Comment notre capitale est-elle racontée aux touristes ? Pour le savoir, on est monté à bord du fameux bus rouge qui traverse ses lieux clés. On a regardé, on a bien écouté, et on a même papoté avec quelques visiteurs venus du Brésil, du Canada, d’Allemagne ou d’Inde. Verdict : très instructif !

Une journée de printemps plutôt fraîche. Ce matin-là, les gens s’agglutinant autour de l’Atomium n’ont ni sorti leurs shorts, ni les tee-shirts  » I Love Brussels  » achetés à l’échoppe du plus majestueux des symboles bruxellois. Les marchands de gaufres chaudes ne s’en plaignent pas : il n’est même pas 10 heures du matin, et leurs camionnettes attirent déjà quelques estomacs. On ne cessera de le constater tout au long de la journée : le touriste est gourmand, ne rechignant jamais à goûter tout ce que les guides vantent à propos de notre capitale : ses frites, ses moules, ses bières, ses pralines et… ses gaufres au sucre – option chantilly et chocolat pour les plus affamés, surtout qu’en vacances, tout se mange. Des clichés ? C’est précisément ce qu’on a voulu vérifier. Si Bruxelles n’était pas expliquée aux touristes par le seul biais de ses évidences culinaires et de son Manneken-Pis. Si elle pouvait raconter à ses hôtes des histoires ou des anecdotes qui surprendraient un Bruxellois lui-même…

LE TEST DU GARS PERDU

Oublions les 40 minutes d’attente devant l’arrêt de l’Atomium (la fréquence des bus a été diminuée ces dernières semaines en raison du ralentissement touristique – prévenir aurait été plutôt charmant). Et passons sur le fait que, décidément, les écouteurs offerts aux passagers dans ce genre d’excursion sont les plus inconfortables jamais élaborés : ça, c’est valable pour tous les véhicules à double étage de la société espagnole City Sightseeing, active depuis 1999 dans près de 35 pays (plus de 100 villes) du globe. L’étage du haut, vu le ciel dégagé, est parfait pour entamer la balade à bord de ce grand bus rouge –  » official tour « , s’il vous plaît – où tous les selfies sont permis. Flash-back en 1958, à l’époque où fut bâti le colosse à neuf sphères représentant un cristal de fer agrandi 165 milliards de fois. Cette année-là, Bruxelles accueillait pas moins de 42 millions de visiteurs pour  » son  » Exposition universelle (l’audioguide ne le dit pas, mais c’est deux fois plus que la récente Expo universelle de Milan…), chamboulant complètement le paysage urbain pour libérer un espace considérable aux voitures.

A peine plus loin sur le trajet, en traversant Laeken, il est question de… trams. On apprend que Bruxelles possède l’un des réseaux de tramways les plus vastes du monde. Mieux : un modèle daté de 1952 aurait même été vendu il y a quelques années à la ville de San Francisco, où il coulerait des jours heureux sur une ligne très fréquentée de la belle cité californienne. Etonnant. Tout comme ce petit commentaire lâché quelques minutes plus tard par notre guide sonore, entre deux étapes :  » Ici, à Bruxelles, ayez l’air perdu, et vous verrez qu’un sympathique habitant vous viendra en aide.  » On ne dit pas que c’est faux. Mais disons qu’a priori, on a l’impression qu’il existe des villes où c’est un peu plus vrai. Par précaution, une fois dans le centre-ville, nous demanderons l’avis d’un couple de touristes venus d’Inde :  » Les gens sont accueillants, souriants et très serviables ! « , clament-ils avec une sincérité qui nous a laissé sans voix…

LA CHASSE AUX BULLES

On aurait aimé prendre le temps d' » avoir l’air perdu  » pour approfondir cette intense analyse sociologique. Mais on a préféré remonter dans notre bus rouge qui, au passage, s’est félicité de nous dire que Bruxelles avait à la fois vu naître Audrey Hepburn et… Jean-Claude Van Damme. Ce n’est pas rien. En passant par la rue Dansaert, notre audio-guide évoque le prestige des enseignes de shopping, de design et de restauration, à découvrir en flânant dans un quartier qui attire  » des créateurs du monde entier « . Devant l’Académie royale des beaux-arts, on nous rappelle que René Magritte, Paul Delvaux et même Vincent Van Gogh ont étudié sur les bancs de cette école réputée. Et bien sûr, le célébrissime parcours BD, qui orne des murs entiers de la capitale, est fortement conseillé aux passagers du bus, même si on l’entrevoit brièvement durant la promenade. Pour le Bruxellois, ce n’est pas vraiment une surprise : la petitesse des rues du centre et la récente création du piétonnier (dont il n’est nullement fait mention dans les écouteurs…) obligent les visiteurs à user de leurs gambettes.  » Et ce n’est pas plus mal, avoue une famille de Canadiens venue dire bonjour à leur fille en parenthèse Erasmus. Avec toutes les bonnes bières qu’on croise sur notre route, on peut bien brûler quelques calories !  » Ceci vérifiant très clairement ce que l’on observait en début d’excursion… on ne se trompe pas à chaque fois.

