert Martin, Mattijs Visser, le coauteur de cet étonnant scénario, a créé le lien avec les artistes contemporains, dont plusieurs sont venus sur place parachever l’£uvre spécialement conçue pour le Palazzo Fortuny. Le Ghanéen El Anatsui a ainsi recouvert la façade principale d’un voile composé de cannettes de récupération en aluminium. A l’intérieur, des pièces ont spécifiquement été réservées à James Turrell, au sculpteur Thomas Shütte ou encore à Anish Kapoor. Ce dernier présente un mur miroir en S de 12 m de longueur. Pour l’anecdote, les commissaires auraient aimé l’installer de préférence au centre de la petite place qui fait face à l’immeuble. Mais l’artiste a refusé… pour des raisons de sécurité : de telles courbes peuvent engendrer des effets de loupe et produire des températures très élevées en concentrant les rayons du soleil !

Au deuxième étage du palais  » gothique vénitien « , Mattijs Visser a concentré la majeure partie des £uvres contemporaines. Ici, les murs sont à l’état brut : pour partie intacts et pour partie préparés pour une prochaine restauration.  » J’avais appris que le Palazzo Fortuny était fermé en vue de restaurations, commente Axel Vervoordt. J’avais très peur qu’on lui applique un traitement de choc et que l’on décide d’une rénovation clinquante. A mon sens, la magie de Venise provient de toutes ces strates temporelles qui se succèdent et cohabitent, de sentir ici à la fois la présence de la famille Pesaro qui fit construire le palais, la Renaissance et le temps de Mariano Fortuny. L’£uvre du temps est art, sur un meuble comme sur un bâtiment. C’est cela Artempo. A Venise et ailleurs.  »

Dans la toute petite pièce accueillant trois des £uvres de la Donation Dora Janssens (Musées du Cinquantenaire, à Bruxelles), les artisans £uvrant pour Axel Vervoordt ont patiné les murs avec les  » pigments de la terre flamande « . Mais le surnaturel qui se dégage de cet endroit s’explique également par la lumière qu’émet une petite fenêtre et qui vient illuminer naturellement les trois sculptures mayas.  » C’est en cet emplacement que Mariano Fortuny avait son atelier de création « , confie Daniella Ferretti. Ô temps suspend ton vol…

(*) Artempo, du 9 juin au 7 octobre prochain, tous les jours, de 10 à 18 heures.

Reportage : Jean-Pierre Gabriel

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