L’effeuillage burlesque fait se dénuder depuis quelques années les secrétaires, institutrices et femmes d’affaires de Paris, Londres ou New York. La Belgique semble moins décidée à faire tomber le jupon. Quoique…

Regarder son mec zieuter une strip-teaseuse… ou en devenir une. Telle était la question. Longtemps. Et la réponse dépendait parfois du nombre de centimètres de vos jambes, des kilos qu’indiquait votre balance ou de la lettre imprimée sur la petite étiquette de votre soutien-gorge. Ce temps-là est révolu. Dita Von Teese et autres Bettie Page sont venues traîner leur guêpière dans le coin. Elles ont mis le strip-tease classique au frigo pour en ressortir un plat (parfois) moins chaud mais (souvent) beaucoup plus rigolo : l’effeuillage burlesque. Remis au goût du jour aux États-Unis dans les années 90, le mouvement rend hommage aux spectacles légers des cabarets parisiens. D’abord underground, il s’est hollywoodisé avec des films comme Tournée de Mathieu Amalric, primé à Cannes en 2010, ou Burlesque, avec Cher et Christina Aguilera. En deux ans seulement, une cinquantaine d’artistes sont apparus en France, selon le webzine Beburlesque.com. En Belgique, on les compte sur les doigts d’une main. Et encore…

SASHA VS MARILYN

Effeuillage burlesque. Le mot est barbare, on vous l’accorde. La réalité est plus colorée, vous verrez. On y parle Moulin Rouge et paillettes fuchsia. On y adule les pin-up des années 50. On y prend même des cours en bas résille et talons hauts, comme ce dimanche à Liège, où une dizaine de jeunes filles suivent l’atelier  » Mon moment glamour  » de Miss Lolly Wish. Ici, personne n’arbore les 83-61-83 d’une Sasha Pivovarova ou autres tops qu’on voit défiler sur les podiums. Personne. Pas même la prof, qui a la chevelure platine de Jayne Mansfield, les lèvres roses de Betty Boop et la poitrine bombée de Marilyn. Ici, on apprend les bases du maintien. Pas celui qu’on vous inculquait petite, à table, deux annuaires téléphoniques calés sous les coudes pour les garder serrés. Non. Celui où on penche le poids du corps sur une fesse, jambes croisées, pour  » casser la raideur du corps « . Niveau souffrance, finalement, on préférait peut-être les bottins. Niveau sexy attitude, on y gagne, c’est certain.

Ce dimanche de mai, nous assistons donc au cours numéro deux. Encore habillée. Perchée sur ses escarpins à plateau, Miss Lolly Wish articule chacune des syllabes qui sortent de ses lèvres framboise. Len-te-ment. Dis-tin-cte-ment. Dans la salle, de grands miroirs tapissent les murs et tout est à conjuguer au superlatif. Les cheveux des filles sont très noirs, profusément blonds ou sanguinairement orange. Assises en rond sur des chaises au look rétro, jambes croisées, dociles, elles calquent leurs gestes sur ceux, gracieux, de leur aînée. Du coup, quand cette dernière stoppe net, la salle semble figée. Puis tout s’accélère. Miss Lolly écarquille ses yeux verts. Son teint pâle s’empourpre. Elle hausse le ton et pointe une chaussure dans l’assemblée :  » Attention Angie, ton voisin d’en face n’a pas envie de voir ta grosse semelle qui a flâné dans la rue toute la journée. Ce n’est pas joli « , assure-t-elle en faisant une génuflexion qui ne semble lui demander aucun effort, mais qui produit une impression certaine sur les miss novices. C’est que, pour Miss Lolly,  » l’élégance part des pieds et va jusqu’au bout des doigts, en passant par les épaules et le port de tête « . On comprend donc pourquoi Angie remet en place son peton. Promptement. Elle a 24 ans. Pour elle, ces cours sont une sorte de thérapie. Ses cheveux en rasta sont tirés vers l’arrière, laissant apercevoir ses tempes rasées. Elle porte une robe à pois, une dizaine de piercings et autant de tatouages. Son but ?  » Je veux monter sur scène. J’ai beaucoup de mal avec le regard des gens dans la rue. Je voudrais m’exposer et plaire pour pouvoir leur dire : « Vous voyez mes piercings ? Mes tatouages ? Ça peut être beau aussi ! » « , explique la jeune fille, qui n’aurait peut-être jamais eu l’occasion de fouler les planches si le burlesque n’était pas réapparu, après avoir été remisé au placard pendant des années par le strip-tease classique.