EN IMMERSION

L’histoire avec un grand H n’est pas oubliée. Celle de Bruxelles, mais aussi celle de la naissance de la Belgique, les 19 communes, le bilinguisme ou la  » région  » germanophone (ce n’est pas une Région, mais une Communauté – aucun visiteur ne tiendra rigueur de cette bévue, mais nous, on se souvient soudainement de notre prof qui insistait beaucoup là-dessus). Et il faut s’incliner : plus les escales s’enchaînent, plus on a l’impression d’être des touristes parmi d’autres, explorant les facettes d’une ville qu’on connaît finalement un peu moins bien qu’on ne le pense. Certes, on a droit à quelques bizarreries en cours de route. Quand l’audio-guide parle du site de Tour & Taxis, celui-ci est caché au loin entre deux immeubles. Et lorsqu’il évoque la beauté du Jardin botanique, les touristes tentent en vain de l’apercevoir derrière les arbres qui bouchent la vue. Et c’est vrai, il faut le dire : certaines parties du trajet ne sont pas forcément dignes d’un tableau de Brueghel – un peintre né et mort à Bruxelles, ne croyez pas que l’on choisit nos métaphores au hasard.

En dehors de ces quelques bémols, les leçons dispensées par notre beau bus possèdent plus d’un atout dans leur besace. Ainsi, on est ravi de découvrir qu’il existe  » plus de 1 000 musées  » dans notre ville, et que celui des… égouts constituera une manière originale d’appréhender Bruxelles, même si le panorama n’est pas terrible. Face à la basilique de Koekelberg, on est même absorbé par l’histoire de Léopold II qui, suite à une petite excursion à Paris, a eu l’idée de bâtir son Sacré-Coeur à lui, mais en lui donnant des dimensions encore plus grandes, faisant de son oeuvre l’un des édifices catholiques les plus imposants du monde. Dans le centre, on se réjouit d’être enfin éclairé sur le passé du quartier Saint-Géry : aujourd’hui devenu le lieu phare des accros de l’apéro et des soirées d’été en terrasse, il constitua jadis le berceau de Bruxelles, formant une île de la Senne où battait le coeur religieux, puis marchand, de la future capitale belge. Une île qui était recouverte de milliers… d’iris, fleur qui est devenue le symbole de la ville.

En tant que saints patrons de notre capitale, saint Michel et sainte Gudule ont aussi voix au chapitre. Même si dans nos oreilles, on nous rappelle surtout que la gigantesque cathédrale est célèbre pour ses faucons pèlerins qui, chaque printemps, viennent installer leur nid au sommet de la plus haute tour. Une caméra est braquée sur eux, histoire de pouvoir suivre leur quotidien depuis des écrans installés sur le parvis. De là à dire que les Bruxellois sont encore plus forts que les producteurs de télé-réalité… Un peu plus bas, du côté du boulevard Anspach, le superbe bâtiment néoclassique de la Bourse intrigue forcément. D’abord par les hommages aux victimes des attentats, rédigés à la craie sur chacune de ses façades. Ensuite par l’info étonnante délivrée aux touristes : le lieu est vide depuis belle lurette, mais un palais de la… bière y prendra ses quartiers en 2018. Un ancien poumon de la finance transformé en hommage au houblon local : voilà sans doute la plus belle histoire belge narrée par notre sightseeing.  » On sera donc obligés de revenir ! « , lâchent sans surprise nos amis canadiens…

LE PETIT ET LA GRANDE

Impossible, bien sûr, d’achever ce parcours sans aller faire un petit coucou à deux de nos plus grandes fiertés : la sublime Grand-Place, et le valeureux Manneken-Pis. La première possède tant de bâtiments et d’historiettes qu’elle mériterait un long tour en bus à elle toute seule – rendez-vous chez Visit Brussels pour se procurer une brochure détaillée. Le second, lui, est décrit comme il se doit : un ket dont l’histoire remonte au XVe siècle, qui symbolise l’indépendance du pays et dont les quelque 900 costumes (qui doivent chacun être validés par un comité spécial et ne comporter aucun signe religieux ou politique) sont visibles dans le musée de la Grand-Place. On y apprend aussi que la fontaine, lors de la fête estudiantine de la Saint-V, ne déverse plus de l’eau, mais bien de la bière. Les Canadiens, curieusement, n’ont fait aucun commentaire. Un jeune couple en provenance de Berlin, lui, n’a pas manqué de s’étonner du fait que la statue  » était plus petite que ce qu’ils avaient imaginé « . Un peu comme tout Bruxellois qui l’a vue pour la première fois, en somme. Preuve définitive que, touristes ou non, on regarde tous la ville de la même façon, c’est-à-dire en l’admirant de ses propres yeux. Une méthode infaillible pour découvrir les petits recoins ou les surprises qu’aucun commentaire audio ne pourra jamais raconter. Ayez l’air perdu, et vous verrez qu’un Bruxellois vous dira tout ce que vous voulez savoir, et même plus encore…

https://visit.brussels/fr

PAR NICOLAS BALMET

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