Durant tout l’été, Le Vif Weekend zoome sur de grands photographes et leur vision de la femme. On poursuit la série avec la sulfureuse Bettina Rheims qui, dans les années 1980, entreprend de mettre à nu le mystère charnel de ses contemporaines.

Sur la droite, un lourd rideau de velours, on le dirait sorti d’un tableau de Vermeer, Allégorie de la Peinture. La lumière, aussi, savant mélange de celle, crue et stridente, qui ne pardonne aucun mensonge, et de celle, intimiste et veloutée, sans doute inventée pour les palaces old style. Jolie métaphore d’une rare Catherine Deneuve trompant sa froide beauté d’un bas résille parfaitement érotique, d’une épaule terriblement fatale et d’un regard tiède et ambigu, comme une première nuit.

Manches chauve-souris, jupe étroite, cheveux brushés, Working Girl, nous y sommes : c’est 1988 en plein, hôtel George V, Paris, beaux quartiers. Deneuve, une des premières célébrités – il y en aura beaucoup – à prendre la pose pour la jeune Bettina, est là, face à l’objectif parce que, simplement, elle aime ses photos,  » tendres, sans mièvrerie, pleines d’une douceur qui n’est jamais condescendance, ou mollesse. Elles possèdent aussi une certaine dureté, qui n’est ni amère, ni gratuite, ni méchante « , explique l’actrice en préface de Female Trouble, un premier album rassemblant dix ans de portraits de femmes capturés entre 1979 et 1989.

Dans ce portfolio en forme d’ode à la féminité, où, déjà, s’écrit toute la démarche de mise à nu du mystère charnel qui fait la signature Rheims, on trouve des strip-teaseuses acrobates, corps tordus, chair plissée, des beautés très nues, cigarette au bec, regard franc. Et puis des stars, donc, des Charlotte Rampling, des Vanessa Paradis un peu plus habillées, mais peu importe, l’essentiel n’est pas là, tous ces clichés célèbrent la charge érotique des filles d’Eve, les racontent dans toute leur sensualité. Sans pudibonderie. Mais toujours avec empathie et une rare complicité avec ses modèles. Un truc de bonne femme, sans doute. Ou d’ex-mannequin, qu’elle fut entre autres métiers – elle tâte du journalisme et travaille dans une galerie d’art avant de tout donner à la photographie, fin des années 1970, elle a 26 ans, première @expo à Beaubourg à 29.

En germe, il y a là Chambre Close, série mondialement culte imaginée au début des années 1990 avec l’écrivain Serge Bramly, le père de son fils. Le pitch : des chambres d’hôtels, pas très George V, plutôt bouge cracra tout en papier peint défraîchi, où s’exhibent aux yeux d’un voyeur baptisé Monsieur X, des Suzanneet les vieillards, en version peu farouches. Toutes anonymes, approchées dans la rue. On peut s’arrêter paresseusement à l’esthétique porno vintage qui suinte de ces murs décatis. On peut attendre que l’émotion naisse de ces corps forts et fragiles donnés en pâture aux pupilles, se laisser doucement déranger par la somme de transgressions qu’elle convoque et comprendre que l’humour n’est pas loin, dans ces mises en scène du fantasme universel. Ce que n’ont certainement pas toujours compris ses détracteurs, ne voyant dans le travail de cette photographe fallacieusement limitée à son étiquette  » glamour « , qu’un vulgaire exercice racoleur. Car même dans ses portraits des  » people of the world « , de Vanessa Paradis en lolita boudeuse croquant des chips sur un lit à Monica Bellucci léchant son index après l’avoir trempé dans ses pâtes au Heinz Ketchup, s’il y a provocation, elle est toujours juste. Bien tapée. Et finalement tristement drôle, voire carrément tragique.

Retrouvez, la semaine prochaine, les années 1990, avec Peter Lindbergh.

Baudouin Galler

 » Tous ces clichés célèbrent la charge érotique des filles d’Eve. Les racontent dans toute leur sensualité. Sans pudibonderie. « 

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