Entre plages et montagnes, stations balnéaires et ports de pêche, réserves naturelles et sites archéologiques, mythologie et modernité, Chypre, éternel objet de culte, dévoile ses secrets. Ceux d’un bout de terre radieux au carrefour de trois continents.

Dans les magnifiques hôtels qui longent la Grande Bleue, le touriste peut partager ses loisirs entre soins thermaux, golf ou balade en bateau. Le tout dans une ambiance éminemment british : la conduite à gauche est de rigueur, les terrains de cricket sont omniprésents et les rues gardent encore leurs appellations typiquement londoniennes.

L’île qui a le mérite infini, outre son fabuleux ciel turquoise, de flotter gaillardement entre trois continents, a été de tout temps la proie d’assauts variés. Véritable relais entre l’Orient et l’Occident, Chypre, berceau d’un chapelet de cultes antiques, a attisé la convoitise des Perses et des Egyptiens, des Romains et des Arabes, des Génois et des Vénitiens, des Ottomans, et enfin des Anglais…

En période touristique, la population (700 000 habitants) est multipliée par trois. Avec plus de 2 millions de visiteurs en 1999, le tourisme, qui équivaut à 150 % de la masse des exportations, demeure une source de revenus inégalable. Un tourisme familial mais qui se veut haut de gamme. Ainsi, les hôtels 5 étoiles jalonnent les côtes chypriotes, rivalisant d’imagination dans le dessin de piscines qui évoquent tantôt des poulpes géants, tantôt des rivières enchantées.

Famagouste, occupée depuis 1974 par les Turcs, a perdu son rôle prépondérant au sein des stations balnéaires pour le céder à Larnaca. Celle-ci offre une promenade où l’on peut déguster en bordure de mer mezzés ou English Breakfast. Sagement alignés dans le port, des bateaux de croisière aux tons passés proposent des excursions vers la partie occupée du territoire. Sur la jetée, un flamant rose, irréel, semble guetter le cliché qui l’immortalisera.

Plus à l’ouest, Paphos, autre lieu de villégiature, truffé de pubs, de galeries marchandes et d’antres touristiques, avait séduit en son temps le poète Mallarmé. Sur le port, un fort médiéval dominé, érigé par les Lusignan en 1222, détruit au XVIe siècle par les Vénitiens et reconstruit par les Ottomans à la fin du même siècle. Il fit successivement office de prison, de mosquée et d’entrepôt de sel sous l’occupation britannique.

Le récit par la pierre

Les mosaïques de Paphos, véritables joyaux, remontent à l’époque hellénistique. Elles furent découvertes en 1962, lors de travaux de terrassement. Des fouilles scrupuleuses ont dévoilé les vestiges d’une demeure antique datant du IIIe siècle avant notre ère, articulée autour d’un atrium à ciel ouvert, aux ornements travaillés, aux mosaïques sophistiquées ou en simples cailloux coulés dans le mortier. Des scènes de chasse succèdent aux tableaux mythologiques : Narcisse sur son rocher ; Dionysos, dieu de la vigne, confiant à Icare le secret de fabrication du vin; Daphné, transformée en laurier alors qu’elle menaçait de succomber à la fougue divine d’Apollon.

Au-delà de l’enceinte de la cité, en bordure de falaise, les tombeaux des rois, ample nécropole exhumée en 1977, attirent les curieux. Les visiteurs, majoritairement Anglais et coiffés de chapeaux crème sous un soleil de plomb confèrent à la vision une griffe digne des romans d’Agatha Christie. Creusés à l’époque ptolémaïque (IIIe siècle avant Jesus-Christ), sous la domination des souverains hellénistiques d’Egypte, ces lieux de sépulture serviront ultérieurement aux premiers chrétiens. Les tombeaux conçus comme des habitations, sur un mode égyptien, étaient destinés à l’élite, les dignitaires d’Alexandrie qui étaient momifiés et enterrés avec armes et outils.

En empruntant la route de Polis, on rejoint le monastère d’Ayios Néophytos, adossé aux montagnes. Il rend hommage au lieu d’ermitage de Néophyte le Reclus, un moine né à Lefkara en 1134. Il vécut jusqu’à un âge canonique dans des grottes creusées de ses mains. Avec une poignée de disciples, il entreprit de vastes fresques sur les murs de son repaire. A ces oeuvres ont été ajoutées des peintures byzantines datant du XIIe et XIIIe siècles : versions orthodoxes de la descente aux enfers, faciès marqués par la dureté de la vie…

Autant de témoignages sur la vie difficile des premiers chrétiens. Certains traits ont vu leurs proportions modifiées comme ces visages allongés à l’extrême pour en accentuer la spiritualité. Des tons naturels et de l’or symbolisent le paradis.

