» Je pense qu’il est temps que nos chemins se séparent. La griffe Ann Demeulemeester est maintenant devenue adulte, avec une identité et un héritage propres. Elle peut continuer à grandir sans moi.  » Ces quelques mots, empreints de fierté retenue et de bienveillance presque maternelle, sont extraits d’une lettre de la main de la créatrice, datée de novembre dernier. Ni la fluidité apaisante des pleins et des déliés, ni la délicatesse du message n’empêchèrent alors la missive de claquer comme un coup de tonnerre dans le ciel serein de la planète fashion. Ainsi donc, après vingt-huit ans au cours desquels la Belge imposa une vision éminemment personnelle à travers ses défilés tout en imprimant de nouvelles orientations à la mode dans son ensemble, la fondatrice allait quitter sa maison…

Pour celle qui fut formée à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, tout avait commencé par un voyage, devenu mythique, à bord d’une camionnette déglinguée. Soutenus par le plan textile développé par la Flandre, elle et cinq potes juste sortis de la même école embarquaient pour Londres, où ils allaient présenter leur travail lors du British Design Show. Ils avaient en commun l’enthousiasme de la jeunesse, une passion pour le vêtement et une furieuse envie d’en proposer une autre conception, à la fois plus libre et plus structurée, plus énigmatique et plus épurée aussi. Les amis d’Ann s’appelaient Walter Van Beirendonck, Dirk Van Saene, Marina Yee, Dirk Bikkembergs et Dries Van Noten, la presse britannique eut tôt fait de remarquer leur talent,  » the Antwerp Six  » étaient nés. Ils allaient insuffler une aura internationale à la création noir-jaune-rouge et, au passage, mettre sens dessus dessous la garde-robe glamour et bien-pensante de la bourgeoise parisienne, à laquelle les stylistes destinaient jusque-là leurs collections.

Aujourd’hui, pour la seconde fois, l’heure du grand départ a sonné –  » une ère nouvelle est arrivée, aussi bien pour ma vie personnelle que pour la marque « . Cet automne-hiver 14-15, le vestiaire Ann Demeulemeester n’est donc plus dessiné par Ann Demeulemeester. Mais Sébastien Meunier, qui a intégré son équipe dès 2010 et qui a eu le temps d’assimiler ses codes, sait mieux que personne que le noir n’a rien de monochrome, que l’allure rock n’exclut pas la poésie, que force et fragilité vont parfois de pair et que l’on peut avoir pour référence Rimbaud autant que Patti Smith. A plus forte raison, que  » continuité  » et  » renouvellement  » ne sont pas antinomiques.

Delphine Kindermans

Tout avait commencé par un voyage, devenu mythique, à bord d’une vieille camionnette déglinguée.

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