STRIP VS TEASE

La différence entre les deux disciplines ? Le burlesque aborde les choses de façon plus légère, plus coquine, plus détournée. Centré sur le tease (titiller), plus que sur le strip (se déshabiller), le burlesque fait davantage appel au sensuel qu’au sexuel. Il se destine à tous. À vous. À la voisine du dessous. Enfin, sauf si vous habitez la Belgique, parce qu’ici, le mouvement a tardé à s’implanter. Et, alors que les Mademois’Elles and Him tentent passionnément de monter des spectacles à Namur, la Flandre, elle, est déjà plus avancée.  » Certes, nous avions un peu de retard si on se compare à la France ou aux Pays-Bas, mais je crois que nous avons bien rattrapé le temps perdu. Le burlesque gagne du terrain, il y a de plus en plus de spectacles et d’artistes qui se lancent « , affirme Jill Mathieu, alias Blanche La Revanche, membre du duo Les Rebelles, qui forme à Anvers des mistinguettes désireuses de dénuder publiquement leurs gambettes.  » Nous avons commencé la scène il y a deux ans en organisant un concours de burlesque pour dénicher de nouveaux talents.  » L’une d’elles, qui préfère garder l’anonymat, a été repérée en janvier 2011. À 26 ans, elle est guide dans un musée d’Anvers. En tout cas, la plupart du temps. Parce que, sous le nom de Géraldine Grace, elle devient le temps d’une soirée actrice, pin-up ou petit rat de l’opéra. Elle enfile alors son corset, ajuste son tutu et chausse ses ballerines. Puis déchausse, désajuste et désenfile, une fois le rideau levé, devant un parterre d’hommes et de femmes amusés. Mais ne dites surtout pas à Géraldine qu’elle est strip-teaseuse, vous pourriez la vexer. La jeune néerlandophone se décrit plutôt comme  » une actrice qui enlèverait ses vêtements, mais de façon contrôlée. Être effeuilleuse burlesque, c’est un peu comme envoyer un clin d’£il sensuel au public. À la base, c’est bien une sorte de strip-tease. Mais on ne se dénude jamais totalement « . Les nippies, ces pastilles recouvrant le bout des seins, sont là pour garantir la bienséance. Et si certaines finissent par enlever leur (souvent) grande culotte, c’est seulement pour dévoiler un cache-sexe (souvent) pailleté. Elles n’iront pas plus loin. Autre différence de taille avec le strip-tease :  » Nous passons beaucoup de temps à élaborer nos costumes et à créer nos personnages. Une fois sur scène, nous racontons une histoire. L’important n’est pas de se mettre nue. L’important est dans la façon de se dénuder « , précise Géraldine.

TALONS HAUTS ET BAS NYLON

Mais le burlesque n’est pas une simple question d’effeuillage. C’est tout un mode de vie. On cultive un goût prononcé pour l’art et l’esthétique rétro. On s’habille chez Mademoiselle Jean ( lire encadré ci-contre). On suit les rendez-vous annuels, comme le Teasorama, et les trophées, comme celui de Miss Exotic World. On se rencontre dans la capitale à l’Archiduc ou chez Madame Moustache pour des soirées comme celles préparées par Bruxelles Burlesque Brussel, organisation de promotion culturelle et artistique du burlesque. Avec plus de 4 000 spectateurs enregistrés depuis la première représentation,  » le succès va grandissant « , selon l’organisation. Le moment phare du dernier spectacle ?  » Quand Lada Redstar a fini en reine des insectes. Elle portait des plumes de 1,50 m de hauteur en guise d’antennes et s’est déshabillée devant un public hystérique. C’était de l’érotisme à l’état pur « , décrit Patrick Ouchêne, cofondateur de la structure. Autres artistes invités : Minnie Valentine et George Bangable, surnommé point G, unique figure masculine au centre de la scène burlesque en Belgique et en France. Mais, pas de panique, si vous les avez loupés, vous pouvez toujours vous rattraper au prochain spectacle, qui aura lieu ce 17 juin chez Madame Moustache. Et, qui sait, peut-être vous découvrir une croustillante passion. En talons hauts et bas Nylon.

Pour toute autre information sur le burlesque : www.belfollies.com

PAR CORALIE RAMON

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