Dans un roman graphique pudique et plein d’humour, l’illustratrice new-yorkaise Marisa Acocella raconte son combat et sa victoire contre le cancer du sein. Une bédé événement, en passe d’être adaptée au cinéma et qui est d’abord une belle leçon de vie.

Avant, elle avait tout de la  » it girl « . Un boulot  » fa-bu-leux  » d’illustratrice au New Yorker. Des  » MAV  » – abréviation dans le coup de meilleurs amis pour la vie – aussi hype qu’elle, tous galeristes, stylistes ou journalistes. Un amoureux, patron d’un resto branché dans Greenwich Village. Et prêt à l’épouser. Le genre de fille à faire des envieux. A l’aise dans un 34 comme dans des mules Louboutin de 12 cm de hauteur. Et toujours en bonne place dans les soirées où il faut se montrer.  » Cette femme frivole, en quête perpétuelle du dernier accessoire fashion, dingue de maquillage, c’était moi, B.C., autrement dit avant le cancer « , raconte Marisa Acocella Marchetto, au fil des bulles d’un roman graphique qui s’est déjà vendu à plus de 100 000 exemplaires aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Désormais traduit en français, le livre a séduit Cate Blanchett qui en a acquis les droits pour le cinéma et jouera elle-même le rôle de Marisa dans un film qui sortira l’année prochaine

De passage à Paris pour assister à la vente aux enchères de dessins originaux tirés de son ouvrage au profit de la recherche contre le cancer, Marisa nous a parlé avec tendresse, punch, drôlerie même parfois, de ces  » 11 mois, 29 seringues, 9 kilos en plus, 9 infirmières, 8 médecins, 2 rabbins, 1 prêtre et une facture de plus de 140 000 euros  » qui ont changé sa vie à tout jamais.  » J’ai trop longtemps été en quête de validation superficielle, confie-t-elle. Je pouvais passer des heures à me ronger les sangs en pensant à une personne qui me voulait du mal plutôt que de me focaliser sur toutes celles qui me voulaient du bien… et que pourtant je négligeais pour me préoccuper de choses futiles. C’est tellement facile de se laisser aller à envier les autres, à comparer notre vie à la leur. J’essaie aujourd’hui de privilégier ce qui me fait du bien, même si je dois reconnaître que je n’y arrive pas toujours. « 

Tout commence en mai 2004. Marisa qui s’était rendue chez son généraliste pour une vulgaire grippe, doit faire face à un tout autre diagnostic. Elle apprend alors qu’elle est atteinte d’un cancer du sein.  » Tout mon monde s’est écroulé, se souvient-elle. Quand on vous annonce un truc pareil, vous ne pouvez pas vous empêcher de chercher la  » cause « . Ce que vous auriez bien pu manger, boire, porter, respirer. Ces questions en appellent d’autres : vais-je garder mon sein, mes cheveux ? Pourrai-je un jour avoir un bébé ? Et si mon fiancé me quittait ? Une spirale infernale. « 

Pour tenter de faire face, Marisa s’arme alors du MAV sur lequel elle peut, à coup sûr, compter le plus : son stylo 3.5 préféré.  » J’ai imaginé les cellules cancéreuses comme d’affreuses petites créatures vertes qui me tiraient la langue et me faisaient un doigt d’honneur, poursuit la jeune femme. De les voir, là, devant moi, cela m’a fait sourire. C’est comme un réflexe de survie. Quand vous riez de quelque chose, vous arrivez à dédramatiser ce qui vous fait peur. J’étais toujours terrifiée mais mieux à même de surmonter ce qui m’attendait. « 

Quand la rédactrice en chef de Glamour demande à Marisa de raconter son cancer en cartoons, elle hésite un brin avant de se jeter à l’eau.  » D’un coté, je n’étais pas sûre de vouloir m’exposer à ce point. Mais je sentais aussi que c’était une bonne manière de faire face, explique- t-elle. La créativité, cela vous pousse à vivre.  » Comme pour conjurer le sort, Marisa n’a jamais imaginé d’autre fin pour son aventure qu’un happy ending.  » Sur ma table de travail, il y avait cette esquisse qui, plus tard, est devenue la couverture du livre aux Etats-Unis : l’image d’une nana qui botte les fesses au cancer avec ses talons aiguilles. Peu à peu, je suis devenue cette fille.  »

A chaque rendez-vous, elle emporte avec elle tout son attirail de bédé journaliste : deux dictaphones – car d’expérience, il y en a toujours un qui vous lâche… -, un appareil photo, un carnet de croquis. Tantôt grave – quand elle craint de perdre l’usage de sa main droite -, tantôt frivole – elle met un point d’honneur à porter une nouvelle paire de chaussures pour chaque séance de chimio, histoire de détourner son regard de l’aiguille -, jamais mélo, même si la larme perle parfois au coin de l’£il de ses héros, elle parsème les étapes clés de cette aventure qu’elle est forcée de vivre, malgré elle, d’instantanés malicieux de la vie new-yorkaise.  » Quand vous êtes dans ce monde-là, où de nouvelles choses se passent chaque jour, vous êtes comme entraîné, vous ne savez plus où vous arrêter, constate-t-elle. Je suis plus heureuse aujourd’hui, je ne me sens plus obligée de courir derrière tout ce qui bouge. « 

Une slow attitude à laquelle elle s’est initiée en inventant la  » carte cancer « , une carte de membre pas comme les autres qui permet, dès qu’on la sort, de décliner en toute simplicité dîners, déjeuners, brunchs et autres obligations sociales et familiales.  » Un club dont heureusement je ne suis plus membre aujourd’hui « , sourit-elle, même si, via les conférences qu’on lui demande d’animer et les blogs qu’elle tient sur le Net, elle ne peut s’empêcher d’encore s’en sentir proche.  » Puis-je vous demander de faire passer un message ? martèle-t-elle encore. Si on détecte un cancer du sein à un stade précoce, on augmente les chances de s’en sortir sans préjudice. Dites aux femmes de faire une mammographie chaque année. « 

Pour aider celles qui, dans son pays, n’ont pas accès aux soins de santé aussi aisément qu’en Europe, Marisa a d’ailleurs créé une fondation, le Cancer Victim Fund, alimenté en partie par les revenus de son livre.  » Aussi, n’allez jamais seule aux rendez-vous, car ce que l’on va vous dire va vous passer au- dessus de la tête, ajoute-t-elle encore. Demandez l’autorisation d’enregistrer pour pouvoir réécouter tout cela ensuite. Voyez plusieurs médecins, jusqu’à ce que vous trouviez… chaussure à votre pied.  » Marisa rit de son analogie.  » Que voulez-vous, chez moi, c’est de naissance, ma mère était designer de chaussures. Elles me font autant de bien que les petits fours, les calories en moins.  » Elles l’ont aussi aidée à botter son cancer, à sa manière.

Cancer and the City, éd. L’Oconoclaste, 212 pages.

Isabelle Willot

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