Secoué par son divorce d’avec Chiara Mastroianni et l’échec commercial de son album de 2005, le fils prodige de la chanson française, revient – photographié par la star américaine Bruce Weber – avec un Trash Yéyé mordant et inspiré… En exclusivité pour Weekend, B.B. se prête au jeu de la photo-vérité en nous révélant ce que, pour lui, cachent les images.

« Il n’y a plus de pose, plus d’envie d’épater la galerie, ma musique est en tout point sincère. Elle sort comme ça et puis je la polis. Le désir n’a pas bougé et ne bougera jamais même si je fais un break de sept ans : quand la guitare reviendra dans mes mains, ce sera la même passion.  » En interview par un après-midi pluvieux parisien, Benjamin Biolay n’a rien du jeune homme hautain croqué par certains médias : s’il y a une hauteur chez lui, elle est sans aucun doute dans ses chansons. La collection de titres de Trash Yéyé (*) s’avérant être une fausse descente au purgatoire, dopée d’une vraie remontée lumineuse dans les mélodies sensibles. Ce Premier prix de conservatoire de trombone à coulisses, 34 ans, né dans une ville anonyme près de Lyon, y fait flamber ses textes, fouille les tabous ( Douloureux dedans , Dans ta bouche) et réussit à injecter de la beauté dans les saillies de l’amour en fuite ( Dans la Merco Benz ). Le plus souvent sur de somptueux arrangements. Bref, Biolay fait £uvre de chanson là où d’autres agissent à l’illusion. Tant qu’à jouer au jeu des apparences, on a présenté à Benjamin quelques images dont la première est la sienne.

Weekend Le Vif/L’Express : Pourquoi avoir choisi le célèbre photographe de mode Bruce Weber pour réaliser des portraits de vous… alors que votre aversion de la  » célébrité  » est connue ?

Benjamin Biolay : Bruce Weber est une icône de la mode, mais c’est surtout un grand artiste. Il vit plus ou moins retiré dans le Montana et possède une maison en Floride. A une époque, il avait cherché à me photographier, sans doute à partir d’un article qui était paru sur moi dans le New York Times. Cette photo-ci a été prise pendant la pause-déjeuner (B.B. commente un cliché en noir et blanc le montrant, rêveur, sirotant une boisson) et Bruce Weber m’a saisi en un instant, voilà… L’instant dans la musique est une sorte de souvenir évolutif, la photo, c’est plus immédiat. On a enregistré le disque en partie à Woodstock, ce qui a été un vrai déclic. Après le dîner, je regardais le basket à la télé et puis je reprenais la guitare, j’avais l’impression d’être dans un livre de Bruce Weber, A House Is Not a Home. Ses photos étaient une manière de boucler la boucle…

Votre premier single paru en 1997 s’appelait La Révolution …

Oui… (BB examine une photo de Kim Jong-Il, le numéro un nord-coréen) Ah oui, Kim Jong-Il, fils de Kim Il-Sung… Il fait chef mafieux alors qu’il est chef d’Etat. Les leaders nord-coréens sont les derniers staliniens au monde, fous à lier. Tout dans cette photo est chorégraphié, checké, mis en scène. Je sais combien l’image peut être manipulatrice : il m’est arrivé de retrouver ma tête dans un dossier  » Jeunes romantiques  » de tabloïd (sourire) ou dans d’autres dossiers pseudo-sociétés…

Et vous ? Etes-vous victime de votre physique ou de votre histoire personnelle, dont, en 2005, votre divorce d’avec Chiara Mastroianni ?

De mon histoire personnelle, oui, parce que c’est le poids de mes beaux-parents qui est énorme, pas celui de ma femme… Chiara est une actrice qui ne fait que des films indépendants et quand on s’est rencontré, nous passions relativement inaperçus. Et puis tout d’un coup, le poids de la belle-famille a fait que… Je n’ai jamais épousé Mademoiselle Deneuve et je n’ai jamais connu Mastroianni père. Chiara a des velléités de comédienne très pointues et un goût indépendant qui ne correspondent absolument pas à la couverture médiatique, qui est à des années lumière respectives de nos vies… J’ai parfois regretté que nous ayons fait ensemble la couverture d’ Elle.

Que pensez-vous des photos du couple Birkin-Gainsbourg parues dans la presse ?

Gainsbourg aimait ça : quand il a eu une crise cardiaque, c’est lui-même qui a appelé la presse (sourire). Je suis très différent de cet homme que j’admire, La Décadanse, c’était son truc. Moi, me retrouver dans les mots fléchés, cela me dégoûte, même si je suis toujours prêt à parler à quelqu’un qui vient me trouver dans la rue.

Trash Yéyé comporte son lot de langue de fiel. Comme Zidane, passez-vous parfois à l' » explication physique  » ?

J’ai beaucoup de compassion pour ce joueur de football exceptionnel qui a fini sur un moment aussi foireux, même si, esthétiquement, on peut y trouver son compte. La vérité, c’est que maintenant, Zizou égale coup de tête alors que c’était le plus doué de sa génération, celui qui a fait rêver la planète. Mais moi, je ne suis pas castagnard… j’ai trop de dégoût pour cela, c’est une expression tellement primaire. Jamais, je ne déclencherai les hostilités, mais si on me tape, cela me rend hystérique.

Quel type d’enfant étiez-vous ?

Il faudrait le demander à mes parents : tout petit, je ne sais pas, mais ado, je faisais de l’obstruction permanente. Dès qu’un prof disait une connerie, je devenais dingue. Quand on m’expliquait que Lee Harvey Oswald avait tué Kennedy, je disais  » Objection votre honneur, le Congrès a reconnu en 1975 qu’il n’y avait pas de tireur isolé..  » (rires). Les plus gros problèmes venaient du cours de musique, je ne supportais pas que le prof se trompe. Comme, je n’étais pas du tout scientifique, j’ai fait un bac de musiciens un peu bidon, F11…

Vous avez une petite fille de 4 ans, Anna. Quelles sont les valeurs importantes que vous souhaitez lui transmettre ?

