Cet hédoniste éclairé lutte depuis vingt ans contre la malbouffe à travers le mouvement Slow Food. Son association de gourmets militants compte aujourd’hui plus de 100 000 membres.

Carlo Petrini joue souvent à guichets fermés. C’était le cas au Bozar à Bruxelles, début mars dernier. Très fort de faire salle comble avec un tel titre :  » La défense et le droit au plaisir de l’alimentation « . Il faut dire que dans son registre, la conférence, le sémillant Piémontais manie les règles du jeu de scène avec talent : le geste est volubile – genre, je suis latin et je le reste -, l’humour souligné d’£illades complices, limite cabotines, le message fuse, clair, net, précis. Qui dit, en substance :  » La gastronomie peut sauver l’humanité « . Pas moins.

« Quand j’ai commencé à défendre cette idée, on m’a pris pour un fou « , raconte-t-il, tout en sourire flatteur et barbe rassurante, quelques heures avant son allocution. Même s’il tutoie rapidement, donne volontiers son numéro de portable, surtout ne pas s’arrêter à ses airs de bon copain de table. Carlo Petrini prend très sérieusement à c£ur son combat contre la malbouffe. Aujourd’hui, à en croire un classement établi en 2008 par le quotidien britannique The Guardian, le président de Slow Food figure parmi  » les cinquante personnes qui pourraient sauver le monde « .

Une mission qui passe entre autres par la dégustation d’une, voire deux trappistes de Rochefort à la brasserie à La Mort Subite quand il se trouve à Bruxelles. Non pas pour le plaisir un peu benêt de vivre un instant typique à l’étranger. Mais simplement parce que cette bière brune est un produit artisanal et local. Deux paramètres caractéristiques des  » pratiques vertueuses  » que l’Italien défend afin que  » tout le monde ait le droit de manger bon, propre et juste « . En clair : pour que chacun se fasse plaisir à un prix correct sans détruire la planète.

Cette lutte, plus que jamais inscrite dans l’air du temps, cet ancien soixante-huitard diplômé de sociologie l’a entamée au siècle dernier, déjà. Pour comprendre, il faut revenir au milieu des années 1980. Au cours d’un voyage en Bourgogne avec quelques amis £nophiles, Carlo Petrini est épaté par l’amour des paysans pour leur patrimoine agricole,  » le savoir impressionnant de ces intellectuels de la terre « . Il crée dans la foulée de ce  » pèlerinage initiatique « , l’association Arcigola  » pour défendre l’identité du vin piémontais et enrayer l’exode des viticulteurs italiens vers la FIAT, à Turin ; je voulais les convaincre de ne pas abandonner leurs vignes « . C’est un succès – la cote actuelle des barolo et autres langhe en constitue une belle preuve. Trois ans plus tard, énervé grave par l’ouverture d’un McDonald’s sur la place d’Espagne à Rome, il signe avec quelques convives un manifeste contre l’uniformisation du contenu des frigos, la surproduction aveugle et la mondialisation effrénée de l’alimentation. Au fast, il oppose le slow. A la vitesse, la lenteur. A l’abondance, la qualité. Slow Food est né. C’était en 1989à Actuellement, ce sont 100 000 gourmets militants qui £uvrent, à travers le monde à sensibiliser le public au patrimoine culinaire et à la sauvegarde des produits en voie de disparition.

Au fil des années, Petrini multiplie les initiatives. Comme le Salon du Goût à Turin, qui réunit chaque année des milliers de personnes, producteurs, cuisiniers et grand public pour  » réapprendre à manger « . Car  » beaucoup de gens ne savent même pas ce qu’ils ingurgitent. Certains enfants n’ont jamais vu de lapin autrement que congelés dans un frigo de supermarché. Cette ignorance fait peur. Chaque expérience gustative est une expérience culturelle. Il faut revaloriser le savoir de la nourriture. S’il n’y a pas de savoir, il n’y a plus de saveur « . D’où la création en Italie de deux Universités des Sciences gastronomiques dans le but d’armer d’arguments solides les experts de demain, capables de contrer les puissants lobbies de l’industrie agroalimentaire. Car, si le mouvement symbolisé par l’escargot trimballe une image inoffensive de club de bobos épicuriens, c’est bien l’anéantissement pur et simple de Coca-Cola et de McDo qu’il vise. Lentement. Mais peut-être, un jour, sûrement. En attendant, il reste la Mort Subite et la Trappiste de Rochefort.

Baudouin Galler

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