Zones vertes

Paphos est à un jet de pierre de la péninsule de l’Akamas, à l’ouest de l’île. On traverse des bananeraies régulièrement irriguées et, en longeant la côte, on peut découvrir, après Coral Bay, Lara, la plage aux tortues. Depuis plus de trois siècles, les gros reptiles verts déposent leurs oeufs sur cette étonnante étendue de sable. Un projet gouvernemental datant de 1978, sous la direction du Département national de la pêche, protège désormais les reptiles. Cet élevage expérimental, unique en Europe, est ouvert au public en été.

La traversée de l’Akamas, région sauvage et protégée, se fait en 4 x 4, sous la houlette de guides aguerris. On y croise des groupes de chasseurs en tenue de camouflage, accroupis autour des vestiges d’un déjeuner sur l’herbe, au pied des oliviers. Le sol est parsemé de cailloux, mais aussi de jacinthes, de cyclamens violets, de narcisses blancs au parfum épicé. Les pistachiers, caroubiers et autres figuiers sont régulièrement agressés par les grandes chauve-souris dévoreuses de fruits.

Les Bains d’Aphrodite constituent le point de départ de randonnées dans l’Akamas. Pour y arriver, il suffit de suivre un sentier rocailleux, bordé de figuiers sauvages et de vignobles séculaires serpentant le long de parois verticales de la gorge, usée par l’érosion naturelle. Le but du voyage : la fameuse conque remplie d’eau douce et d’anguilles arrosées par une frêle cascade, garante de l’éternelle jeunesse.

Le mythe d’Aphrodite, née dans un tourbillon marin à Pétra tou Romiou, une crique déserte aux rochers rongés par l’écume, est omniprésent dans l’île. On rappelle également qu’elle fut l’épouse infidèle d’Héphaïstos, nain aux jambes arquées et mère d’Eros. Aphrodite, déesse mère issue des flots mit dans son lit un véritable escadron de dieux de l’Olympe: Arès, Hermès, Dionysos, Poséidon ou Adonis. Mais aussi quelques mortels dont Anchise, Enée ou Pâris, le héros troyen.

Platrès est aujourd’hui une station toujours très prisée des Anglais et elle offre une multitude d’hôtels de style colonial. Parmi ceux-ci, le Forest Park hébergea Indira Gandhi, le roi Farouk d’Egypte ou encore Daphné Du Maurier.

Retraite monacale

A 1500 mètres d’altitude, l’opulent monastère de Kykko, centre de l’orthodoxie chypriote, domine la vallée des Cèdres. Il ploie sous les trésors ancestraux et possède de nombreux biens immobiliers disséminés à travers l’île. Les moines se chargent eux-mêmes des visites avec l’efficacité de businessmen confirmés. Au XIe siècle, l’empereur Alexis Comnène, ému par la dévotion d’un ermite qui vivait sur les lieux, fit don à l’homme d’une des trois icônes de la Vierge réalisées, dit-on, par saint Luc en personne. L’icône, recouverte d’un masque d’argent depuis 1576, fait ici l’objet d’un véritable culte.

Non loin de là repose Monseigneur Makarios III, ancien président de la république et symbole de l’indépendance chypriote, disparu en 1977. Sa tombe sobre, taillée dans le roc est gardée par deux soldats.

A dix kilomètres au sud de Platrès, dans les ruelles chichement pavées du village d’Omodos, les habitants ouvrent leur porte sur des ateliers d’icônes, bradent du miel, des bijoux d’argent, des tissus brodés. Le traditionnel vin de la Commanderie, un breuvage sirupeux, est servi dans l’unique café du village avec biscuits salés.

La cicatrice de Nicosie

Nicosie, la capitale, fondée en pleine période franque, est scindée par la fameuse ligne verte, une frontière de cessez-le-feu contrôlée par les forces de l’ONU. Cette incroyable cicatrice barbelée fend les artères commerçantes de la partie sud de la ville. Au-delà des grillages, on peut entr’apercevoir de nombreux bâtiments délabrés, des églises en ruine et, ici et là, des soldats de faction. Pour distinguer les principaux vestiges de l’époque franque comme la cathédrale Sainte-Sophie, concentrés dans la partie nord de la ville (Lefkosia), il est impératif de prendre de l’altitude sur les collines avoisinantes.

Le musée d’Art byzantin, créé en 1972 à l’instigation de Monseigneur Makarios, témoigne de la culture locale du VIIIe au XVIIIe siècles et de la vigueur hellénistique de l’île. L’iconographie requérait des techniques précises transmises dans le plus grand secret,  » comme une recette de Coca-Cola  » affirme avec humour le guide. Un amalgame, variable selon les lieux, d’huile d’olive, de citron, de vinaigre, de jaune d’oeufs ou de… larmes. Des centaines d’icônes provenant de la partie nord de l’île se sont évanouies, victimes de vandalisme ou cédées sous le manteau à des collectionneurs occidentaux. Lentement, pourtant, le processus de récupération suit son cours. Il était temps.

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Emmanuelle Jowa

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