La conscience, la morale, la culture. Je ne lui ai jamais parlé comme à une débile et maintenant, les gens se pâment devant son vocabulaire, ce qui est couillon. Elle est très passionnée, je n’ai pas l’impression de remplir une mission lorsqu’on va au musée : je m’éclate avec elle sur les ongulés ou les marsupiaux. Son rapport au savoir est très sain… C’est pour elle que je vis, donc l’éducation est extrêmement importante.

Anna, dont vous avez tatoué le prénom sur le bras gauche, ne grandira donc pas dans les dorures, le strass et les paillettes…

Non, parce que sa maman est quelqu’un de tellement bien et d’équilibrée… Sinon, ce milieu de la célébrité est quand même pesant, c’est un peu une angoisse ! La peopolisation me dégoûte (silence).

Quant à vous, vous êtes tributaire d’une image qui ne correspond pas à ce que vous êtes vraiment…

Je sais. Un jour, un type m’a dit :  » C’est marrant, un journaliste qui écrit sur le basket, a exactement le même nom que toi.  » C’était moi… Si l’on me prend pour le prince de Saint-Germain-des-Prés, je ne peux rien y faire ! Je ne me suis jamais dit que j’y étais arrivé, qu’un quelconque objectif était atteint, bon, si j’écris LA chanson incroyable, je péterai un peu les plombs pendant trois ou quatre semaines, mais ce n’est pas encore arrivé (rires) !

Comment considérez-vous la chanson française telle qu’elle était en 1973… l’année de votre naissance ?

Je ne peux pas blairer Le Forestier et Polnareff, mais j’ai une faiblesse pour Brel. Il y a une impudeur chez lui qui me dérange beaucoup. Voir des images de lui en scène, le regarder se jeter contre les murs, cela me fait mal. Juliette Greco ( NDLR : avec laquelle Brel a travaillé) m’en a beaucoup parlé, et elle en parle comme s’il était toujours là. Il faut être con pour ne pas se rendre compte de son immense talent, même si Ne me quitte pas est la chanson la plus dégueulasse de tous les temps. Je préfère Avec le temps de Ferré.

Qu’est-ce qui vous séduit chez une femme ?

Difficile à dire, là, il y en a aucune qui me plaît (B.B. passe en revue des photos de tops glamour, puis s’arrête sur un cliché de Condoleezza Rice, la secrétaire d’Etat américaine) ! Rien à foutre de ces meufs ! Je ne pense pas beaucoup de bien de Madame Rice, mais comme c’est une femme, c’est difficile de lui rentrer dans le lard sans être traité de sexiste. C’est sa pensée qui me dégoûte. Et tout ce qui se passe en France actuellement – du point de vue politique – me dégoûte profondément. Les Français sont les premiers à faire la morale au monde entier, à critiquer les Italiens quand ils ont élu Berlusconi ou à ricaner devant l’élection de Bush Jr et là, boum ils mettent un néo-conservateur au pouvoir !

Vous étiez engagé au PS, non ?

Oui, mais je ne suis pas manichéen, je reconnais des qualités à des hommes politiques de droite.

Ségolène Royal a-t-elle été victime du sexisme ?

Non, elle n’avait absolument pas le niveau et a fait un coup d’Etat dans un parti qui ne fonctionne pas comme cela. Elle a conchié toute la culture socialiste pendant cette élection. Et elle a fait l’éloge de la peopolisation : Ségolène Royal est très connue pour sa célébrité !

Votre manageur… est une femme.

Mon avocate aussi, mon administratrice aussi, la coproductrice de mon dernier disque également. Mais je ne fais aucun distinguo entre les hommes et les femmes sur leurs compétences…

Vous faites chanter les femmes, entre autres, Juliette Gréco, Keren Ann, Françoise Hardy, et la dernière en date, Elodie Frégé ! Dans votre travail, les femmes et les hommes, en quoi est-ce différent ?

Les femmes atteignent des notes que les hommes ne peuvent pas atteindre, dégagent une lumière qu’ils ne peuvent pas émettre. Et puis, elles changent complètement la production d’un disque, on ne peut pas faire  » patapa pschii « , un break de batterie qui finit par une crash, parce que la fréquence de l’instrument va annihiler celle de la voix de femme ! C’était une expérience exceptionnelle – à plusieurs titres – d’écrire et de produire en partie, le disque d’Elodie Frégé ( NDLR : gagnante de la Star Ac 3)… Eh non, ce n’est pas du tout ce que les tabloïds en ont dit (silence). C’est une grande interprète qui possède un truc rédemptoire : elle avait une image de merde et elle en est sortie complètement différente ! C’est une personne et une musicienne remarquables. Elle est disque d’or maintenant…

Comment vous voyez-vous à 60 ans ?

Je dirais que je préférerais être Bill Murray que Rod Stewart (B. B détaille une photo de Bill Muray en peignoir, mal rasé, dans une chambre d’hôtel et puis une autre de Rod Stewart, pimpant et en galante compagnie à Palm Beach). Mais je ne sais pas comment il vit Bill Murray, à l’intérieur…

Quelles sont vos priorités dans la vie ?

Un, ma fille. Deux, ma musique. Trois, les femmes…

(*) CD  » Trash Yéyé « , le 10 septembre prochain chez EMI. En concert le 30 octobre prochain au Botanique, à 1000 Bruxelles. Internet : www.botanique.be

Propos recueillis par Philippe Cornet

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