L’Anversois réalise des photos de pub et des clips vidéo, met en scène des défilés de mode et présentera bientôt son premier film rock. Rencontre avec un homme pour lequel l’expression  » artiste boulimique  » semble avoir été inventée.

Le crépuscule des dieux (ou Götterdämmerung en allemand) est le titre d’un célèbre opéra de Wagner. A une lettre près, c’est aussi le nom de la dernière création de Bjorn Tagemose, Gutterdämmerung, un concept global tout à fait original reposant sur une distribution impressionnante – Grace Jones, Iggy Pop, Jesse Hughes, des Eagles of Death Metal, Henry Rollins et Lemmy de Motörhead, décédé fin 2015, y figurent notamment. Il s’agit en réalité d’un film muet, accompagné par un orchestre en live. L’histoire ? L’ange Iggy Pop envoie une diabolique guitare de hard rock sur Terre, où le grand prêtre Henry Rollins et une Grace Jones démentielle mènent la danse…  » C’est complètement cinglé « , commente Jesse Hughes.  » Ça fait penser à La légende de Beowulf « , estime Iggy Pop, faisant référence à ce grand opus de fantasy signé Robert Zemeckis…

Nous rencontrons le cinéaste dans son bureau, à Anvers, où il nous raconte la genèse de son projet musical,avec l’enthousiasme d’un gamin :  » L’idée m’est venue en bossant sur un court-métrage de sept minutes pour The Hives, en guise d’introduction à leur concert. Ça a été si bien accueilli que leur manager m’a dit :  » Si tu fais la même chose en long, je te soutiens et nous monterons un spectacle en Allemagne.  » Je n’étais pas sûr d’oser. A l’époque, je travaillais déjà avec Grace Jones et Juliette Lewis, qui m’ont toutes deux dit de me lancer.  » Le Belgo-scandinave décide alors de foncer et fait la connaissance d’Iggy Pop par l’intermédiaire de Grace Jones.  » Il m’a dit que j’étais fou de vouloir bosser avec une telle distribution, se souvient Bjorn. Iggy, lui-même complètement déjanté, qui me traitait de dément ! En voyant le story-board, il l’a tout de suite trouvé dingue et a accepté ma proposition.  » L’homme démarchera ensuite Henry Rollins qui, en grand fan d’Iggy Pop, se laissera vite convaincre. En un rien de temps, son affiche de rêve sera constituée.

 » LE SENS COMMERCIAL  »

Avant d’étudier la photographie, Bjorn Tagemose a suivi une formation en marketing. Un parcours de prime abord atypique, mais qu’il justifie logiquement :  » Mon père biologique, qui était danois, était peintre, tout comme ma mère. Mais mon beau-père, suédois lui, était économiste. Il disait que beaucoup de grands artistes réussissaient grâce à leur sens commercial. Je lui serai éternellement reconnaissant de m’avoir ouvert les yeux. Quand je suis arrivé à l’académie, on me considérait avec méfiance parce que j’avais fait ce genre d’études. Pourtant, dans les pays scandinaves, les artistes ont souvent un bagage économique !  »

L’homme a dès lors rapidement appris à slalomer avec efficacité entre art et business.  » Un film en noir et blanc avec des stars du rock, ce n’est pas ça qui me fera gagner des sommes hollywoodiennes, avoue-t-il. Mais moi et ma femme Katarina, qui s’occupe généralement de la production, n’avons pas honte de le dire : nous vivons avant tout des pubs que nous créons. C’est un travail très balisé, avec un script dont on ne peut pratiquement pas s’écarter. Mais ça ne nous dérange pas.  » A son tableau de chasse notamment : des spots pour Adidas, avec de grandes figures du sport telles que David Beckham et le coureur éthiopien Haile Gebreselassie.

 » UN TRUC DE FOU  »

Ses activités dans la sphère fashion, c’est à Walter Van Beirendonck qu’il les doit.  » C’est à mes yeux l’homme le plus universel de Flandre. Il oeuvre à la fois dans la performance et la mode, il est commissaire d’expos phénoménales… Il avait besoin d’un photographe, et comme j’avais shooté quelques-uns de ses étudiants, il s’est adressé à moi. J’ai pu couvrir l’un de ses défilés et ça s’est bien passé. C’est comme ça que l’aventure a commencé.  » Si ses clichés vont souvent au-delà de la photographie de mode traditionnelle, Bjorn Tagemose refuse de se qualifier d’artiste.  » Les images publiées dans les magazines visent à faire vendre des pantalons et des chemises, rappelle-t-il. J’ai conçu une vidéo pour le lancement de la version française de Vanity Fair, qui m’avait choisi à la place de Mondino, mais ce genre de travail n’a aucune finalité artistique. Il s’agit seulement de marketing, même s’il est vrai que j’essaye de toujours mettre une touche personnelle. J’ai mis au point un clip pour Les Inrockuptibles – une nana avec un lance-flamme sur une caravane, un truc de fou. C’est ainsi qu’Axelle Red m’a contacté, car elle avait adoré.  »

 » PRESQUE CALVINISTE  »

Avec ces multiples cordes à son arc, l’Anversois ne se laisse donc enfermer dans aucune case. Des shootings de mode, il en a fait. Des vidéos pour The Hives, Juliette & The Licks, Axelle Red et Kane, idem. Des décors lumineux pour David Guetta, dEUS et Tiësto, check également !  » Quand j’ai commencé, le secteur était encore très fragmenté : on était photographe culinaire ou fashion. Pour ma part, j’étais un touche-à-tout et à l’époque, on voyait ça d’un drôle d’oeil. Je n’ai pas voulu faire de choix et j’ai bien fait ! C’est ce qui explique mon succès fulgurant de ces dix dernières années « , analyse le concepteur qui pose toutefois un regard assez humble sur son parcours.  » Je ne pense pas avoir un ego démesuré. Je sais faire abstraction de moi-même. Je n’ai jamais mis en avant le fait que je travaille avec les grandes stars.  » Pendant très longtemps, il a même hésité à indiquer son nom au générique de Gutterdämmerung.  » Mon agence de relations publiques a vraiment dû me convaincre, car pour moi, le nom du film suffisait. Je n’ai jamais eu de page Facebook. Mes projets, c’est au bouche-à-oreille que je les dois.  »

Concrètement, les réalisations de Bjorn Tagemose affichent un caractère minimaliste qui témoigne de ses origines scandinaves. Dans Gutterdämmerung, qui sera visible en juin prochain, cela donne une photographie en noir et blanc  » presque calviniste « , comme le cinéaste la qualifie lui-même.  » Je tends toujours à épurer mon travail au maximum, précise-t-il. Mon filmcontient de nombreuses références à l’art flamand, à Van Eyck, aux oeuvres exposées au musée Groeninge ou à la Maison de Rubens… Voilà ce que j’aime.  » Son grand rêve serait de monter un jour un spectacle de danse ou un opéra, quand ses finances le lui permettront…  » Gutterdämmerung s’en approche déjà beaucoup. C’est à la fois du théâtre et un spectacle de rock « , conclut-il.

PAR MICHAËL DE MOOR

 » JE NE PENSE PAS AVOIR UN EGO DÉMESURÉ. JE SAIS FAIRE ABSTRACTION DE MOI-MÊME.  »

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